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Inde, puissance, Asie

Publié le 17 février 2013 par Egea
  • Asie du sud
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Le voyage du président de la république en Inde a donc été l'occasion de quelques articles sur ce pays. Toutefois, une remarque liminaire : celle du faible nombre d'articles, justement. Au lieu de parler de la vache sacrée, on a parlé du bœuf sacré (je précise, pour ceux qui liront cet article dans deux mois et ne comprendront pas : grand émoi cette semaine autour de la viande de bœuf de lasagnes industrielles qui s'est trouvée être de la viande de cheval). Chacun ses tabous. Cette négligence européenne (toutefois, je fais attention, car je subodore que le Royaume-Uni continue de porter une grande attention au "sous-continent") doit être regardée en contraste de la fascination pour la Chine. En fait, dans l’émergence, l'Occident est fasciné non pas le mouvement lui-même, mais par le premier, la Chine, vécue comme le nouveau concurrent. Et si personne ne conteste l'émergence indienne, chacun la regarde avec une sorte de morgue et de mépris sous-jacent. Dommage, parce qu'à dépasser ses propres représentations, on verrait les opportunités.

Inde, puissance, Asie
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1/ Le géopolitologue ne parlera pas, bien sûr, des incantations habituelles des journalistes sur "la plus grande démocratie du monde". Du moins, il ne commencera pas par là. Il posera d'abord la question de la "position" relative de l'Inde, afin de décrire son dispositif géopolitique.

2/ J'ai utilisé, en introduction, l'expression de "sous-continent indien". Je ne sais ce qu'est un "sous-continent", car déjà, la notion de continent est difficile à appréhender. Peut-être veut-on signifier par là que l'Asie étant tellement grande (et donc, paradoxalement, incontinentale), il est commode de la découper en morceaux plus facilement appréhendables : Proche- et Moyen-Orient, Asie centrale, Asie du sud-est, Asie orientale... je vous ai déjà parlé de la limite de ces dénominations, me semble-t-il. Et si on entend parfois parler d'Asie du sud, le "sous-continent" est plus volontiers employé : manière de suggérer la prééminence de l'indianité dans cette portion d'Asie qui est barrée au nord par l'Himalaya, et entourée au sud par un océan qui est, vous l'avez deviné, "indien".

3/ Cet espace "indien" est circonscrit par la géographie : au nord l’Himalaya, donc. A l'ouest, au-delà de la plaine de l'Indus, les contreforts des plateaux afghans. A l'est, au-delà du delta du Gange et du Brahmapoutre, par la chaîne de l'Arakan Yoma qui marque la limite avec la Birmanie, et au-delà l'Asie du sud-est.

4/ Car voici une première piste : l'Inde n'occupe pas tout l'espace indien et d'autres pays sont "indiens" : Pakistan, Bangladesh, Sri-Lanka, Maldives, Bhoutan, Népal, ... Voici donc une première dimension de la géopolitique de l'Inde (et de ses voisins) : comment organiser les relations d'une ensemble géographiquement étendu, comprenant de multiples catégories (ethniques, religieuses, culturelles, ...) ? et accessoirement, en géopolitique intérieure, comment un pays comme l'Inde (mais aussi, ce qui est rarement vu, comme le Pakistan voire le Sri-Lanka) réussit-il à conjuguer ce dialogue à l'intérieur de ses frontières ?

5/ Cette dynamique interne à l'espace indien s'articule à une dynamique externe, propre à l'espace asiatique. Alors, si l'Inde est souvent lue comme le grand rival du Pakistan, ce dernier n'est pas le grand rival de l'Inde. C'est la Chine. L'opposition sino-indienne marque profondément la géopolitique asiatique. Elle se déroule à mots couverts, mais la montée en puissance chinoise agace du côté de New-Delhi. Ainsi s’explique le maintien de bonnes relations avec la Russie, le développement de relations appuyées avec les États-Unis, mais aussi la recherche d'alliances tierces, comme par exemple celle de la France.

6/ La posture traditionnelle d'indépendance de Paris rassure. Certes, elle peut paraître bien fade mais l'éclat de 2003 au moment de l'affaire irakienne, ou les solos successifs en Géorgie, en Libye ou au Mali rassurent : voici un pays qui a une politique de puissance, ce qui n'est pas mal vu. Et qui a les moyens militaires et technologiques de mettre en œuvre cette politique, ce qui est beaucoup plus intéressant.

7/ Remarquons enfin que Paris offre une voie européenne, distincte de la voie britannique. Il est probable que ce facteur joue dans la perception indienne. Non seulement Paris a plus à offrir en terme de technologie, mais en plus, elle n'est pas l'ancienne puissance coloniale. Cela doit jouer, pour une part.

8/ Ceci explique les relations en cours. Elles vont bien au-delà du souvenir des comptoirs indiens (souvenir totalement disparu ici comme là-bas, cf. Billet). Mais attention : la France est inconstante. Ce n'est pas la première fois qu'elle manifeste de l'intérêt envers Delhi pour l’oublier un an plus tard. Il serait bon que cette fois, les considérations d'intérêt soient capables de l’emporter dans la durée, et ne cèdent pas la place au romantisme échevelé qui est trop souvent la marque de Paris.

O. Kempf


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