Entre scandales et rumeurs, le règne de Benoît XVI prend un tournure pathétique.
Crise. Que se passe-t-il réellement au Vatican? Des affaires troubles en passe de renverser la gouvernance du Saint-Siège? De quoi déstabiliser le trône de Saint-Pierre lui-même? Des trahisons dignes du temps des Borgia? Une crise du pouvoir remettant en cause la collégialité épiscopale? Un peu tout cela à la fois… L’autre jour, en apprenant quasiment coup sur coup l’éviction de deux des plus proches collaborateurs de Benoît XVI, d’abord celle du directeur de la (fameuse et sulfureuse) banque du Vatican, puis celle du majordome du pape, notre première réaction fut immédiate: nous nous sommes sitôt replongés dans la lecture d’une des biographies de Joseph Ratzinger, âgé de plus quatre-vingt-cinq ans, comme si l’annonce d’un nouveau concile se préparait dans l’allégresse et la crainte d’un grand changement… À la lecture des faits, non sans avoir consulté au préalable quelques amis bien placés du côté du divin, notre emballement ne fut pas contrarié. En effet, ce serait mal connaître les us et coutumes vaticanesques, et plus globalement des institutions romaines, de croire que la situation actuelle ne serait la conséquence que de quelques intrigants isolés prêts à des fourberies sans lendemain. Non.
La crise semble plus profonde que certains veulent bien l’admettre. De nombreux commentateurs italiens n’hésitent d’ailleurs pas à parler de «complot ourdi par quelques membres de la curie pour en discréditer d’autres ou préparer, déjà, la relève»…
Majordome. Pourquoi a-t-on arrêté le majordome du pape, Paolo Gabriele? Il est reproché à ce fidèle de Benoît XVI la soustraction et la divulgation de la correspondance personnelle de son mentor, qui a alimenté la presse et l’édition depuis des semaines. Du jamais-vu. «Le pape est le témoin d’une affaire qui le touche de près, c’est une épreuve pour lui, il ressent de la douleur», a expliqué cette semaine Federico Lombardi, porte-parole du Vatican. Ajoutant: «Pour sortir de cette crise, il faudra un chemin difficile de vérité pour restaurer la confiance. C’est une épreuve lourde pour le pape et la curie.» Cette spectaculaire arrestation du majordome est pourtant la première conséquence de la nomination de la commission cardinalice chargée par le pape, depuis le 25 avril, de l’enquête sur la fuite de documents. Dans cette commission figure, en bonne place, l’influent cardinal espagnol Julian Herranz Casado, de l’Opus Dei. N’en soyez pas étonné: il n’est pas le seul de cette tendance à graviter au sommet…
Banquier. Car le principal scandale en cours ne concerne pas le majordome, mais bien le banquier du pape lui-même, un certain Ettore Gotti Tedeschi, président de l’IOR (Institut pour les œuvres de religion, la «banque» du Vatican). Ce «grand argentier», banquier professionnel international, membre lui aussi de l’Opus Dei et éditorialiste à L’Osservatore Romano, avait été appelé à cette charge en 2009 par le pape pour «mettre aux normes internationales les finances
du Saint-Siège», soupçonnées, depuis les affaires mafieuses des années 70 et 80, de pratiques pour le moins opaques
et de probable blanchiment d’argent sale. Ecarté par le conseil de surintendance, sans l’assentiment ni du pape ni du cardinal secrétaire d’État Tarcisio Tertone, le banquier serait victime d’un complot de cardinaux s’inquiétant de leur perte d’influence. Car l’IOR n’est pas n’importe quelle institution : son patrimoine est évalué à cinq milliards d’euros, dont 80% appartiennent à des monastères, congrégations religieuses, conférences épiscopales, etc. Seul le pape, les cardinaux membres du conseil de surveillance et les quatre administrateurs peuvent avoir accès aux bilans de ces 33.000 comptes. Pas de pouvoir au sein de la curie, sans la haute main sur ce trésor de guerre…
Doctrine. Nous n’oublierons pas que Joseph Ratzinger écrivait, dans Entretiens sur la foi, en 1985, soit quatre ans après sa nomination par Jean-Paul II comme préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi: «De ma place si inconfortable, qui me permet du moins d’avoir un aperçu général des choses, je me suis aperçu qu’une certaine contestation, émanant de certains théologiens, est marquée par la mentalité typique de la bourgeoisie aisée de l’Occident. La réalité de l’Église concrète, de l’humble peuple de Dieu, est bien différente de la représentation qu’on s’en fait dans certains laboratoires où l’on distille l’utopie.» Refusant obstinément «l’urgence
du partage du pain» au profit de la seule espérance divine, tout était (déjà) dit… Depuis trente ans, l’un de grands secrets de Ratzinger aura toujours été, en fin de compte, de se trouver partout où il n’était pas. Cette fois, il se retrouve nulle part, alors que les affaires terrestres se rappellent à lui.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 1er juin 2012.]