Vous venez de cliquer sur cet article, parce que vous avez vu le nom de Katsuni. Et tout est dit. Son succès est immense, certainement la plus grande star de l’histoire du porno français. Et son travail tentaculaire. Une marque de lingerie, une ligne de t-shirts ou de sextoys. En plus de toutes ses performances filmées ou live. Et puis, il y a ses mots, que l’on peut lire en particulier sur son blog des Inrocks. Katsuni est une star et une femme d’affaire. Intello sans le revendiquer et ostentatoirement sexy. Petite, elle se cachait pour lire les grands auteurs mais aujourd’hui, exhibe ce que certains trouvent l’intimité absolue. Paradoxal.
Et comme les paradoxes sont les seuls intérêts de cette vie, on a voulu en savoir plus.
Si Kastuni répond immédiatement à notre demande, il aura fallu un mois pour réunir toutes les réponses. La faute à un emploi du temps surchargé et à la volonté de réfléchir chacun de ses mots.
Les réponses atterrissent dans notre boîte mail à 5h du matin, le jour de la Saint Valentin.
Commençons par cette censure de la publicité pour allo resto. Est-ce la première fois que tu es censurée ?
Non, j’ai l’habitude. Par exemple mon procès en 2007 qui m’a contrainte à changer de pseudonyme (alors que j’étais détentrice de ce nom comme marque, en France et à l’international et que je l’utilisais depuis 7 ans) et l’arrêt de mon émission Les mangas sexy de Katsuni sur MCM. Parallèlement la censure peut être plus subtile que cela. Elle peut avoir lieu lors d’une émission de télé ou radio où l’on vous coupe la parole ou au montage.
À partir du moment où je m’exprime en dehors de la sphère pour adultes et que je m’adresse au plus grand nombre, je m’attends à ce qu’on cherche à modérer mes propos, à contrôler davantage mon image. Gregory Dorcel a réagi avec beaucoup de lucidité face à cette censure. On m’accuse de contribuer à l’image de la femme-objet, à me présenter dans des situations dégradantes alors que je ris d’un métier dans lequel je m’épanouis et pour contre-attaquer on me demande de me taire. Faudrait-il que je ferme ma bouche (dans tous les sens du terme) pour être quelqu’un « d’honorable ». Il me semble assez paradoxal de vouloir défendre l’image des femmes en voulant les museler.
Comment as-tu réagi en apprenant cette décision ?
J’ai souri. « Tiens, une fois de plus ! ». Les termes employés dans la plainte sont tellement ridicules… mais j’ai été atterrée du fait qu’elle ait été considérée. Derrière le ridicule il y a tout ce que ça représente sur le rapport entre la peur de certains et leur volonté de condamner sans volonté de prendre de recul. Néanmoins cela ne nous a pas empêchés de remporter le titre de meilleure vidéo aux E-Marketing Awards !
Parlons de ton métier, puisque tu es certainement l’actrice qui a su le mieux tirer profit de la pornographie. D’abord, qu’est-ce que ça fait d’avoir un nom qui est devenu une marque ?
Faire de son nom une marque et l’exploiter est un signe de réussite mais ce n’est pas l’essentiel pour moi. J’ai toujours considéré mon métier comme une aventure à part entière, une expérience personnelle me permettant d’explorer ma sexualité, une manière de m’épanouir. Ce qui m’importe est de pouvoir partager ce qui me fait vibrer, de savoir qu’avec moi d’autres personnes vont partager ce plaisir à leur manière. Le reste découle de ça, ce n’est pas un but mais une conséquence : créer une marque de lingerie (Petit Coeur), une ligne de T-shirts (Otaku), de sextoys (Fleshlight), des sites internet…Tout ça est très stimulant car j’aime la variété. Chaque activité est un pion.
D’habitude, les actrices parlent d’utiliser le porno pour passer au cinéma traditionnel. Ce qui ne fonctionne quasiment jamais d’ailleurs. Toi, tu as décidé d’exploiter à fond le filon. Comment as-tu construit tout ça ? Était-ce un plan que tu avais en tête depuis le début ?
