Magazine Coaching

Les premières fois

Par Marc Traverson

En coaching, aussi bien qu'en thérapie, il y a bien des enjeux qui se nouent (et jouent) lors de la première rencontre, qui donnent une intensité spéciale à ce moment, et qui font qu'on en garde généralement un souvenir précis, même longtemps après. Si j'osais, c'est quelque chose qui a à voir avec un rendez-vous amoureux. Ne vous méprenez pas : je file la métaphore. Puisqu'au fond il s'agit de savoir si l'on peut s'accorder. Et cela, c'est une alchimie d'une subtilité qui échappe largement à la conscience, si exercée soit-elle à repérer ce qui se joue dans l'espace de la relation.

Les coachs comme les psys sont (en principe) des professionnels de l'accordage. Ils ont l'œil, l'oreille, le cœur et le corps exercés à saisir ce qui discorde et ce qui rapproche, les petites vibrations, le sens qui circule sous les mots et le geste. Mais ils sont comme tout le monde : ils se trompent parfois, ou n'y comprennent rien.

Prendre rendez-vous pour travailler dans un registre de l'intime (comme tout travail en face-à-face), c'est prendre le risque de ne pas s'accorder. Risque pour le coach : ne pas être choisi comme coach par ce client-là. Enjeu économique (mes fins de mois), enjeu narcissique (suis-je nul ?), enjeu professionnel (qu'est-ce que j'ai raté ?); coup de canif dans son désir d'être l'opérateur d'un changement. Risque pour le client : un coup d'épée dans l'eau, répéter quelque chose qui ne marche pas, repartir avec plus de doute sur ce qu'est sa juste place.

Pour le coach qui débute, les enjeux de légitimité sont exacerbés. On a peur d'oublier quelque chose, on se focalise sur le cadre, on a besoin de certitudes et de sécurité. Et qu'on l'aime, ce client qui a fait appel à nous, et, par sa présence et sa demande, nous légitime dans ce métier impossible que l'on a voulu exercer!

Que ce premier moment soit source éventuelle d'inquiétude - de part et d'autre, au demeurant – n'a rien de surprenant, ou c'est qu'il n'y aurait guère de place pour l'inattendu, que les choses seraient jouées d'avance. Ce serait le contraire d'une relation ouverte au changement.

En écrivant ce papier, pourtant, je m'aperçois qu'au fil du temps je m'en suis largement délesté au profit de la pure curiosité. Laisser advenir. Voir ce qui se passe. Entendre en soi la petite musique du transfert. Parfois cela ne joue pas : pas ou peu d'harmonie, rendez-vous sans lendemain, on n'était pas la bonne personne, ou ce n'était pas le bon moment, ou bien il n'y avait pas de motivation sérieuse. Le client attend quelque chose de trop précis, ce qu'on lui offre (un cadre, un dispositif de travail) lui semble trop vague, ou différent de ce qu'il avait imaginé, ou vertigineux. On apprend à ne pas avoir de regret. On apprend.

Parfois, c'est le contraire ; on se reconnaît, et l'on devine très vite qu'à la condition d'y insister un peu, de s'y engager, la relation sera fructueuse, constructive, que l'on pourra s'y appuyer pour déployer de nouveaux possibles dans le plaisir de l'échange.

J'ai le souvenir précis d'un premier rendez-vous avec un analyste qui est, depuis, devenu un maître. C'était une période difficile, douloureuse. Après une heure de discussion, je suis ressorti de son bureau sur un petit nuage. Il ne s'était rien passé d'extraordinaire, je m'étais assis et nous avions parlé. Et pourtant ma perception du monde en avait été changé. Au retour, dans les couloirs du métro, tout me parut à la fois plus grand et plus précis, les visages des voyageurs semblaient vivants, éclairés. Mystère de la relation. J'étais arrivé quelque part, et j'y étais à ma place.


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