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La langue arabe imposée aux populations berbères d’Afrique du Nord est tout simplement une forme de colonisation, écrit Alexandre Martinez, jeune étudiant passionné de langues, dont tamazight.
Alors qu’il était encore en prison, l’écrivain kényan Ngũgĩ wa Thiong’o a commencé l’écriture en langue kikuyu de Pour décoloniser l’esprit, son ouvrage le plus connu, signifiant ainsi son adieu à la langue anglaise.
Par la suite, Ngũgĩ continua ce processus de décolonisation en renonçant au christianisme et à son nom anglais. Ses théories ont inspiré nombre de militants africains confrontés à la marginalisation des langues indigènes au profit de la langue coloniale.
Ce sont les langues européennes, parlées par les derniers colonisateurs en date, qui sont majoritairement tenues pour responsables de cette marginalisation. Mais il ne faut pas oublier la dominance coloniale de l’arabe en l’Afrique du Nord. La confusion entre Afrique du Nord et du Moyen-Orient illustre d’ailleurs bien ce problème
L’hégémonie de l’arabe
Les Amazighs sont les habitants autochtones de l’Afrique du Nord, une région qu’ils appellent Tamazgha. Leur langue, le tamazight, est parlée par des millions de personnes en Afrique du Nord et dans la diaspora amazighe.
Depuis l’expansion de l’islam au Maghreb au VIIe siècle, l’arabe est devenu la langue coloniale du Tamazgha. Dans tous les pays d’Afrique du Nord, le processus d’arabisation s’est fortement accéléré après les indépendances du XXe siècle, exception faite de la Tunisie, dont le premier président Habib Bourguiba a refusé d’adopter le nationalisme arabe de Nasser et a préféré se tourner vers l’Europe, et la France en particulier.
Mais l’arabisation, sous couverture de décolonisation européenne, est en réalité une colonisation aboutissant à de fortes discriminations envers la langue tamazighe. La France a reconnu le tamazight comme faisant partie de son patrimoine linguistique, ce qui n’est toujours pas le cas dans le Maghreb.
Que vaut la décolonisation linguistique si seules les langues européennes sont prises en compte ? L’arabe a été aussi destructeur pour les langues africaines que le français ou l’anglais. Les pratiques discriminatoires dans les écoles continuent d’exister de nos jours. Les langues africaines disparaissent au profit de l’arabe, supposé plus prestigieux. Cette imposition de l’arabe fait donc des Amazighs des Arabes, ce qui est loin d’être le cas.
Une lutte contre la répression linguistique
En fait, les politiques d’arabisation avaient pour but d’unir les « peuples arabes ». A la place, cette imposition violente a débouché sur l’aliénation de l’identité amazighe, et à de fortes discriminations.
Aujourd’hui encore, les parents voulant donner un nom amazigh à leurs enfants se voient octroyer un refus, une pratique dénoncée par les associations de défense des droits de l’homme.
Battre les enfants pour qu’ils abandonnent leur langue est une pratique courante. Malgré le rôle dominant des populations amazighes en Tunisie notamment, le tamazight continue d’être exclu des langues officielles dans les pays concernés. Le retour sur le devant de la scène d’islamistes tels que Rached Ghannouchi ne va pas améliorer la situation.
Lors d’une séance parlementaire au Maroc, la député Fatima Tabaamrant s’exprima en tamazight, ce qui donna lieu à un arrêt interdisant l’usage de cette langue au sein du Parlement. L’opposition islamique au tamazight et à son alphabet (tifinagh) est donc en plein essor.
L’Afrique du Nord connaîtra peut-être dans le futur un rejet de l’arabe et un retour des langues autochtones. La décolonisation n’est pas qu’une métaphore : le rejet de l’hégémonie arabe en Tamazgha passe d’abord par la lutte contre la répression linguistique.
Par Alexandre Martinez