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« France in Denial » : The Economist a-t-il raison ?

Publié le 01 avril 2012 par Cambronne @CambronneLondon
L’attaque n’est pas sans rappeler celle des colonnes de bateaux de l’Amiral Nelson à Trafalgar, ou les assauts des troupes de Wellington sur les derniers carrés français à Waterloo. The Economista tiré à boulets rouges cette semaine sur la France, plus précisément sur les candidats à la présidentielle, incapables à ses yeux d’aborder les vrais sujets que sont la compétitivité économique, le déficit et la dette publique.
Dans deux articles où l’on sent poindre par moment une once de sarcasme, l’hebdomadaire fait surtout part de son inquiétude sincère quant à la capacité de la France à faire face à ses défis économiques, et ce dans un futur proche, sous peine de devenir la source de la prochaine crise en zone euro. L’éditorial, d’abord, pointe du doigt l’incapacité de la France à se réformer alors que tous les autres pays en difficulté de la zone euro tels que la Grèce, l’Espagne ou l’Italie ont su adopter une cure d’austérité. La situation économique de la France est, d’après le journal, quasi désespérée, et aucun des candidats favoris n’y apporterait de solutions satisfaisantes, préférant mettre en avant les thèmes inappropriés que sont le protectionnisme, la répression des évadés fiscaux, l’hostilité à l’immigration et la viande hallal. Rappelant ensuite la défiance des Français pour les marchés financiers et la mondialisation, l’article se termine en s’interrogeant sur le degré de sincérité des candidats.
Le deuxième article est une version plus détaillée du premier. Y est abordée l’incapacité de la France à financer son système social et à payer sa pléthore de fonctionnaires, ainsi que son manque de compétitivité, la fuite en avant des impôts etc. Y est aussi pointée du doigt la contradiction propre aux Français de profiter d’un niveau de richesse qui a été largement permis par les performances de ses entreprises leaders de l’industrie et des services, tout en condamnant le système qui leur a permis d’émerger, celui des marchés financiers, des banques, des spéculateurs et des agences de notations. Autre fait surprenant pour les observateurs d’outre-Manche, le fait que les débats économiques soient plus centrés sur la redistribution que sur la création des richesses, surtout à gauche. La conclusion est la même que celle de l’éditorial, à savoir une interrogation sur le degré de bluff ou de sincérité des candidats, qui ne semblent malheureusement pas préparés au choc de la réalité qui attend celui qui sera élu.
Voilà en substance pourquoi la France serait en plein « déni » et que la campagne serait « frivole ».
Malgré plusieurs constats très vrais, il convient tout d’abord de nuancer légèrement ce tableau. Les fondamentaux économiques de la France ne sont pas catastrophiques à la lumière des crises qui viennent d’être traversées. La comparaison avec l’Allemagne est certes désavantageuse, mais l’objectivité consisterait à reconnaître que la France dispose d’atouts certains : sa démographie, son niveau d’épargne, l’endettement limité des ménages, l’existence de leaders mondiaux dans tous les secteurs de l’industrie et des services, son niveau de productivité etc. The Economistévoque très rapidement quelques-uns de ces points, mais ils ne sont pas négligeables. Ils le sont d’autant moins en comparaison à une Allemagne vieillissante et un Royaume-Uni aux ménages et aux entreprises fortement endettés. De ce point de vue, la France n’est qu’à quelques réformes structurelles d’être un pays fortement compétitif.
Si nous poursuivons la comparaison avec le Royaume-Uni, nous pouvons quelque peu nous étonner de la réalité décrite par ceux qui aiment s’ériger en donneurs de leçons vis-à-vis des « froggys » quand ils voient chez lui une remise en question de l’orthodoxie libérale. En effet, si le Royaume-Uni paraît en meilleure posture que la France, c’est parce que 1) le gouvernement est protégé par la Bank of England qui n’hésite pas à imprimer des billets à tour de bras pour se positionner en acheteur ultime de la dette souveraine 2) les banques anglaises ont été relativement tenues à l’écart de la crise de la zone euro. Elles ont certes subi quelques dommages par répercussion, mais leur exposition aux pays périphériques – à l’exception de l’Irlande – était sans commune mesure avec celle des banques française à ses même pays. Mais si la dette de la France a été dégradée par une agence de notation, celle du Royaume-Uni est actuellement en perspective négative chez l’une d’entre elles. Le niveau de la dette du gouvernement français est supérieur à celui du gouvernement britannique (un peu au-dessus de 80% du PIB vs. Un peu en dessous), mais sa dette extérieure, prenant en compte l’endettement global des agents économiques (publics et privés) vis-à-vis de l’étranger, est presque deux fois inférieure à celle du Royaume-Uni, ce qui laisse plus de marge de manœuvre financière aux agents économiques. Le déficit public de la France est aussi largement inférieur (environ 2 points de pourcentage) à celui du Royaume-Uni, dont la dette augmente donc systématiquement plus vite, et les mesures d’austérité du gouvernement de David Cameron, souvent présentées comme un modèle de pragmatisme par The Economist, sont encore loin d’avoir eu les résultats escomptés.
