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La Pan-Europe de Coudenhove-Kalergi dans l’entre-deux-guerres : idée folle ou rendez-vous manqué ? La naïveté comme projet !

Publié le 24 février 2013 par Infoguerre

EuropeEt si la naïveté était le trait commun des partisans d’une fédération européenne ? Près de 90 ans après la publication de Pan-Europe par le comte Coudenhove-Kalergi, en 1923, la question mérite d’être posée. Cette conception de l’Europe, portée dans l’entre-deux-guerres par Aristide Briand a été balayée par l’histoire. Richard de Coudenhove-Kalergi, fils d’un diplomate austro-hongrois et d’une Japonaise reçut, en Bohême, une éducation européenne et cosmopolite prolongée par des études au Thérésianum de Vienne. Devenu tchèque après la chute de l’Empire d’Autriche-Hongrie en 1919, il commence à réfléchir à la nécessité de créer un nouvel ordre européen. Il influence notamment le Président tchèque Masaryk pour rassembler l’Europe de l’Est dans une fédération mais se heurte, déjà, aux nationalismes. De ce projet, seule, restera la Petite entente. Face à l’émergence de grandes entités continentales, en Russie, aux Etats-Unis, face à la Grande-Bretagne et son vaste empire, pour Coudenhove-Kalergi, l’Europe doit s’unir et s’édifier selon quatre étapes autour des nations continentales. La première serait la mise en place d’une conférence paneuropéenne. La deuxième étape consisterait en l’établissement d’une cour d’arbitrage entre les Etats pour éviter les conflits. La troisième, la création d’une union économique paneuropéenne. Enfin, la quatrième étape serait la constitution de la Pan-Europe autour d’une Chambre des peuples et d’une Chambre des Etats de 26 représentants. En 1926, le premier congrès paneuropéen se réunit à Vienne. De nombreux intellectuels soutiennent le mouvement mais aussi des personnalités politiques comme Edouard Herriot et Aristide Briand.

Qui reprend et porte ce projet ?

Le même Aristide Briand, présente en 1929 un projet d’association européenne devant la Société des Nations, certes distinct du projet de Coudenhove-Kalergi mais portant les mêmes ambitions. Aristide Briand reprend la conception d’une Europe fédérée, sur le plan économique pour garantir la paix. L’homme des accords de Locarno de 1925, et du pacte Briand-Kellog qui veut « mettre la guerre hors-la-loi », veut essayer de mettre en œuvre ce projet d’ «Union européenne ». Atteint de  « pactomanie », cette manie de faire signer des pactes qui par leur nombre s’annulent et perdent toute valeur comme le décrit Bainville, citant le Daily Telegraph. Briand soutient, avec son Mémorandum sur l'organisation d'un régime d'union fédérale européenne, l’idée d’une Europe unie en niant les rapports de force à l’œuvre dans l’Europe de l’époque et ce depuis la signature du traité de Versailles. Cette utopie comme Coudenhove-Kalergi présente son projet dans l’introduction de son ouvrage élude plusieurs questions notamment celle des nationalismes, la question de la politique allemande et du double jeu anglais, occultées par Coudenhove-Kalergi comme Briand. Jacques Bainville écrit dans un article de 1929, paru dans l’Action Française : « ces messieurs sont des prophètes du passé. Entre l’Europe et le principe des nationalités, les démocraties avaient opté pour le principe de nationalités. L’Autriche-Hongrie a été vouée à la mort parce qu’elle était une mosaïque de nations. Au fond l’inspirateur doit être une espèce « d’Autrichien avant Sadowa » et M. Briand, un habsbourgeois qui s’ignore. ». Coudenhove-Kalergi cosmopolite et autrichien essaye de projeter la nature multinationale de l’ancienne Autriche-Hongrie, à l’échelle de l’Europe dans son ensemble, mais les peuples émancipés des empires rechignent à s’unir par un lien fédéral et le nationalisme allemand demeure.  

L’accroissement de puissance allemand domine cette période.

