Ouhlala gros malaise ! Au pays des bisous s'est glissée une grosse louchée d'heures les plus sombres de notre histoire ! Alors que de gentils citoyens voulaient donner à tous la possibilité de participer directement à l'élaboration de la loi, de méchants parlementaires acquis à la Beuhête Immeuhonde se sont mêlés au troupeau à la foule pour détourner le sens profond de l'action entreprise. Populisme et carabistouille, tout ceci ne sent pas bon !
Cette affaire, je vous l'accorde, est un peu confuse mais l'émotion qui m'étreint m'oblige à retranscrire les derniers événements avec une certaine fébrilité. Reprenons calmement. Tout commence il y a quelques mois lorsqu'un groupe de jeunes qui en veulent et qui ont la niaque et qui y comprennent quelque chose aux technologies modernes des lolcats sur internet ont décidé de lancer un site web participatif, évidemment citoyen, parfaitement synchrone avec la République et en prise directe avec la démocratie. Ce site permet aux internautes de venir donner leur avis, leur ressenti au niveau du vécu, leurs idées, de filer des éléments de réflexion aux parlementaires qui entendent pondre des lois (et qui viendront bien évidemment sur le site, nombreux, pour discuter de tout ça avec le citoyen). On imagine d'ici les débats frémissants d'innovations et de propositions de lois toutes plus finement ciselées les unes que les autres au milieu d'une joie communicative de citoyens bouillonnants d'idées pour légiférer ici et là, avec de vrais morceaux de parlementaires dedans. Miam.
L'idée, technobranchée et médiatiquement compatible, est follement intéressante et, comme de juste, tout de suite repérée par plusieurs élus, dont (tadzam !) Marion Maréchal-Le Pen, élue Front National.
Gloups.
Immédiatement, l'initiative citoyenne n'est plus aussi festive. À la nouvelle qu'une telle abomination rejoignait les rangs des autres partis impliqués dans la réalisation informatique, André Chassaigne, le courageux député du Parti Communiste (oui, ça existe encore), a pris ses jambes à son cou et a décidé de ne surtout pas venir ; et puis, le combat de la bête immoôonde, du fascimse, et des heures les plus sombres, ça ne passera pas par lui, il a piscine juste à ce moment là.
D'ailleurs, la machine médiatique est tout à fait adaptée à combattre les vilains et les méchants et s'est empressée de prendre le relais de l'élu défaillant. À peine les octets du site Parlement & Citoyens étaient-ils électrisés que tout ce que compte le pays de rédactions vigilantes se dressait comme un seul homme pour faire connaître au monde médusé l'évidente tentative de noyautage de la noble initiative par le vilain petit canard boiteux de la politique française. Et voilà que Libération titre sans ambages "Le FN cannibalise le lancement du projet Parlement et Citoyen" ; et voici que Le Monde n'hésite pas et explique sobrement l'erreur dramatique commise par les citoyens-internautes trop naïfs : "Quand un projet "citoyen" ouvre sa porte au FN" Ouf, tout va bien, les phalanges progressistes attentives ont transmis le message, le peuple est au courant, il saura maintenant comprendre que, derrière l'idée, au départ intéressante, de le faire participer aux débats, se cache maintenant le serpent du facimse et du nazimse (voire plus si affinités).
On ne peut cependant s'empêcher de penser (c'est un gros mot, mais il faut en venir à ça, parfois) qu'il est très étonnant que tant d'électeurs Front National soient ainsi, systématiquement, stigmatisés par ce type de presse. Je ne parlerai pas de la nature pourtant banalement socialiste des propositions régulièrement portées par le Front National, puisque même s'il avait une ligne ouvertement bolchevique, le passé Lepéniste du parti lui assure à tout jamais le dégoût et le rejet des élites journalistiques et politiques du pays. Je m'attarderai en revanche sur le traitement bien particulier qui est réservé à ce parti-là en particulier. Le PCF participe généreusement à ce projet participatif, parlementaire, démocratique, citoyen et internautique et pourtant, Libé ne titre pas que le dernier bastion d'une idéologie mortifère tente un noyautage ou une cannibalisation.
Selon le journal même, la question se poserait spécifiquement pour le FN parce que, comprenez-vous, la fachosphère (terme pudiquement tenu à distance par des guillemets pour éviter la nausée, je suppose) pourrait faire une OPA sur le projet parce qu'elle est très active sur Internet. Tout le monde sait ça, voyons. Et selon le même journal, tout ceci est à relativiser parce que bon, tout le monde sait aussi que "collectivement, tous les autres partis représentés sont plus forts qu’eux donc il y aura un équilibre." Le collectivisme qui combat le collectivisme, c'est mignon tout plein.
Bref : d'un côté, tous les partis adoubés par la presse, propres sur eux, sont évidemment, parlementairement et démocratiquement pour une telle initiative citoyenne. De l'autre, le Front National, qui n'a pas reçu le feu vert de la presse ni des partis démocratiques, parlementaires, républicains et tout le tremblement, lui, n'est pas trop le bienvenu parce que vous comprenez, c'est un parti différent. Même s'il est régulièrement présent aux élections, même s'il joue complètement le jeu démocratique jusqu'au bout, même s'il est pile-poil dans les clous que la loi lui impose, pour le reste, il pue un peu du bec, donc bon, on n'en veut pas. Pour cette presse et ces partis, c'est Démocratique Mais Faut Pas Pousser, en quelque sorte.
La liberté d'expression, l'égalité en droit, tout ça, ce sont des truc réservés aux gens biens. Il faudrait être un salaud de libéral pour laisser les gens s'exprimer, hein !
Et puis... Et puis, il faut bien dire que toute cette opération est fort louche, finalement. Regardez : il s'agit, ni plus ni moins, que de donner la parole aux citoyens, de les laisser dire, directement, aux élus, ce qu'ils pensent de leurs projets de loi à la con. Tout ceci ne peut pas bien se terminer. Les fiers journalistes, qui avaient eu la (grosse) puce à l'oreille avec la présence de Marion Maréchal-Le pen dans le projet, n'ont pas mis longtemps à découvrir le pot-aux-roses ; l'un des fondateurs, titillé par les fines question du journaliste du Monde, finit par l'avouer carrément :
"Cet outil va permettre de créer un groupe de pression citoyen."
P$t£in de B*rd3l de m3rd¤ je le savais Mon Dieu C'est Horrible. Voilà donc la terrible découverte : l'outil, séditieux s'il en est, va donc autoriser la création de groupes de pressions citoyens, et ce d'autant plus facilement que l'auteur de la plateforme n'est autre qu'un ancien lobbyiste ! C'est abominable, quand on y pense : si, maintenant, les citoyens se piquent de participer à l'écriture des lois qui vont ensuite les gouverner, où va le monde ma brave dame, où va le monde ?
Et surtout, où va Le Monde, où va Libération ? Entre cette version délicieuse de la liberté d'expression et de la démocratie qu'on espère réserver aux seuls gens qu'on juge bien sous tous rapports, et ces délicates insinuations visibles depuis le titre (projet "citoyen", avec citoyen entre guillemets, parce que bon, un lobbyiste n'est pas un citoyen comme il faut, hein) jusqu'au dernier paragraphe, on comprend que le projet Parlement & Citoyens part avec un très gros handicap dans la vie : il autorise trop de mauvaises personnes à s'exprimer, et pas de la bonne façon.
Et ça, c'est vraiment pas bisou !
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