Des fenêtres du train express pour le
centre-ville, je revois Pékin, trois ans après l'avoir quitté, et dans
la demi-heure qu'il faut pour gagner Dongzhimen je passe de la déception
à une étrange allégresse. Je suis de retour en terre familière.
Pendant
une année ces tours ont été le théâtre de mes petites joies et
peines, un théâtre involontaire et qui s’en fout, un grand bazar dont
personne n’a l’inventaire et où je fourrageais avec, selon les jours,
émerveillement ou déception.
Chacun y cherche son trésor en fait, comme une bande de gosses qui se déguisent
avec les costumes des aïeux mangés aux mites; on fait son champ de
bataille d’une pile de cartonnages; on troque une gourmette trouvée là contre un vieux ressort d’horloge. On invente
un ordre à ce foutoir dans lequel on se trouve vivre, on s’y attache, on donne des noms d'amour ou d'affection aux choses, aux
personnes et aux lieux.
A cette gargote à crêpes dans
une courette entre les tours, à son vélo grincheux, à toutes les
bizarreries d’une vie transplantée là.
Et il suffit que
l’on absente pour qu’une couche de sédiments - l’action des autres - se
dépose sur les noms que nous avions donnés.
En deux
ans Pékin a encore poussé, comme un adolescent. Et la trace matérielle de
mes souvenirs a été recouverte par ces sédiments, un peu
comme leur empreinte dans ma mémoire, ambrée par le temps.