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Pourquoi on se fiche de la séparation bancaire. Ou bien...

Publié le 12 février 2013 par Juan
Pourquoi on se fiche de la séparation bancaire. Ou bien... Que les dépôts d'épargnants ne servent pas à la spéculation de quelques nantis ou traders imprudents... La formule est belle, servie par l'exemple fameux de l'affaire Kerviel. Mais c'est un peu court. C'est en fait l'histoire d'un système qui ne plaisait à personne sans que personne n'y ait vraiment songé dans les détails. Pour certains, à gauche comme à droite, il fallait découper nos banques en deux, comme aux Etats-Unis depuis 1933.
On appelait Roosevelt à l'aide, alors que Goldman Sachs et Lehman Brothers avaient failli nous couler.
L'une des plus grosses critiques que le projet de réforme bancaire à l'étude à l'Assemblée nationale porte sur la trop faible ampleur de la séparation des activités spéculatives du reste de l'exploitation bancaire.
1. On connaît les termes du procès depuis l'automne. La député Karine Berger, rapporteuse du texte, ne s'en cache pas: le texte de loi ne prévoit pas de scission stricto sensu des activités bancaires: «le projet de loi s’inscrit en grande partie dans la lignée du rapport Liikanen en retenant le principe de la filialisation. Contrairement à la règle de Volcker ou au rapport Vickers, il ne retient pas le principe d’une séparation stricte, considérant qu’elle pourrait être risquée pour le financement de l’économie française » écrit-elle dans son rapport à l'Assemblée. Les auteurs de la réforme préfèrent la filialisation des opérations en compte propre - en d'autres termes, la spéculation des banques qui engagent leurs bilans.
2. On s'est gaussé du faible périmètre concerné, entre 1 et 3% des bilans des banques. Banque par banque, c'est vrai. Au final, les principaux patrons de banque de la place de Paris n'ont pas cachés leur soulagement. Ils pensaient être tronçonnés, ils ne passeront que chez le coiffeur. Mais leur arrogance devant les prétoires parlementaires lors des auditions préparatoires pourraient leur coûter (heureusement) cher. Dans son rapport, la députée Karine Berger explique que les activités spéculatives présentant des sûretés n'auraient pas besoin d'être isolées dans des filiales ad hoc: « L’alinéa 10 prévoit que toutes les opérations conclues par l’établissement de crédit pour son compte propre avec un organisme de placement collectif (OPCVM) à effet de levier, notamment un hedge fund, sont cantonnées dans la filiale dès lors qu’elles ne sont pas assorties d’une sûreté.»Il faut critiquer cette conclusion, non pas parce qu'elle trahit la grossière promesse de séparation bancaire, mais pour une autre raison plus simple pour quiconque n'aime pas l'impact de l'effervescence boursière sur nos économies: il ne suffit pas qu'un hedge fund soit sécurisé pour qu'il trouve grâce à nos yeux. C'est là le premier désaccord avec cette loi. Le hedge fund n'est jamais utile. Nul besoin de se protéger derrière le caricatural concept de la séparation bancaire pour faire comprendre la chose.
3. Ces dispositions de filialisation obligatoire ne concerneraient que les banques présentant un risque systémique, car « la défaillance d’une petite structure n’entraînant pas nécessairement de perturbation de l’ensemble des marchés ». Contre les critiques, les défenseurs du texte avancent un autre argument: la loi créé une sorte de paire de ciseaux pour mieux isoler davantage d'activités bancaires si le besoin s'en fait sentir. L'outil est donc là et prêt à l'usage, et c'est heureux. Dans un entretien au Monde, lundi 11 février, le ministre Moscovici explique qu'il ne souhaitait faire courir aucun risque au crédit de l'économie en période de crise. Soit... il faut ajouter un premier et indispensable complément: les banques seront contraintes à davantage de transparence, et notamment à publier, « pour tous les pays, y compris les paradis fiscaux, chiffres d'affaires et effectifs.» Il y aura aussi des règles prudentielles propres aux activités à risques à respecter.
