Estimant qu’il ne se sentait plus apte, Benoît XVI, 85 ans, a annoncé sa démission. Elle sera effective le 28 février prochain. Joseph Ratzinger restera comme le pape de tous les dogmes ultraconservateurs.
Au Vatican, que ce soit dans les allées bordées d’espèces rares de cactus où le pape ne détestait pas vagabonder dans la fraîcheur d’un Éden reconstitué, ou dans les couloirs plongés dans la pénombre, voire dans les salles rutilantes aux marqueteries multicentenaires, la rumeur courait depuis plusieurs semaines. Fatigué, et redoutant plus que tout «l’ombre» de lui-même au point de s’isoler dans un mutisme jugé «déconcertant» par ses collaborateurs, le pape Benoît XVI, quatre-vingt-cinq ans, montrait des signes de lassitude qui ne trompaient pas. Chaque sortie publique devenait une épreuve physique, le moindre discours un calvaire intellectuel. En 2010, l’évêque de Rome expliquait déjà : «Quand un pape en vient à reconnaître en toute clarté qu’il ne peut plus assumer la charge de son ministère, alors il a le droit et, selon les circonstances, le devoir de se retirer.» Il a tenu parole.
Profitant d’un consistoire pour la canonisation de martyrs d’Otrante, le pape a pris la parole, hier, dans une salle du palais apostolique, déclarant, en latin : «Je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. (…) C’est pourquoi, bien conscient de la gravité de cet acte, en pleine liberté, je déclare renoncer au ministère d’évêque de Rome.» Un coup de tonnerre… Selon le père Federico Lombardi, chef du bureau de presse, «personne ne lui a suggéré ni ne l’a poussé à cela» et «il n’y aucune maladie en cours qui aurait influé sur cette décision : le pape a senti ses forces diminuer et l’a reconnu avec lucidité en lisant son message de façon très concentrée, sans exprimer extérieurement son émotion».
Concrètement, le pontificat de Benoît XVI, qui lui avait été confié le 19 avril 2005 après la disparition de Jean-Paul II, prendra fin le 28 février prochain à 20 heures. Un conclave sera organisé dans les quinze à vingt jours suivant la démission pour désigner un successeur. Mais quel successeur – le Ghanéen Peter Turkson? L’Italien Angelo Scola? Le Canadien Marc Ouellet? – et surtout pour quel horizon théorique, seule question importante en vérité ? Marquée par une épouvantable crise de gouvernance au printemps dernier, avec l’éviction du «banquier du pape» puis l’arrestation de son majordome, sans parler des scandales de pédophilie planétaires qui empoisonne la curie depuis des années, l’Église est malgré tout restée une institution s’abandonnant à une crispation autour du dogme afin de conserver ce qui peut l’être, rejetant toute avancée, quelle qu’elle soit, l’avortement, la contraception, le préservatif, le mariage des prêtres, l’ordination des femmes, etc.
Joseph Ratzinger, qui occupa sous Jean-Paul II le poste stratégique de préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, fut ultra-actif pour entourer le Vatican d’un parfum d’obscurantisme, lui qui, pourtant, avait participé au concile Vatican II et était considéré dans les années 1960 comme l’un des leaders de l’aile «libérale» de l’Église allemande… Mais depuis,
Ratzinger le Conservateur a été de toutes les batailles pour mettre au pas – il n’y a pas d’autres mots – une génération de prêtres, d’évêques et de penseurs catholiques jugés «trop progressistes». Le prochain conclave, auquel il ne participera pas, sera sans nul doute dans la continuité d’une de ses phrases clés: «La réalité de l’Église concrète, de l’humble peuple de Dieu, est bien différente de la représentation qu’on s’en fait dans certains laboratoires où l’on distille l’utopie (1).»
Quand sonnera l’heure du bilan, le vrai, nous n’oublierons pas ce curieux pied de nez. Ce sera en imposant à l’Église une démission totalement inédite dans son histoire contemporaine (2) que Benoît XVI aura montré un geste d’authentique modernité. Il était temps.
(1) In Entretien sur la foi, Fayard, 1985.
