Magazine Médias

La Casamance, au coeur!

Publié le 22 février 2013 par Ksd @KarfaDIALLO
Le fleuve Casamance

Le fleuve Casamance

J’ai aimé la Casamance dans le regard perdu que mère posait sur Dakar et ses mirages. Je l’ai aimé comme cette odeur de terre rouge qu’exhalait Bignona certains soirs d’averse capricieuse. Je l’ai élevée au pinacle de ma mémoire comme la destinée ignorée du Sénégal.

La verbale indignation qui a suivi l’annonce de la mort de cinq personnes à Kafountine (Casamance) ce vendredi saint semble impuissante à masquer la négligence et la secrète résignation de l’Etat sénégalais. «Le chef de l’Etat et l’ensemble du gouvernement déplorent les pertes en vie humaine notées à la suite de l’attaque. Ils s’inclinent devant la mémoire des victimes, présentent leurs sincères condoléances aux familles éplorées et souhaitent au soldat blessé un prompt rétablissement » dit le communiqué du Gouvernement sénégalais qui fait part de sa  »détermination à assurer sans faiblesse la protection des citoyens’‘.

La vanité d’une indépendance irréaliste. Contrairement aux grands mouvements de révolte du début des années 80 qui ont mobilisé une bonne part des populations diolas de Basse Casamance (Ziguinchor, Bignona et Oussouye), qui, sur la base de spécificités géographiques, sociales et économiques, exigeaient une indépendance politique jadis incarnée par le MFDC, la résurgence régulière d’attaques mortelles de groupes armés semble devenir un phénomène banal isolant davantage une région malmenée par l’Etat sénégalais. Le diagnostic, quant à lui, n’a pas varié depuis l’indépendance: sous-exploitation du potentiel économique, prolifération de la faillite des projets de développement, carence chronique des infrastructures et exode massif des forces vives.

Verdoyante, enclavée et tenaillée entre deux pays (la Gambie et la Guinée Bissau) dont l’instabilité est le moteur, la Casamance porte en elle-même les germes de sa tragédie. Quand, profitant du passage de service entre le premier président du Sénégal indépendant et l’ancien Président Abdou Diouf, l’embryon politique de ce mouvement indépendantiste affichait au grand jour ses revendications en 1982, très peu avaient parié sur la survie d’une prétention aussi absurde. Dans une région divisée ethniquement, face à un pouvoir national fort et aux jeux de pouvoir et d’intérêts contradictoires, la rébellion aura tôt fait de jeter la politique aux orties et se sera surtout complut dans le banditisme, l’affairisme et la manipulation.

Depuis les accords de 2004 signés par feu l’Abbé Diamacoune Senghor dont l’autorité sur le mouvement s’était largement effritée par l’irruption d’une nouvelle génération plus vorace et par une longue résidence surveillée, aucune négociation sérieuse n’a aboutie tant le mouvement a été divisé par une pratique intensive et contre-productive de la corruption par le pouvoir national et par une « branche armée » que la conscience politique a désertée depuis longtemps pour faire place à une lutte pour la survie par tous moyens. Le bref espoir d’un retour à la paix, décembre dernier, suite à la libération surmédiatisée de quelques soldats retenus par une des nombreuses branches du mouvement armé aura fait long feu. Le pouvoir n’ayant pas pu embrayer sérieusement sur cette brèche ouverte.

Effet collatéral de la crise malienne ? Peut-on croire à un hasard quand cette récente violence en Casamance survient à quelques encablures de la crise malienne et au volontarisme récemment affiché de l’Etat du Sénégal de déployer énergie et moyens à la lutte contre le terrorisme islamiste ? Il y a fort à parier que les « indépendantistes casamançais » aient choisi de rappeler au nouveau régime sénégalais l’urgence de revendications qui sont de plus en plus celle « d’affairistes » jaloux d’un pré-carré qu’à force de menaces et de chantages ils ont réussi à se constituer.

L’instrumentalisation d’une « crise » juteuse. On ne peut nier que ce malheur sénégalais déjà trentenaire, qui arrache année après année son tribut de vies humaines, plonge dans l’amertume et le désespoir des milliers de familles, freine l’initiative, décourage les projets, déforme les villages et villes en champs de batailles, favorise toutes les peurs, épargne pour l’essentiel les dirigeants de deux bords. A l’exception notable de l’ancien président du conseil régional de Ziguinchor assassiné chez lui en décembre 2006 dans des circonstances troubles, les hauts fonctionnaires, les chefs rebelles, les multiples intermédiaires, les officiers militaires et autres politiciens protégés par leurs statuts sont les éternels grands gagnants d’un jeu de pouvoir et d’influence dont les casamançais sont devenus otages.