« Exploiter le filon » non, vivre les choses jusqu’au bout, oui. C’est m’exprimer à travers le porno qui m’intéressait, pas autre chose ; maintenant il est assez logique, surtout lorsqu’on a acquis un nom, de tenter l’expérience dans le cinéma dit « traditionnel », ce n’est pas si absurde mais si tout le monde n’est pas capable de se mettre nu devant une caméra et être excitant, c’est encore un autre travail que de savoir jouer la comédie, être juste. Il faut aussi que des réalisateurs talentueux aient l’audace de travailler avec des acteurs/ices issu(e)s du X et ça reste quelque chose de rare. Rencontrer des personnalités du cinéma quand on fait mon métier n’est pas difficile mais beaucoup sont eux-mêmes consommateurs de porno. Ce n’est pas la comédienne potentielle qu’ils veulent rencontrer, ils veulent l’actrice porno, réaliser leur propre fantasme et toucher du doigt l’industrie que représente cette femme…ou la femme elle-même. Pour moi la ligne de conduite a toujours été la même : faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux et surtout, toujours se faire plaisir. Lorsque j’ai débuté je n’avais pas de plan, de stratégie, je ne voulais même pas être connue. Mais j’ai toujours suivi mon instinct.
Le monde du porno est l’un des rares mondes (avec le mannequinat peut-être) où les femmes sont plus connues que les hommes. Pourtant, elles n’avaient pas les rênes pendant longtemps. Aujourd’hui, as-tu l’impression que les choses changent ? Avec des sites comme Dorcelle par exemple, ou Slutever.
C’est aussi avec le mannequinat il me semble le seul métier où les femmes sont mieux payées. Celles qui ont un nom vont l’exploiter pour développer un business (beaucoup produisent et réalisent leur propre contenu pour leur site internet officiel) et c’est naturel de vouloir passer derrière la caméra quand on a une bonne connaissance du milieu et que l’on pense à une reconversion. Il y a aussi une meilleure conscience du marché et, parallèlement, une demande du public pour une approche différente, plus « sensible », ce à quoi un site comme Dorcelle a envie de répondre. Mais que des femmes ne produisent pas ne signifie pas qu’elles « n’ont pas les rênes », c’est aussi parce que beaucoup peuvent gagner plus de revenus autrement. Réaliser et produire sont des métiers à part entière avec des contraintes qui leur sont propres. Personnellement je trouve beaucoup plus facile d’être actrice que réalisatrice.
Te sens tu responsable en partie de cette évolution ? Les jeunes actrices que tu vois sur les tournages ne te disent-elles pas que tu es un exemple ?
Responsable de cette évolution non mais je pense que toutes les femmes qui parviennent à grandir avec ce métier et à l’exprimer donnent une image positive et contribuent à faire évoluer les mentalités. Certaines jeunes actrices m’envoient des messages très mignons et/ou me demandent conseil. Je prends parfois le rôle de la grande sœur, mais d’autres ont un esprit « Poussez-vous j’arrive » et sont très arrogantes. J’imagine que c’est là une manière de se rassurer.
Comment résumerais-tu la pornographie du 21ème siècle ?
Industrielle. C’est devenu une usine, un fast-food géant où l’on produit non pas du désir mais de purs produits masturbatoires. On cible sur les stimuli et on en obtient du contenu ultra efficace. Cela correspond à l’évolution de notre société et j’ai d’ailleurs largement contribué à ce type de porno mais il faut reconnaître qu’il puise peu dans l’imaginaire et même s’il existe des films scénarisés de qualité, des gros budgets, des parodies, des films très esthétiques, le porno depuis les années 90 et que l’on voit massivement à travers les films X, reste très formaté, régi par des contraintes liées à un marché. Normal, il faut bien rentabiliser mais si on a aujourd’hui du mal à considérer le porno comme un art c’est justement parce qu’il produit à la chaîne, se répète. Le porno américain est la parfaite illustration de ce glissement. Les gens qui sont en train de prendre la tête de cette industrie fabriquent un produit mais n’ont aucun intérêt pour le porno comme forme d’expression ou pour les gens qui l’incarnent sur les tournages. C’est la raison pour laquelle je m’intéresse désormais plus à la pornographie dans d’autres cultures ou d’autres domaines : l’érotisme asiatique par exemple (coréen, japonais), le hentaï, la littérature érotique, le cinéma indépendant. En tant qu’actrice et en tant que femme mes désirs évoluent, je cherche forcément ce qui me semble rare ou inédit.