4. Reste que la loi ne sépare pas les activités de marché des activités de dépôts. Puisque la critique est virulente sur le sujet, opposons-lui un constat: cette séparation, à l'oeuvre aux Etats-Unis depuis le Glass Steagal Act des années trente a-t-elle empêché la catastrophe des subprimes, freiné la spéculation outre-atlantique, épargné le monde des abus que nous dénonçons ? Non. (*)
Le problème est ailleurs. Pour l'auteur de ces lignes enfin plongé dans les méandres de ces considérations bancaires, c'est assez troublant. C'est un argument rappelé par le ministre Moscovici ce lundi 11 février: « Nous avons un modèle bancaire qui combine banque de dépôt et banque d'investissement, qui a mieux résisté que d'autres. Pourquoi l'affaiblir, en créant des banques de dépôt privées d'accès aux financements de marchés et des banques d'affaires moins compétitives, de taille réduite ? Veut-on se doter de pures banques d'affaires à la façon de Goldman Sachs ou Morgan Stanley, qui ont joué un rôle particulier pendant la crise ? »
La grande vertu de ce débat est qu'il nous interroge aussi sur le rôle des banques.
5. Cette question en ouvre une autre, presque sacrilège: comment distinguer la spéculation du placement ? Pour assurer un quelconque rendement aux épargnants, petits et grands, qui leur confie leur pécule, les banques placent, c'est-à-dire qu'elles investissent dans toutes sortes de placements: emprunts d'Etat ou d'entreprises, actions de sociétés, matières premières, etc.
La financiarisation de notre économie mondialisée transforme quasiment n'importe quoi en abject objet de spéculation. Une récente anecdote fait florès: le groupe Arcelor Mittal a pu jouer sur ses quotas d'émission carbone pour empocher 93 millions d'euros l'an passé grâce à la fermeture de Florange. Car même les droits à polluer sont devenus un sujet de profit facile !
Mais il serait dommage d'en rester à des caricatures. Le rapport de Karine Berger précise les cas. La député pas encore dépitée a tenté la pédagogie, reconnaissons-le. Fallait-il également séparer les services d'investissements à la clientèle ? Les opérations de compensation ou de prévention des risques ? Les opérations de tenue de marché ? A chaque fois, pour chacune de ces activités de marché, la rapporteuse expose les contreparties pour le financement de l'économie. « Le projet de loi français estime que ces opérations participent à la liquidité d’un marché et que, ce faisant, elles sont parties prenantes du financement de l’économie ». C'est clair, net et sans malentendu. Nous attendons des débats parlementaires qu'ils nous éclaircissent sur ce point central, cette interrogation unique et majeure. Voulons-nous limiter le financement de l'économie aux dépôts des épargnants ? Oui, ou non ? Eclairons le lecteur d'une précision: ces sacrées opérations de tenue de marché « conditionnent par exemple l’existence d’un marché secondaire des obligations, qu’il s’agisse de dettes souveraines ou de celles de grandes entreprises.» Voudrions-nous assécher cette activité-là ? Reposons la question (cf. 2): existe-t-il une spéculation utile ?
6. Osons cette autre question profane: si les activités de marché étaient plus amples, davantage séparées des activités de dépôts, nous sentirions-nous plus tranquilles et sereins ? Certainement pas... Nous serions comme les Etats-Unis de ces dernières années. La véritable question est ailleurs: quel sera le contrôle ? Séparées ou pas, les banques et autres institutions financières doivent être contrôler. Que le débat fut ainsi imprudemment porté et instrumentalisé sur la question de la séparation des activités est très éclairants des manipulations médiatiques du moment.
7. La loi propose aussi un contrôle renforcé via l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sur les établissements financiers: (1)« l'ACPR pourra purement et simplement interdire à un établissement des activités présentant des risques excessifs, soit pour lui-même, soit pour le reste du système bancaire et financier. » (2) l’ACPR contrôlera l'adéquation de l'organisation du contrôle interne de tout établissement qui réalise des opérations portant sur des instruments financiers, que cette dernière activité soit filialisée ou pas.
Au final, le rapport de la députée est aussi éclairant que les comptes-rendus et premiers cris d'orfraie bien manipulés étaient caricaturaux. Mais il faut du débat, beaucoup de débat pour la vérité sorte.
Certains, dans la presse conservatrice, ont très rapidement agité combien les banques ne seraient pas séparées en deux activités. A gauche, on s'est précipité sur l'os... à tort.
L'important est certainement ailleurs, dans le contrôle que cette loi offre, ou n'offre pas, sur nos établissements financiers.
A suivre...
(*) Le GSA a été abrogé en 1999. Il avait été progressivement détourné par les banques commerciales. Il n'avait pas non plus pas empêché la financiarisation générale de l'économie, entamée au début des années 1970.

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