Le Royaume-Uni a sans aucun doute de nombreux atouts, notamment en ce qui concerne la compétitivité et l’attractivité de sa place financière, mais il ne donnerait pas cette impression de « safe haven » si sa banque centrale ne venait pas calmer les marchés à coup de Quantitative Easing, qui n’est d’ailleurs en réalité qu’une bombe inflationniste à retardement.
Néanmoins, nos amis tapent juste lorsqu’ils s’étonnent des thèmes abordés au cours de la campagne présidentielle. En effet, plus d’énergie y est dépensée à démontrer que les salaires seront limités et les évadés fiscaux pénalisés qu’à débattre des réformes nécessaires pour améliorer la compétitivité de la France. Les Français sont sensibles à la morale et à l’égalité, et n’ont pas la même foi dans le système libéral que les Britanniques, même s’ils s’en sont toujours parfaitement accommodés. Ils n’acceptent pas l’idée (à tort ?) de la « réforme nécessaire » car ils aiment à croire qu’ils sont toujours maîtres de leur destin, et que leur Etat, tout-puissant, est toujours maître du sien. L’inconscient collectif ne peut accepter que le Président ne soit là que pour mettre en œuvre l’ensemble des réformes imposées par l’UE (l’Allemagne) et le FMI car ce serait un reniement, voire une démission du politique. Les Français croient encore, naïvement encore peut-être, aux choix politiques, avec les risques que cela comporte, tels que rater le train de la reprise économique et de l’assainissement généralisé des finances publiques.
Le prochain Président sera évidemment confronté à une réalité économique qui lui laissera une marge de manœuvre limitée, et un signal montrant la bonne volonté de la France à se réformer est attendu. Toute la subtilité de la situation sera d’accomplir ces réformes sans tomber dans une autre forme de « déni », celui des attentes démocratiques. Les plans d’austérité ont été mis en place en Europe comme une condition nécessaire à l’aide européenne et afin de rassurer les investisseurs, mais ils marquent aussi l’avènement des technocrates à la tête des Etats européens. Il est encore trop tôt pour dire si ces plans seront efficaces, mais du fait de leur ampleur, ils font courir un risque politique – notamment d’insurrection populaire – immense en Europe. La question de la dette française est certes cruciale pour la France et pour la zone euro, mais elle est à prendre avec des pincettes à l’heure où les populismes se réveillent. En France, les extrêmes regroupent pour le moment presque 30% des voix dans les sondages, et les partis de gouvernements ne parviennent à transcender les clivages, pris au pièges entre un Sarkozy qui a déjà promis la prospérité économique en 2007 et a perdu toute crédibilité dans ce domaine, et un Hollande qui ratisse les voix à coup de vieux poncifs socialistes complètement désuets.
Toute explication sérieuse, sur n’importe quel sujet, qui en arrive à la conclusion du mystère, de l’inexpliqué, ou – dans ce cas – du « déni », rate son objectif et manque l’essentiel. Si The Economist a raison dans bon nombre de ses constats, son analyse est beaucoup trop superficielle car elle ramène une réalité complexe à de simples questions macroéconomiques, comme si une dose de libéralisme était la réponse magique à tous les maux. La prospérité économique est certes le moteur de notre système politique et social, mais je suis persuadé que la campagne présidentielle actuelle traduit moins le déni de réalité des Français qu’une crise beaucoup plus profonde la société française, devant laquelle politiciens de droite comme de gauche sont impuissants car ils en ont été les initiateurs au cours des trente dernières années. La crise économique, sociale, mais aussi identitaire (cette dernière étant niée farouchement par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques) est en train de se décliner en crise politique majeure. C’est une crise nationale généralisée, dans laquelle l’affaiblissement de l’Etat et des institutions traditionnelles de la société telles que la famille et l’école renforce ce sentiment d’insécurité des Français vis-à-vis de la mondialisation, qu’ils ne se sentent pas prêts d’affronter. La frivolité apparente de la campagne ne fait que traduire l’impuissance d’une classe politique condamnée à « faire semblant », étant donné qu’elle a déjà échoué.
C’est en refusant les particularismes et en se rassemblant autour d’un même sentiment national qui transcendera les clivages que la France retrouvera la force d’effectuer des réformes structurelles et ainsi la prospérité. La France est donc moins dans un déni de réalité que dans un déni d’elle-même, de ses forces, et surtout de son identité. La question de la dette, de la compétitivité et du déficit ne sont que l’arbre qui cache la forêt de ce blues à la Française.

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