« Ils sont vingt millions de trop » disait en 1919, Clemenceau à propos des Allemands. La France n’en a tiré aucune conséquence. Les tentatives sécessionnistes allemandes notamment dans la Sarre, n’ont pas été soutenues, et la politique du Bloc national portée par Poincaré, réalisée par l’invasion de la Ruhr ne fut pas poursuivie en raison de l’isolement de la France dans cette démarche et du changement politique en France, avec le cartel es gauches et l’action d’Aristide Briand. L’Allemagne refuse le traité de Versailles, dépouillée de certaines parties de son territoire, son Etat central demeure et l’immense majorité de sa population, soixante millions d’hommes, est rassemblée dans ses nouvelles frontières, ce qui donne encore un poids considérable au vaincu de 1918. Malgré les gages de bonne volonté, l’Allemagne républicaine, dont le nationalisme n’a pas  faibli depuis 1918, cherche à défendre ses intérêts économiques et territoriaux. L’Allemagne disposait d’un plan très clair, mené par Gustav Stresemann, l’homme qui domine l’Europe de cette période, et chef du parti conservateur dès 1917. Il appela avant la fin de la première guerre mondiale, l’Allemagne à accroitre son territoire à l’Est comme à l’Ouest. Il fut ensuite  ministre des affaires étrangères puis Chancelier de la République, son ambition : sortir l’Allemagne des contraintes de Versailles, et lui redonner son intégrité territoriale. Il met en œuvre sa « politique d’exécution » fondée sur la conciliation avec les vainqueurs pour renforcer l’Allemagne, au contraire de la politique agressive et inefficace de ses prédécesseurs. Face à lui une politique d’accroissement de faiblesse de Briand, le gouvernement français veut la paix sans savoir s’il s’agit de la paix de 1919, si imparfaite, ou de la paix tout court, celle qui conduit à ne pas irriter l’Allemagne et ne pas lui donner de motifs pour une guerre nouvelle.

La réconciliation des deux pays est privilégiée par Briand, soutenu par les élites françaises pacifistes, choisissant une posture défensive réalisée par la ligne Maginot, dont la construction débute en 1923. Le choix de la puissance était possible : la division de l’Allemagne ou du moins une démonstration de force vis-à-vis d’elle, et la garantie de l’indépendance des pays d’Europe centrale, par l’utilisation de la Rhénanie comme otage, ce qu’explique Kissinger. Voulant rassurer les nationalistes allemands et par patriotisme, Stresemann a utilisé cette faiblesse française pour atteindre ses ambitions. En 1925, l’occupation de la Ruhr est ainsi terminée, et le paiement des réparations retardé. En 1930 Mayence et la Rhénanie sont évacuées par l’armée française. Le réarmement de l’Allemagne débute secrètement dès 1920. Son outil industriel reste puissant, la parité politique voulue par Stresemann était le préalable de la parité militaire. Sans complexe en 1926, l’Allemagne avec l’Union soviétique signent un traité de neutralité et souhaite redéfinir ses frontières orientales contre la Pologne. Cette politique bismarckienne de Stresemann, objectivement admirable, fut indirectement soutenue par les puissances anglo-saxonnes.

Le double jeu de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis.

En 1929, le refus britannique de soutenir le plan fédéral de Briand et la mort de Stresemann – qui personnalisait la politique allemande et fondait la confiance des autres nations à l’égard de l’Allemagne – mettent un terme au projet européen de Briand, qui quitte ses fonctions en 1932, deux mois avant sa mort, alors que la crise économique débute. Ce refus illustre la politique britannique de cette période, ne voulant pas que la France joue le premier rôle en Europe, et elle fait pression sur elle pour qu’elle se retire de la Ruhr. Les Britanniques refusaient d’entrer dans le jeu d’alliance de la France avec les nouveaux Etats d’Europe centrale et étaient convaincus que l’Allemagne devait exister face à l’URSS. La politique étrangère britannique réclamait la parité franco-allemande fondée sur la conciliation de la France vis-à-vis de l’Allemagne et défend les règles de la SDN tout en ne voulant pas être le garant de l’organisation. A ce propos, Soutou écrit : « Certes la SDN était censée se substituer au Concert Européen. Mais ni les méthodes de travail, ni l’idéologie de la SDN, organisation d’ailleurs à vocation mondiale, ne lui permirent de remplacer vraiment celui-ci : l’Europe n’avait plus en 1919, d’organe de régulation ». La Grande-Bretagne a ainsi refusé son rôle de garante des équilibres européens qui fondait sa politique au moins depuis le congrès de Vienne. Austen Chamberlain, pourtant francophile, le demi-frère de Neville qui signa les accords de Munich, porte cette politique au milieu des années 20. En signant le traité de Locarno, utilisé par l’Allemagne pour revenir dans le concert des nations et retrouver ses frontières. Les plans de soutien financier Dawes en 1924, puis Young, en 1929, apportés à l’Allemagne, facilitent le paiement des réparations tout en redressant l’industrie allemande.