À la télé ou sur internet, le sexe est partout. Tant qu’il est inséré dans des clips, des pubs, tout va bien. Mais dès que le sexe est vendu pour ce qu’il est, on a l’impression qu’il est de plus en plus censuré. Comment vois-tu le sexe dans les médias ? Et son avenir ?
Il y a un certain paradoxe entre d’un côté l’exploitation du sexe/sexy pour vendre et d’un autre les droits et la liberté d’expression qu’on accorde aux personnes qui travaillent dans les métiers du sexe comme les acteurs/ices X, les prostitué(e)s par exemple. Ils restent peu considérés et montrés du doigt. On leur reproche leur choix mais on leur reproche parfois encore plus de faire le choix de changer de voie. On en arrive à parler de réinsertion professionnelle comme s’il s’agissait de criminels alors que ce sont des métiers parfaitement légaux. C’est ce qui rend la présence d’une actrice X délicate dans les médias. On sait qu’il y a de fortes chances qu’elle fasse monter l’audience mais on ne veut pas qu’en ayant un discours trop positif elle fasse la promotion de son milieu, comme si dire « j’aime le porno » allait convaincre les spectateurs d’en faire et pervertir les jeunes générations. Il faut une excuse pour l’inviter. Ça fait des années qu’on me présente comme « ex-actrice porno » alors que je tourne encore. C’est révélateur. Il reste encore beaucoup de craintes mais je suis la preuve, en ayant été invitée sur des plateaux d’émissions très variés, en ayant mon blog chez les Inrocks, que l’on peut rassurer les gens sans nécessairement chercher à les convaincre que ce que l’on fait est bien ou mal, parce que finalement, ce n’est pas la question. Quant à l’avenir du sexe dans les médias ? Il fera toujours vendre, il sera donc toujours présent mais il y a des manières intéressantes de l’aborder et certaines chaînes et émissions font l’effort de parler plus de sexualité que de sexe, c’est une excellente chose. A ce niveau Brigitte Lahaie excelle sur RMC. Espérons que cette approche se développe également. J’y crois en tout cas, les gens sont en demande d’être guidés, rassurés et pas uniquement séduits. Mais après tout, si l’on peut enseigner dans la séduction, pourquoi pas !
Ton blog sur le site des Inrocks est un vrai plaisir à lire. Est-ce que tu considères faire du porno intello ? Est-ce que ce terme a du sens pour toi d’ailleurs ?
Merci ! Le terme intello sonne de manière péjorative, pour moi il désigne les personnes qui veulent se donner des airs intelligents sans pour autant l’être. Prendre un peu de distance et parler de son métier n’a rien d’intello, c’est juste proposer un angle différent, l’observer autrement que comme simple contenu. Quand on parle de porno, on ne parle pas seulement de films, on parle aussi de métiers, de personnes, de rapports humains, pas seulement sexuels ou économiques. Je souhaite dépasser l’anecdote pour amener vers une réflexion sur la pornographie en général, son rôle dans la société, dans ses relations hommes/femmes, le couple, le rapport au corps, parce qu’au-delà des films c’est un vrai phénomène de société et une manière de s’exprimer, de dominer, de parler de notre sexualité, de nos fantasmes et donc de nos tabous et de notre culture; c’est passionnant. En revanche lorsque je vis le porno, en tant qu’actrice, sur un tournage, je suis avant tout dans l’action immédiate, le plaisir physique et mental. J’expérimente bien souvent d’abord et j’analyse ensuite.
Tu écris très bien. Que représente le mot pour toi ? Est-ce important ?
Merci !.. et bonne question ! Le mot est au centre de ma vie. J’ai beaucoup de souvenirs d’enfance, de ma découverte des mots, de ma soif d’apprendre, de ma frustration à ne pouvoir communiquer vite et bien, de mon plaisir de me cacher pour lire puis écrire. Le mot n’est pas juste une info, il est l’un de mes outils préférés pour transmettre mes émotions. Aujourd’hui les mots continuent de m’accompagner puisque je me suis remise à écrire à travers le blog des Inrocks et je bosse sur mon livre. Partager mon expérience de cette manière, même si je veux toujours m’exprimer avec mon corps, est la manière la plus intime que je puisse utiliser pour raconter mon histoire. L’idée n’est pas juste de proposer une réflexion, de toucher le cerveau, mais aussi de bouleverser le cœur, les tripes, voilà le vrai défi. Les mots peuvent tuer comme ils peuvent donner beaucoup d’espoir, de l’amour et être aussi une magnifique manière d’exciter ! D’ailleurs pendant l’acte je suis extrêmement sensible à ça… Le mot dans ce qu’il porte de sens, dans sa manière d’être prononcé, la vibration qu’il émet, sa musicalité, a un pouvoir énorme.