Et chaque nouveau régime de mettre la Casamance au rang de ses priorités. Légitimée par la sotte répression de l’ancien Président Diouf, séduite par Abdoulaye Wade dans sa victorieuse conquête et conservation du pouvoir entre 2000 et 2012, ce qui reste de cette rébellion attend un leadership national éclairé pour retrouver le chemin du foyer familial.

Macky Sall s’y est engagé. Il a notamment promis d’en finir avec la crise casamançaise en 9 mesures clés dont il serait grand temps d’en voir des prémisses. Dans son programme de gouvernement « Yoonu Yokute » pour lequel les sénégalais lui ont accordé leurs suffrages, il listait les premières décisions indispensables pour solutionner cette tragédie sénégalaise :

1. Audit de toutes les mesures politiques et économiques mises en place après les différents accords de paix.

2. Indemnisation effective des victimes du JOOLA, des mines et de la guerre et prise en charge des pupilles de la nation

3. Intégration des différentes factions du MFDC dans la vie politique nationale

4. Positionnement de la Casamance en Pôle Economique d’Importance Internationale en créant notamment une zone élargie de franchise industrielle

5. Réalisation d’un programme spécial de développement de la culture du riz de la Casamance pour atteindre l’autosuffisance alimentaire nationale en riz

6. Désenclaver la Casamance par différentes voies de raccordement : pont sur le fleuve Gambie, voie de contournement, reconstruction du pont Emile BADIANE

7. Promouvoir l’aménagement de nouvelles zones touristiques casamançaises et renforcer le positionnement de la Cap Skring (réhabilitation des aéroports de Ziguinchor et du Cap Skring aux normes des aéroports internationaux – Allongement des pistes, aérogares et systèmes de sécurité)

8. Construction d’un CHU sous régional doté des équipements les plus modernes et d’un institut de recherche d’envergure continentale

9. Revoir des modes opératoires des forces de sécurité, renforcer leurs équipements et moyens d’intervention dans le cadre de l’allocation d’un budget d’investissement annuel de 20 milliards.

En vérité, les différents gouvernements sont enfermés dans une médication invariable dictée par les nécessités de la politique politicienne et dont les prescriptions n’ont en rien, pour l’instant, soulagé le malade. Car, après 30 ans d’une rébellion dite « de basse intensité », les populations casamançaises recherchent un souffle, une respiration que des rebelles devenus aventuriers et un Etat ankylosé sont incapables de lui offrir. Farci de mines anti-personnelles et abandonné par les touristes (75 000 en 1980 à 20 000 en 2011), le sable fin de Cap-Skirring ne vit plus qu’au rythme des escarmouches, embuscades, assassinats et autres enlèvements et accidents. Le quotidien des casamançais ne cessant de s’assombrir obligeant sa jeunesse à abandonner rizières et champs pour s’engager soit dans l’aventure d’une rébellion qui même si elle n’aboutit pas donne un sens à une bien morne existence soit à grossir le rang des désoeuvrés de Dakar.

Je crois à la force du génie politique sénégalais. Il n’est pas possible qu’une aussi grande Nation soit incapable de venir à bout de cette misère. En réalité, la persistance de cette basse violence sudiste ne s’explique que par l’abandon de la jeunesse casamançaise par la République : le sentiment d’une injustice et d’un gâchis devant une région sacrifiée. Il ne s’agit tout au plus que d’une centaine de jeunes, manipulé par des désespérés et ambitieux, à qui l’Etat est incapable d’offrir un avenir décent. Ni la force ni la corruption ni le temps ne viendront à bout de cette plaie béante. La seule solution reste politique. Le Président Macky Sall semble l’avoir compris en promettant déjà lors de la campagne électorale  »une sorte de plan Marshall qui va accompagner le processus de paix…et surtout une discrimination positive en faveur de la Casamance pour relancer son développement ». Il a, plus que les anciens Présidents, les moyens et l’expérience nécessaire pour impulser une sortie de crise définitive qui donne, enfin, à cette région le rang auquel son potentiel lui donne droit. En faisant de Ziguinchor la 3ème ville à recevoir un Conseil des Ministres décentralisé et avoir annoncé que cette région serait pilote dans le cadre d’expérimentation de la nouvelle politique de développement territorial, le Président semble prendre date. Il convient à présent d’initier un Rassemblement National autour de la Casamance avec tous les acteurs économiques, sociaux, culturels et politiques afin de lever les fonds structurels nécessaires pour développer cette région. C’est d’une réelle et définitive volonté politique qu’il faut pour rendre à Alin-sitoé Diatta (héroïne de la lutte contre le colonialisme) tout ce qu’elle nous aura donné. Décidément, rien n’est joué !


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Ksd 657 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte