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Volcker Rule (suite): limites et difficultés attendues dans l’application

Publié le 12 février 2013 par Sia Conseil

Volcker Rule (suite): limites et difficultés attendues dans l’application Le 15 janvier 2013, Goldman Sachs publiait un résultat net annuel de 7,3Md $, en forte hausse par rapport à 2011 et bien supérieur aux attentes des analystes.

Les transactions dans lesquelles la banque a agi comme « principal » y ont contribué pour 2 Md $ alors que la banque avait affirmé avoir cessé depuis plusieurs mois tout « proprietary trading »[1]. La Volcker Rule dont la mise en vigueur était initialement prévue pour juillet 2012, interdira bientôt les prises de positions en tant que principal sur le trading book des banques dont les dépôts sont garantis par l’Etat Fédéral.

Les décrets d’application sont en effet en train d’être finalisés par les 5 agences fédérales indépendantes[2] en charge mais la tâche est complexe tant le sujet a donné lieu à d’âpres débats, de fortes résistances et de multiples demandes d’exemption. Quelles seront les difficultés pour les Régulateurs ? Quelles seront les limites de la Règle dans son application ? Quels sont les impacts sur les marchés qui fondent les critiques adressées ?

La Volcker Rule pourra se révéler difficile à mettre en pratique pour les Régulateurs

Les Régulateurs auront besoin d’apporter du discernement dans l’application de la Règle car la qualification en proprietary trading peut ne pas être évidente. Pour ne pas prendre de risques pour compte propre, les activités d’underwriting et de market making doivent se borner à répondre à une « demande raisonnablement attendue des clients à court terme ». Or l’estimation de cette demande peut s’avérer délicate, notamment sur des marchés peu liquides.

D’autre part, l’interdiction de prise de risque pour compte propre porte sur une détention inférieure à 60 jours. Cependant, une banque doit raisonnablement pouvoir se séparer d’actifs en cas de difficultés financières, même si ceux-ci sont dans son trading book. De même, si des produits deviennent soudainement considérés comme très risqués (ex : subprimes), une banque qui les auraient achetés peu de temps avant leur dégradation serait obligée de les revendre à court terme pour ne pas enfreindre les « prudential backstops ».

Le cas du hedging de portefeuille est aussi particulièrement délicat à juger : comment distinguer un vrai hedge de portefeuille (qui repose sur des modèles internes très complexes et dépend de la corrélation entre les expositions de la banque et ses trades) d’une spéculation pour compte propre ? Le sujet a fait les gros titres avec le scandale JP Morgan et la perte chiffrée en milliards de dollars au sein de son Département « Chief Investment Office » censé gérer l’exposition au risque de crédit et les excès de cash sans viser à faire un quelconque profit. Ce cas aurait-il été possible dans le cadre de la Volcker Rule ? Certains le pensent en arguant qu’il s’agit avant tout d’une erreur dans un nouveau modèle de stratégie de couverture. Reste l’infraction des prudential backstops par une stratégie très risquée au regard de la taille des positions prises par « baleine de la Tamise »[3].

Techniquement, les Régulateurs auront une énorme quantité d’indicateurs à étudier, à la fois sur l’exposition aux risques, la ventilation des revenus et leur volatilité mais aussi des analyses de portefeuille (VaR,‌), l’inventaire des actifs (taille et durée de conservation) et les flux de clientèle. Ils auront donc non seulement besoin d’outils d’analyse adaptés mais surtout de ressources avec une grande expertise, à même de prendre en considération les spécificités de chaque activité de trading, l’organisation de chaque banque et les conditions de marché.

Comme ces analyses d’indicateurs ne sont faites qu’a posteriori, la dimension préventive sera aussi essentielle pour empêcher le proprietary trading. Dans l’affaire de JP Morgan, l’OCC – en charge de la supervision des grandes banques – s’est justement fait reprocher son manque de réactivité alors qu’il avait l’autorité suffisante pour demander un supplément d’information au moins un mois avant les pertes de trading quand Bloomberg a émis une première alerte sur la taille des positions.

Ne pas créer de brèche permettant aux banques de dépôts de spéculer pour compte propre

La notion de « trading book » doit être détaillée (en plus d’une période de détention des actifs inférieure à 60 jours) mais notons que la banque peut dans tous les cas continuer à détenir des actifs très risqués dans son banking book (en étant « principal », certes avec des exigences en capital élevées) au point de nuire à sa solidité comme ce fut le cas pour Lehman.

D’autre part, c’est l’objectif économique de la transaction qui prime : ainsi, si une banque parvient à prouver son intention initiale de conserver sur plus de 60 jours une position où elle est « principal » et en même temps à justifier la sortie de cet investissement pour des raisons valables, l’activité ne sera pas considérée comme du proprietary trading. C’est ainsi que Goldman Sachs a pu enregistrer des gains en spéculant pour compte propre en 2012, par le biais d’une filiale opaque, « Multi Strategy Investment », dont les stratégies court terme de short selling s’apparentent à une gestion de type Hedge Fund mais qui ne rentre pas non plus dans la définition légale d’un « covered fund ».

Cela soulève un autre écueil, l’absence de pénalités financières ou autres sanctions dissuasives en cas de proprietary trading avéré. La banque incriminée peut ainsi être contrainte de limiter ou de fermer une activité mais aucune sanction n’est prévue pour elle-même ou pour ses traders. Compte-tenu du potentiel de bonus très important, il y a pourtant a priori un intérêt financier à essayer de contourner la réglementation et maquiller des opérations de proprietary trading en « activité autorisée ».

