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"On n'a pas arrêté Mittal à Florange, peut-être qu'on réussira à Liège !"

Publié le 13 février 2013 par Letombe

Engagés dans un "combat viril" avec ArcelorMittal, le ministre français du redressement productif, Arnaud Montebourg, et le ministre de l'économie de la Région wallonne, Jean-Claude Marcourt, ont reçu, mardi 12 février, le soutien inattendu de la Commission européenne.

En introduction d'une "table ronde de haut niveau" consacrée à l'avenir de la sidérurgie européenne, à laquelle les deux ministres participaient, le vice-président à l'industrie de la Commission, Antonio Tajani, a demandé à ArcelorMittal de "suspendre" temporairement ses fermetures d'usines en Europe, le temps que Bruxelles présente un plan d'aide pour le secteur.

La preuve, selon MM. Marcourt et Montebourg, que l'Union européenne entend désormais imposer ses vues, notamment en matière industrielle, aux "multinationales prédatrices". Entretien exclusif.

 Avez-vous été surpris par l'initiative de M. Tajani, le vice-président de la Commission européenne, qui a demandé à ArcelorMittal de suspendre temporairement ses plans de restructuration en Europe ?

Jean-Claude Marcourt - Je pensais qu'il serait plus modéré, car c'est la première fois dans l'histoire de la Commission, et surtout depuis la fin du traité CECA [Communauté européenne du charbon et de l'acier], qu'on voit un commissaire interpeller une entreprise en lui disant : "Nous travaillons au développement d'une filière importante à nos yeux. Ne prenez pas de décision irrémédiable. Ne mettez pas à mal la politique industrielle que l'Europe entend mener."

Le groupe ArcelorMittal a d'ores et déjà rejeté la demande de M. Tajani. Cela vous surprend-il ?

JCM - Il y avait peu de chances que la direction générale d'ArcelorMittal s'incline spontanément. Mais M. Tajani n'a pas du tout fait marche arrière. J'espère que la direction d'ArcelorMittal réfléchira avec l'ensemble du comité exécutif et qu'ils pourront en tirer les conclusions.

Nous ne demandons pas de reporter d'un an la décision, mais deux à trois mois de délai pour mettre en œuvre un certain nombre de choses. Cela nous permettra aussi peut-être de réfléchir avec eux dans un climat moins aigu.

Pensez-vous que Lakshmi Mittal pourrait céder ?

JCM - Je ne sais pas ce qu'ils vont décider. Mais trois gouvernements [la France, la Belgique et le Luxembourg] ont fait une démarche collective. Et ce n'est pas un fonctionnaire, mais le vice-président de la Commission européenne qui demande solennellement à ArcelorMittal de surseoir.

C'est la première fois qu'on dit, depuis le traité CECA, qu'il faut une politique industrielle. C'est bien un changement de paradigme, car même les Etats considérés comme libéraux ont marqué leur accord sur les conclusions.

Arnaud Montebourg - Pour les soldats de l'emploi que nous sommes, Jean-Claude et moi, recevoir un appui aérien de l'aviation européenne est appréciable. La "politique industrielle" a toujours été un tabou dans l'Union européenne et voilà qu'elle est en train de naître.

Et nous devons cela au commissaire Tajani, qui est en train de définir les conditions dans lesquelles on doit protéger notre industrie de l'acier et de faire en sorte qu'enfin les politiques européennes soient réévaluées en fonction de l'impératif industriel.

Le fait que le vice-président de la Commission place ArcelorMittal sur la sellette, c'est d'abord un événement qui a surpris son représentant, M. Himpe, qui a protesté en disant que ce n'était pas à la Commission ou à quiconque des Etats de s'ingérer dans les affaires d'une entreprise privée.

Mais, tous les jours, cette entreprise privée cause du tort et du préjudice aux Etats et à leurs populations, utilise, quand elle sait le demander, l'argent public, et n'a aucune conscience de ses responsabilités.

ArcelorMittal investit 5 milliards en Inde, pour fabriquer de l'acier qu'il n'hésitera pas à importer en utilisant le coût du travail plus bas - il fait une opération de délocalisation.

Dès lors, l'imposition de droits de douane sur l'acier qui casse les prix est la riposte stratégique aux menées de groupes qui ne respectent pas le berceau de l'acier qu'est l'Union.