(2) Citons juste l’exemple de Célestin V, qui avait abdiqué, mais sous la contrainte, en 1294.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 12 février 2013.]
Antoine Casanova, historien et directeur de la Pensée:
«Ce pape n’a cessé de défendre des orientations ultraconservatrices.»
-Pouvait-on s’attendre à cette décision de Benoît XVI? Y a-t-il eu un précédent dans l’histoire?
Antoine Casanova. C’est la première fois qu’un pape démissionne depuis la fin du XIIIe siècle. À l’époque, sous le règne de Philippe Le Bel, Célestin V avait pris cette décision. Il s’agissait d’un ermite, très christologique et peu au fait du fonctionnement de la curie romaine. La démission de Benoît XVI est donc un événement symboliquement très fort. Les raisons de cette décision sont multiples. Il y a l’âge et la santé, bien sûr. Ce n’est pas à mésestimer. Au contraire de son prédécesseur Jean-Paul II, Benoît XVI a été élu à un âge relativement avancé. Mais l’autre raison, c’est à mon avis les difficultés extrêmes qu’il a rencontrées dans la mise en œuvre de ses orientations.
-Justement, quel bilan peut-on faire de ce pontificat?
Antoine Casanova. Benoît XVI a défendu des orientations ultraconservatrices à tous points de vue, théologiquement, politiquement et humainement. Il n’y a que sur l’enjeu de la paix que l’on peut lui reconnaître des positions positives, puisqu’il s’est prononcé pour le désarmement atomique complet. Pour le reste, on relèvera notamment sa condamnation de la théologie de la libération. Depuis son élection, il essayait de développer une entente avec les intégristes. Mais, d’une part, les intégristes n’en ont pas voulu. Et, d’autre part, cette orientation a suscité une vive opposition de beaucoup de catholiques, jusqu’au sein du Vatican. Benoît XVI a donc dû mettre en sommeil sa tentative de réconciliation avec les intégristes. Par ailleurs, sur les réponses à la crise capitaliste, y compris dans son encyclique Caritas in Veritate, il n’allait pas au-delà de la notion de charité. Or la question est devenue de plus en plus aiguë. Par exemple, il y a deux ans, les comités Justice et Paix des catholiques d’Europe ont mis clairement en cause le capital financier et exigé qu’il soit mis un terme aux politiques consistant à faire payer les peuples. Les positions du président de Caritas Internationalis vont dans le même sens. Et c’est aussi dans ce cadre qu’il faut replacer les récentes tensions entre le Vatican et les religieuses américaines, très impliquées sur le terrain social.
Quelles sont, désormais, les perspectives ? Peut-on déjà faire une hypothèse sur le profil du prochain pape?
Antoine Casanova. Il y a aujourd’hui un mouvement multiforme, profond et très complexe, dans la chrétienté, y compris en France. Je viens d’évoquer le thème de la justice sociale. Il y a aussi la question
des rapports homme-femme. N’oublions pas que les catholiques
de droite dirigent certains États,
comme Malte, où il n’y a ni IVG
ni divorce républicain. Beaucoup de catholiques ne se retrouvent pas dans ces orientations rétrogrades.
Leurs exigences de changement dans le sens de la paix, de la justice et
de l’égalité vont-elles réussir à gagner encore du terrain ?
Le cardinal Martini, décédé récemment, estimait qu’on pourrait refaire, sous une nouvelle forme,
ce qu’avait fait Jean XXIII avec
le concile Vatican II, dont nous avons fêté en octobre dernier les cinquante ans. S’il y avait aujourd’hui convocation d’un concile, il est
en effet probable que la volonté de changement des catholiques s’y affirmerait. Mais dans le cadre de
la curie, instance qui va se réunir pour organiser la succession de Benoît XVI, c’est plus complexe.
À cette heure, il est difficile de prévoir la suite. Quoi qu’il en soit,
la démission de Benoît XVI est
le signe d’une secousse très profonde dans l’Église.
(Entretien réalisé par Laurent Etre, dans l'Humanité du 12 février 2013)