Il semble dès lors important que les Régulateurs puissent accéder aux rémunérations effectivement octroyées. En effet, celles-ci sont au cĹ“ur du système incitatif (ou dissuasif) et ils doivent donc pouvoir vérifier que les rémunérations ne prennent pas en compte le P&L réalisé par les traders sur des positions particulières prises.

La Volcker Rule a été très critiquée pour son impact anticipé sur les marchés

Pour certains commentateurs, on se trompe de problème : aucune des faillites américaines récentes les plus retentissantes (Fannie Mae, Freddie Mac, Bear Stearns, Lehman Brothers et AIG) n’étaient des banques qui collectaient les dépôts des particuliers. Cette règle complexe a beaucoup occupé les régulateurs et les acteurs du secteur alors que fondamentalement, ce dont le système financier aurait surtout besoin, c’est d’une gouvernance et une gestion des risques plus efficace et proactive.

Une autre critique couramment adressée est le déplacement du problème du trading pour compte propre vers le shadow banking system qui est beaucoup moins surveillé par les Régulateurs avec in fine aussi des risques significatifs pour les banques si des acteurs majeurs sont affectés. Des ex-traders de JP Morgan et de Goldman Sachs ont ainsi créé leur propre structure et KKR a engagé une équipe complète de Goldman début 2011. De plus, des Hedge Funds pourraient se lancer dans le market making et attirer les meilleurs traders en leur offrant la possibilité de continuer leur « cĹ“ur de métier » (prendre des risques en jouant sur la durée de conservation des titres, déterminer le moment optimal de revente en cas de pertes, etc.).

L’exemption à la Volcker Rule sur les produits vise uniquement les bons du Trésor américain, justifiée par le besoin des grands bilans des banques pour en effectuer le market making avec suffisamment de liquidité. Cependant des craintes se portent vers d’autres produits normalement très liquides tels les obligations souveraines, corporate et les ABS avec comme corollaire des coĂťts de refinancement supérieurs. Les Régulateurs ont ainsi reçu des lettres du Canada, du Japon ou encore de la Grande-Bretagne avec des critiques sur le sujet. Les lobbies financiers américains ne sont pas en reste et alimentent également le débat public : par exemple, l’étude commanditée par la SIFMA[4] sur le marché des corporate bonds a eu un très large écho dans la presse.

Enfin, pour les clients-investisseurs, le coĂťt d’achat d’actifs devrait augmenter avec des bid-ask spreads élargis. De plus, le prix des actifs serait impacté par la hausse de la prime de liquidité, générant ainsi des pertes en mark-to-market.

CONCLUSION

Alors qu’en France, le projet de loi de séparation bancaire entre les activités « utiles à l’investissement » et celles dites « spéculatives » (comme le proprietary trading) doit être présenté au Parlement à partir d’aujourd’hui, il est intéressant de regarder les limites et les reproches adressées à la Volcker Rule outre-Atlantique pour en tirer quelques enseignements. Le périmètre est certes différent, par exemple le lobbying des banques françaises (dont la rentabilité est déjà attaquée, notamment par les évolutions réglementaires des accords de Bâle) leur aurait permis d’obtenir que les activités de market making ne soient pas isolées quand celles-ci sont « utiles à l’économie », contrairement aux préconisations du rapport Liikanen. De même,  la portée n’est pas la même avec l’interdiction de l’activité dans la Volcker Rule contre une filialisation avec contrôles plus stricts en France. Cependant, les objectifs sont identiques et consistent à protéger les contribuables et les épargnants ainsi qu’à préserver la solidité du système financier. Dans les deux cas aussi, il est difficile de passer d’une idée simple et raisonnable à un texte clair, applicable, avec un périmètre de couverture suffisant, qui n’offre pas de solution de contournement et sans « effets secondaires indésirables ».

Sia Partners


[1] : Le traitement du proprietary trading dans la Volcker Rule fait l’objet d’1 article de décryptage de la « Volcker Rule : ce qui attend Wall Street après l’élection d’Obama », publié le 4 décembre sur le blog Finance et Stratégie de Sia Partners. Celui-ci décrit ce que prévoit la Règle, expose les conséquences pour les banques américaines en termes de compliance, d’organisation et de rentabilité et analyse l’impact pour les banques non américaines. http://finance.sia-partners.com/20121204/volcker-rule/

[2] : OCC : Office of the Comptroller of the Currency, SEC : Securities Exchange Commission, Fed : Federal Reserve, CFTC : Commodity Futures Trading Commission, FDIC : Federal Deposit Insurance Corporation

[3] : Cette perte de trading est très symbolique car JP Morgan est l’une des banques qui s’était le mieux sortie de la crise et que c’est elle qui a introduit les modèles de VaR dans la gestion des risques mais aussi car son PDG Jamie Dimon avait été l’un des critiques les plus véhéments à la Volcker Rule. Cet incident devrait vraisemblablement influencer les Régulateurs et limiter dans la version finale la flexibilité anticipée par certains commentateurs sur le traitement du hedging.

[4] :  Securities Industry and Financial Markets Association : lobby des courtiers, banques et gérants d’actifs américains


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