Mais si ArcelorMittal refuse de surseoir à ses décisions de fermeture, n'est-ce pas l'Europe qui risque de recevoir un camouflet...
 

JCM - Soit ArcelorMittal décide que les institutions européennes ne pèsent pas, et je ne le comprendrais pas. Soit il constate que ce ne sont plus cette fois quelques pays européens qui lui demandent de repenser sa stratégie, mais un commissaire européen qui lui demande d'éventuellement la revoir à la lumière du programme d'action qu'il déposera dans les trois mois.

Les dirigeants d'ArcelorMittal doivent bien mesurer l'impact que pourrait avoir le fait de considérer les demandes des autorités européennes comme non pertinentes.

D'autres secteurs que l'acier, l'automobile par exemple, pourraient entrer dans une telle démarche ?

AM - Chaque chose en son temps. Nous avons des projets avec nos amis italiens, allemands, dans divers domaines industriels.

Pensez-vous qu'ArcelorMittal a été surpris par cette soudaine solidarité européenne ?

AM - Mittal a toujours utilisé les gouvernements et les syndicats les uns contre les autres. Là, il a en face de lui un front uni de la Commission européenne, des syndicats et des Etats membres. C'est une donnée nouvelle dont il va devoir tenir compte. C'est la première fois!

C'est un événement important. Si on laisse faire Mittal à Liège, il continuera ailleurs. On n'a pas arrêté Mittal à Florange, peut-être qu'on réussira à Liège !

La France a besoin de la Belgique pour se faire entendre ?

AM - On a commencé à travailler l'été dernier, avec Etienne [Schneider, ministre de l'économie luxembourgeois] et Jean-Claude. On a élargi ensuite notre cercle.

J'ai été très content ce mardi d'entendre la Pologne, l'Espagne, l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas - ces derniers, avec certes des nuances - insister pour que l'Europe ne soit pas naïve.

Nous construisons un noyau autour du volontarisme industriel, pour faire mentir la dérive libérale des dernières années.

Les populations européennes votent plutôt à droite, les institutions sont le produit de cela. Or des gouvernements à dominante libérale défendent aujourd'hui des positions interventionnistes, voire étatistes.

Mais le Luxembourg dit qu'il ne veut pas de nationalisation...
 

AM - La nationalisation n'est pas taboue, elle est très pratiquée dans le monde. Mais c'est un choix stratégique que la France a écarté même si - je le dis avec l'autorisation du Président de la République - la nationalisation temporaire reste sur la table, si ArcelorMittal ne tient pas ses engagements.

Cette initiative de M. Tajani peut-elle changer quelque chose pour Florange ?

AM - Je dois d'abord en discuter avec le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et nous communiquerons ensuite notre position.

Est-il exact que la France a transmis à la Région wallonne les noms de repreneurs éventuels qui s'étaient manifestés pour Florange ?

AM - J'ai effectivement contacté des industriels et dressé une liste de prospects dans le monde. Cette liste, je l'ai transmise à mon collègue Marcourt pour qu'il en fasse le meilleur usage. C'est un soutien, nous sommes dans la coopération.

Les organisations syndicales nous ont demandé si nous étions prêts à imaginer une sidérurgie européenne. Pourquoi pas ? Des générations de contribuables ont contribué à bâtir cette industrie, en France, en Belgique comme au Luxembourg. Nous devons assurer cette pérennité.

La Belgique tente de monter une solution de "portage" pour le site de Liège d'ArcelorMittal, qui ressemble à votre nationalisation temporaire. Que dites-vous à M. Marcourt : "Tiens bon ! Vas-y !" ?

AM - Je souhaite à Jean-Claude Marcourt, qui est un ministre socialiste de l'industrie, de réussir à convaincre son Premier ministre, qui est un socialiste dans un gouvernement de coalition, là où j'ai échoué. J'ai cru comprendre qu'il aurait plus de chances que moi.

Il a peut-être un Premier ministre plus socialiste que le vôtre ?

AM - Cela, c'est vous qui le dites.

Propos recueillis par Cédric Pietralunga pour Le Monde, et par Béatrice Delvaux et Benoît July pour Le Soir

http://www.lemonde.fr/economie/


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