Tu as suivi des études de politique et de lettres. Tu voulais devenir prof je crois. Est-ce un regret ? Est-ce que tu t’es sentie en décalage avec le monde du X avec cette culture ? Ou le X est-il beaucoup plus cultivé qu’on le croit ?
À Sciences Po j’avais en tête de me spécialiser dans l’ethnologie mais à dix-huit ans je manquais de maturité pour de telles études. L’idée de partager ma passion des Lettres en envisageant l’enseignement m’a ensuite semblé logique mais je me voyais difficilement m’adapter au système scolaire, suivre un programme, un cadre, des horaires fixes. Il me fallait être mon propre boss, prendre des risques, aller sur le terrain et ouvrir de nouvelles portes. Je me suis vraiment sentie comme une extraterrestre en venant dans le monde du X mais j’ai immédiatement aimé la folie qui y règne, c’est ma petite cour des miracles. En fait je me suis toujours sentie en décalage avec la plupart des milieux dans lesquels je me suis trouvée mais je peux m’amuser de tout. Quant aux personnes qui composent ce milieu, si on a sans doute tous notre petit grain et que l’on bosse avec notre corps, ça n’exclut pas qu’il y ait des gens intelligents, intéressants et/ou cultivés. Je reconnais cependant que de rester trop en immersion dans un milieu quel qu’il soit, peut marginaliser, voire abrutir.
Quelles sont tes influences en art ? Ciné, littérature, peinture…
Je pense être bon public en cinéma, j’aime tous les genres mais j’ai un faible pour le cinéma asiatique, en particulier coréen. J’y ai découvert des perles comme Sympathy for Mr Vengeance,Mother, Castaway on the Moon. J’aime le cinéma qui mêle violence, réalisme et poésie.
En littérature j’ai eu le choc de ma vie en sombrant dans l’œuvre sublime de Bataille avec Histoire de l’œil, puis Ma mère, l’Érotisme… je dévore tout ce qu’il a écrit, c’est une révélation. Étudiante mes maîtres étaient Baudelaire, Camus, Anouilh, Huysmans, Poe, Maupassant et j’étais très sensible au Romantisme Noir et à la Décadence.
Je ne suis pas connaisseuse en peinture en revanche mais je m’intéresse à l’univers de la BD, j’ai d’ailleurs un projet dans ce domaine.
Aurais-tu encore des talents cachés que tu aimerais partager ?
Pour mon plaisir personnel je compte me remettre à dessiner mais en ce moment je bosse surtout sur mes nouveaux shows qui exigent une préparation physique intense. C’est l’un des nouveaux défis que je me donne cette année et j’ai hâte de le partager avec vous.
La pornographie, c’est comme le sport, on est jeune retraité. Comment imagines-tu la suite ? Quand tu ne tourneras plus ?
Lorsque j’ai regardé Rocky Balboa ou The Wrestler j’ai vraiment pensé à ce parallèle entre sportif de haut niveau et hardeur(euse). On est dans les deux cas dans le succès lié à la performance, la quête d’adrénaline, l’addiction, l’argent rapide, et en même temps à la précarité, une grande solitude liée aux sacrifices, au jugement de l’entourage ou au fait qu’on se soit marginalisé en s’immergeant dans un microcosme régi par des règles hors-normes. Je compte bientôt publier un article sur mon blog à ce sujet, j’ai récemment interviewé un ancien combattant d’UFC pour parler de ce parallèle… La suite ? Elle est maintenant. Je continue de gérer ma marque et mon business mais plus que jamais je suis dans la création. J’écris, je m’entraîne chaque jour pour mes nouveaux spectacles. Ce n’est pas une reconversion, c’est une évolution. Au final, il s’agit de poursuivre ma quête personnelle. La pornographie est un jeu qui me plaît, un moyen d’expression intéressant, mais je veux plus, beaucoup plus et je ne parle pas juste de sexualité. Je veux continuer d’expérimenter, vivre de nouvelles émotions, les partager, l’envie et le plaisir restent le moteur de tout ce qui m’anime.