Boulevard de la mort (Death proof)

Par Kinopitheque12

Quentin Tarantino, 2007 (États-Unis)

Cinéphage, Quentin Tarantino trace sa route quelle que soit la voie empruntée : il avale des kilomètres sur de larges autoroutes américaines (film de truands, quasi-western), sur des chemins de traverse (blaxploitation) ou lors d’itinéraires exotiques (chanbara, plus largement arts martiaux). Ici, le genre auquel il affilie son film, le grindhouse*, est moins apprécié sinon par une plus petite poignée d’aficionados. La voie est en effet caillouteuse, cahoteuse, aujourd’hui presque abandonnée. Tarantino ouvre donc à nouveau le passage et lance un boulevard vers la mort, sexy et violent voire plus encore…

TÔLE FROISSÉE
Le moteur gronde et, menaçante, la Chevrolet noire du serial-killer Stuntman Mike (littéralement « Mike le cascadeur ») cartonne les minettes en voiture croisées sur sa route. Kurt Russel dans la peau de ce Mike n’avait pas joué un rôle aussi remarquable (parce que complètement fendu) depuis le désormais mythique Snake Plissken. De cette façon, à bord de son bolide trafiqué pour être « à l’épreuve de la mort » (Death proof), Stuntman Mike tire sa jouissance des accidents qu’il provoque, en envoyant les filles initialement en vadrouille dans le décor. La ressemblance avec Crash de David Cronenberg (1996) s’arrête là. En fait, la référence majeure aux films de bagnoles citée dans Boulevard de la mort est une série B (ou Z ?), Point limite zéro de Richard C.Sarafian (1971).

CINÉPHILIE OU FÉTICHISME ?
Au bout d’un divan en gros plan, sur les tables, sur le tableau de bord des tires filant à vive allure, ils sont léchés, chatouillés ou violemment arrachés et gisant sur la chaussée ; les pieds que vénère Quentin Tarantino sont de sortie durant tout le film, mais ne constituent peut-être pas là tout le fétichisme affiché par le cinéaste dans cet opus… Non seulement Tarantino puise dans sa culture cinématographique et emprunte à droite à gauche pour confectionner ses propres œuvres mais en plus se cite constamment lui-même. Ces citations s’emboîtent parfois à la façon des poupées russes (un élément référent renferme un autre élément référent) : ainsi, les Chevy Nova vues dans Reservoir dogs (1992), Pulp fiction (1994) et Boulevard de la mort sont de même modèle (la grosse poupée qui renferme…), la voiture en question dans Boulevard de la mort porte les couleurs de la tenue et de la moto de la mariée (Uma Thurman) dans Kill Bill vol. 1 (2003), jaune avec une bande latérale noire (…une poupée plus petite qui renferme…), de cette même voiture jaune à bande noire sort Lee (Mary Elizabeth Winstead) en tenue de « cheerleader » jaune à bande noire (…une poupée plus petite)et la présence de la pom-pom-girl renvoie à un film grindhouse, Revenge of the cheerleaders de Richard Lerner (1976). En outre, dans cette séquence, la mélodie de Twisted Nerve, morceau de la bande originale de Kill Bill, retentit en sonnerie téléphonique… Ces citations s’organisent parfois différemment (un élément est le référent de plusieurs autres) : Jungle Julia s’étend de toute sa longueur dans son canapé sous une photo immense, cette photo représente Brigitte Bardot dans la même position (dans Les bijoutiers au clair de lune de Roger Vadim, 1958), la position de Jungle et de Brigitte s’inscrit en correspondance avec celle de la blondinette (la copine de Robert De Niro et de Samuel L. Jackson) languissante sur son canapé en petite tenue et les pieds nues dans Jackie Brown (1998)… Une myriade d’autres exemples pourrait être donnée et des sites internet s’amusent à les recenser (au hasard http://www.tarantinofiction.com/recurrent.php). Ainsi, je ne crois pas qu’il soit faux de dire que Tarantino confère par son œuvre une certaine unité au cinéma et que c’est, entre autres, celle-ci que louait Claude Lanzman en citant le réalisateur américain lors de son discours d’ouverture du 61e festival de Cannes (Lanzmann était fier de constater l’unité et la diversité du cinéma et prenait pour exemple ses propres métrages et ceux de l’Américain, président du jury cannois en 2004).

AU CHAT ET A LA SOURIS
Deux parties composent ce Boulevard de la mort. Dans la première Mike course les jeunes filles et s’amuse, dans la seconde il est coursé et déguste. La forme les distingue : c’est ainsi que le film commence avec les défauts des pellicules usées à force de diffusions dans les vieux appareils de projection des cinémas de quartier (mauvais raccords de son ou d’image entre les scènes, déjà vus dans Jackie Brown ou Kill Bill, grosse poussière à l’écran, passage « accidentel » au noir et blanc et brusque retour à la couleur). Les apartés fameux des personnages de Tarantino sont toujours de mise et le spectateur est convié à lire de petits textos amoureux échangés au cours d’une soirée ou à écouter de longues conversations sur le cinéma, le sexe et les caisses avant de n’entendre plus que le vrombissement des moteurs. Le programme grindhouse proposé par Tarantino et son acolyte Robert Rodriguez n’a pas trouvé de public à sa sortie en salles, pourtant le seul Boulevard de la mort laisse comme une odeur de caoutchouc brûlé sur l’asphalte et ce n’est pas désagréable du tout.



* Le grindhouse, quand il désigne un film, est le sous-genre des sous-genres mêlant souvent sexe et violence. Les slashers, les films gores et de manière générale l’ensemble des films d’exploitation sont considérés comme grindhouse. Dans les cinémas spécialisés, dits aussi grindhouse, ces films sont diffusés par deux (double feature) et celui qui a été joint à Boulevard de la mort est Planète terreur de Robert Rodriguez. Devant le bide rencontré aux États-Unis lors de leur sortie en salle, les films ont été reformatés (allongés de quelques minutes) et présentés séparément sur le reste du marché mondial. Le concept voulu par Tarantino a donc avorté.



En note : dans l’excellent cafe-geo, Bertrand Pleven offre dans sa critique de cinéma une analyse géographique du film et s’intéresse à ce que Tarantino nous dit et nous montre des espaces (marchands, privés, ruraux…), l’œuvre du réalisateur étant elle-même un espace réticulaire qui met en relation des temps, des lieux, des cinémas variés : « N’y voir qu’une compilation montée par un fan limite la portée de l’œuvre, il s’agit d’un film qui revisite des images déjà vues certes mais qui propose aussi une réflexion sur l’intertextualité présente dans tout film. […] A la fois mise en réseau de films (majeurs et mineurs) et cartographie des pratiques spatiales des jeunes américains, Death proof donne ses lettres de noblesse à une culture populaire riche d’enseignement sur la société américaine… ».