Affaire Goodyear : dans un courrier cinglant adressé au ministre du Redressement productif, le PDG du groupe américain Titan lui exprime sans ménagement son point de vue.
La semaine passée, mardi 12 février, Arnaud Montebourg avait annoncé que le groupe Titan International ne reviendrait pas à la table des négociations en vue d'une reprise du site Goodyear d'Amiens-Nord et de ses 1.173 postes menacés de licenciement. Les premières négociations avec Titan International, société américaine spécialisée dans la fabrication de pneus agricoles, avaient échoué l'automne dernier.
Le ministre du Redressement productif avait espéré un retour du groupe américain et s'était fendu d'une lettre le 31 janvier lui priant d'entamer des discussions. Le PDG de Titan international lui a répondu dans un courrier daté du 8 février, dont Les Échos ont publié hier soir une copie. Dans cette lettre, il exprime sans ambages les raisons qui lui ont fait renoncer au projet de reprise de l'usine d'Amiens-Nord : il fustige les méthodes de production française, la collusion entre les syndicats et l’État, ainsi que l'arrogance et l'inutilité du gouvernement français.
Voici la traduction de l'intégralité de cette lettre :
Le 8 Février 2013
M. Arnaud Montebourg
Ministère du Redressement productif
139, rue de Bercy
Teledoc 136
75572 Paris Cedex 12Cher Monsieur Montebourg,
De retour aux États-Unis depuis l’Australie où j’ai passé quelques jours pour affaires, veuillez recevoir mes excuses de ne pas avoir répondu à votre courrier daté du 31 janvier 2013.
J'apprécie le fait que vous pensiez que votre ministère protège l'industrie et les emplois en France. Titan et moi avons une expérience de quarante ans dans le rachat d’entreprises et d'usines déficitaires de plusieurs millions de dollars, et dans leur redressement en affaire viable jusqu’à verser de bons salaires. Goodyear essaie depuis quatre ans de sauver une partie des emplois à Amiens, avec des salaires particulièrement élevés, mais les syndicats français ainsi que le gouvernement ne font rien d'autre que bavarder.
J'ai visité cette usine plusieurs fois. Les salariés français touchent des salaires élevés mais ne travaillent que trois heures. Ils ont une heure pour leurs pauses et leur déjeuner, discutent pendant trois heures et travaillent trois heures. Je l'ai dit en face aux syndicalistes français. Ils m'ont répondu que c'était la façon de faire en France.
Vous êtes un homme politique, c’est pourquoi vous ne voulez pas faire de vagues. Les Chinois inondent le marché français de pneus – ainsi que toute l’Europe – et pourtant vous ne faites rien. Le gouvernement chinois subventionne tous les fabricants de pneus. Dans cinq ans, Michelin ne sera plus en mesure de produire de pneus en France. La France va perdre son activité industrielle parce que son État est plus qu’un État.
Monsieur, votre courrier formule la demande que Titan démarre une discussion. Pensez-vous que nous sommes si stupides ? Titan a l'argent et le savoir-faire pour produire des pneus. Mais que possèdent ces cinglés de syndicalistes ? Ils ont l’État français. L’agriculteur français souhaite des pneus à bon prix. Il se fiche de savoir si les pneus viennent de Chine ou d'Inde, et si ces États les subventionnent. Votre gouvernement s’en fiche aussi : « Nous sommes Français ! »
Le gouvernement américain ne vaut pas mieux que l’État français. Titan a dû verser des millions à des avocats de Washington pour poursuivre des fabricants de pneus chinois en raison de leurs subventions. Titan a gagné. Le gouvernement a collecté les droits. Nous n’avons rien perçu, tout pour le gouvernement !
Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins d'un euro l'heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin. Vous pouvez garder les soi-disant ouvriers. Titan n'est pas intéressé par l'usine d'Amiens Nord.
Cordialement,
Maurice M. Taylor Jr.