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Jour 10, Emmanuel : BRIAN ENO, Another Day On Earth (2005)

Publié le 06 avril 2008 par Oagd
Another Day On Earth vu par Thibault Balahy (blog ici) BRIAN ENO, je le vois comme un chanteur du dimanche. Ce n'est pas Paul McCartney, qui le dimanche promène ses chiens en voiture, pour le reste de la semaine se consacrer à ce qu'il sait le mieux : chanter. Chanter pour qu'il y ait des clairières. Pour quoi y faire ? Vivre, chanter, indifféremment. Pour Brian Eno, il y a une différence. Avec son crâne rasé et sa mine débonnaire, on ne peut que lui trouver une allure d'intellectuel qui ne chanterait que pour se détendre d'activités autrement sérieuses. Musicales, pour la plupart, mais n'ayant rien à voir avec de banales chansonnettes pop. Il est l'inventeur de la discreet music, de l'ambient music. Il a composé des musics for films et des albums pour aéroport. Je ne suis pas sûr d'en recommander l'écoute. Ce sont des disques que je connais mal. Eno écrit, dessine, peint, conçoit des jeux de stratégie ou de relaxation extrêmement complexes. Il est le producteur qu'on sait, convoité par tous les groupes. Il adore le yoga, les brocolis et les Soprano. A Londres, sa maison est très claire, et le matin il stationne longtemps face à l'immense baie vitrée. Ensuite, il écrit, il médite, il compose, il fait la cuisine. Il bricole des trucs. Il y a encore tellement de choses que j'ignore de Brian Eno. LESTER BANGS a écrit un beau texte intitulé « Eno chante avec les poissons ». « ...sings with the fishes » est sans doute un jeu de mots avec « sleeps with the fishes », la célèbre formule du Parrain : « Luca Brasi sleeps with the fishes ». Mort, autrement dit. On pourrait dire qu'Eno est déjà mort, qu'il est au-delà, mais laissons cela. Le texte de Bangs est élogieux, rempli de respect et d'admiration pour un homme qui, dit-il, se donne énormément mal. Il va même plus loin : je n'ai vu un homme se donner autant de mal dans ses albums. C'est en effet une question : les disques de Brian Eno, planants, doux, sages, orientaux, pop, discrets, aéroportés, ambiants, donnent-ils une impression de travail acharné ou de facilité déconcertante ? Allez, prenons l'autoroute : les deux. Ce sont des disques d'ingénieur fait poète, de laborantin sur la terrasse, de chauve qui coupe les cheveux en quatre. ANOTHER GREEN WORLD est le disque dont Bangs rend compte. Un autre monde vert. Le disque de ce dimanche s'appelle Another Day on Earth. Un autre jour sur la terre. Eno n'a pas peur de paraître zen. C'est aussi bien, car l'on peut bien sûr lire autre chose dans la récurrence de cet « autre jour ». Une autre théorie de la pop, encore une, une par jour sur le site du Good Day. L'autre jour, c'est tout à l'heure, c'est demain, c'est peut-être aujourd'hui : c'est tout près. Mais c'est aussi le jour autre, un autre monde (vert), une autre terre : c'est assez loin. Voici la pop : l'utopie qui ne change rien, ni l'heure ni le lieu. L'utopie de l'ici-maintenant d'un iota déplacé de son socle. LA VOIX DE BRIAN ENO, je veux bien en parler, mais ce n'est pas vraiment la peine. Un titre sur deux de Before and After Science - toujours la même chose : l'avant et l'après, le jour même et autre, la nature et les machines  - est un instrumental. Sur Another Day on Earth, deux chansons au moins sont chantées par une voix féminine. Ailleurs, Eno a recours au vocoder, à l'écho, à plein de trucs sonores qui fait que sa voix - posée, belle, un peu grise - disparaît dans la brume. La pop ce n'est décidément pas le rock, où c'est toujours quelqu'un qui chante. Moi, Joe le rocker. Quand Eno chante, personne chante, ou les poissons. Eno n'est même pas un nom. Juste un sigle, un code. A L'HORIZON de tout disque pop il y a la disparition, une ferme perdue dans la campagne, une vie d'humilités et d'habitudes, des chiens qui jappent, des poissons ou des boucs. La presse musicale a beaucoup vendu cette mythologie, mais elle l'a fait mal : elle en a fait un programme d'existence. Or c'est, pardon de la blague, un programme d'inexistence. Tout sauf un programme. Pas même un horizon. Quand Brian Eno chante - par exemple Caught Between, que j'écoute tandis que je tape -, il laisse toujours de la place pour suggérer la possibilité qu'il pourrait aussi bien faire autre chose. Quoi ? Tout ce que vous voulez. Quoi ? Ce n'est pas le problème, car l'autre chose nichée dans le blanc de la musique, c'est vous, l'auditeur. C'est vous qui faites autre chose, en faisant ceci : écouter Brian Eno.  PASSING OVER succède à Caught Between sur Another Day on Earth. La chanson d'après s'appelle How Many Worlds. Combien de mondes ? Il y en a onze sur ce disque. Tous sont graves, lancinants,  un peu abîmés. Cependant parfaits. Another Day on Earth est un disque parfait. Il supporte beaucoup d'écoutes. Sa douceur est merveilleuse. Dans les semaines qui viennent, on ne pourra faire autrement que tourner autour de la douceur du chant pop. Disons aujourd'hui qu'elle est au moins ceci : une voix qui ne s'adresse pas à vous, qui ne vous interpelle pas (ça, c'est le rock), mais qui est la vôtre, déjà. Pas une voix qui vous parle. Une voix qu'on vous donne, avant de passer à autre chose. TOUT LE MONDE SAIT QUE LA MÉLANCOLIE est devenue un terrible cliché critique. Un film semble glauque ? Non, il est mélancolique. Réactionnaire, ce livre ? Mélancolique. Sinistre, ce disque ? Mélancolique. On met tout ce qu'on veut dans l'adjectif : une nostalgie bien comprise ; le sentiment de l'enfance perdue ; la conscience du tragique des destinées humaines ; et même l'évanescence de quelque ancienne colère politique. L'esthétique et l'idéologique se mêlent pour produire une note de pure psychologique, comme c'est pratique. Qui irait attaquer un mélancolique ? Non seulement il va mal, mais en plus il souffre en douceur. Nous ne dirons donc pas qu'il y a de la mélancolie dans les disques d'Eno, bien qu'il y en ait, et qu'on s'en réjouisse. Nous dirons plutôt qu'ils sont une longue plainte gaie. La voix se plaint, les instruments encore plus, il leur arrive même de pleurer. Brian Eno est un homme serein et désespéré. UNDER est l'avant-dernière titre d'Another Day on Earth. C'est le plus beau du disque - avec la deuxième moitié de Bottomliners, qui prétend inventer des « nouvelles formes de romance pour le futur ». Eno y chante en chœur, seul. Merveille de la technique. Under dure longtemps, c'est une chanson qui ira au moins jusqu'en 2010. Date à laquelle Eno aura achevé la composition de deux nouveaux albums, Music for Internet et Music for Mars.

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