Entre 1924 et 1929, les Etats-Unis ont prêté 2 milliards de dollars à l’Allemagne dont la moitié seulement a correspondu au paiement des réparations. « Du fait de la coopération des deux puissances anglo-saxonnes, de la prise de distance de l’Italie à l’égard de la France, des forces se sont conjuguées pour créer une situation que la France ne sera pas en mesure de supporter à long terme. » écrit Stresemann, en 1923. La sécurité de la France ne pouvait être fondée que sur une discrimination de l’Allemagne, seule à vouloir cette politique au début des années 20. La France craignait d’être seule face à l’Allemagne, son traumatisme. Voyant cet affaiblissement Briand crut que seule la réconciliation avec l’Allemagne permettrait de garantir la sécurité du pays. Après Locarno, la France renonce à l’application réelle du Traité de Versailles, par faiblesse et sous la pression britannique et américaine. Les Etats-Unis financent le renouveau industriel de l’Allemagne, la commission de contrôle militaire interalliée sur l’Allemagne est supprimée en 1927. Ce désaccord entre les alliées du premier conflit s’exprime aussi à l’occasion de la signature du pacte Briand-Kellog en 1928, où les Etats-Unis élargissent la renonciation à la guerre à quinze Etats. Or, la France souhaitait invoquer la légitime défense et ses alliances, notamment à l’Est ; les Britanniques ne voulaient se priver d’aucun moyen pour maintenir l’ordre de leur empire, et les Etats-Unis le droit pour chaque état de déterminer sa défense, dans le cadre de la doctrine Monroe.

L’Allemagne a ainsi profité de la faiblesse française pour avancer ses pions. Hitler donna ensuite à la tactique de l’Allemagne de Stresemann – qui aurait pu devenir une stratégie de puissance – une réalité brutale et mortifère en affirmant que l’Allemagne étouffant dans ses frontières avait la nécessité d’accroitre son territoire. L’échec et la naïveté du projet de Coudenhove-Kalergi porté par Briand est sans appel : l’Europe était prisonnière des intérêts divergents des États, et une tentative de fonder une union européenne était utopique et elle le restera. En 1932, Herriot, qui ne tira aucune conséquence de ce qu’il voyait, disait : « Je n’ai pas d’illusions. Je suis convaincu que l’Allemagne veut réarmer. Jusqu’à maintenant, l’Allemagne a mené une politique de docilité. Aujourd’hui elle entame une politique d’affirmation, demain ce sera une politique d’exigence territoriale. » Cette époque n’est pas sans analogies avec la nôtre, la manie européenne de signer des pactes ou des accords qui s’additionnent sans avoir de portée réelle, le pacte de stabilité était déjà le nom du traité de Locarno, l’influence efficace de l’Allemagne, la naïveté des élites françaises. Bainville écrit : « Depuis que le monde est monde il se divise entre ceux qui disent que, pour avoir la paix, il faut être fort, se méfier, se faire respecter, et ceux qui disent que pour éviter une guerre il faut avoir confiance et dissoudre les régiments. » Il n’est pas étonnant qu’après la seconde guerre mondiale, les pères fondateurs de l’Europe aient donné à Gustav Stresemann le titre de « grand européen », la naïveté toujours.

Rémy BERTHONNEAU

Bibliographie :  

  • ALLAIN Jean-Claude, GUILLEN Pierre, SOUTOU Georges-Henri, THEIS Laurent, VAISSE Maurice, Histoire de la diplomatie française : Tome 2, De 1815 à nos jours, Tempus, 2007.
  • BAINVILLE Jacques, la Monarchie des lettres, histoire, politique et littérature, Bouquins Robbert Laffont,  2011, Histoire de deux peuples, histoire de trois générations, article deux politiques 25 novembre 1926,  Europe, l’Action Française, 1929, 18 juillet.
  • BLAISE Ronan, Richard Coudenhove-Kalergi et la « Pan-Europe » Aux origines – mal connues – de l’actuelle UE, vendredi 10 août 2012. http://www.taurillon.org/Richard-Coudenhove-Kalergi-et-la-PanEurope,02294
  • Bulletin européen, numéro 8-9, tribune libre de l’européisme, Rome, Aout-septembre, 1953. http://www.fondazionedragan.org/media/08_09_1953_be_fr_agosto_settembre.pdf
  • GTANGET Cyrille, Richard Coudenhove-Kalergi La lutte pour les Etats-Unis d'Europe, 17 janvier 1995, http://iee.univ-paris8.fr/departement/eurofil9.html
  • KISSINGER Henri, Diplomatie, Fayard, 1994, Stresemann et la réémergence des vaincus.
  • LAMOTTE Virginie, Richard de Coudenhove-Kalergi : portrait d’un visionnaire paneuropéen, 27 mars 2007, http://www.nouvelle-europe.eu/richard-de-coudenhove-kalergi-portrait-d-un-visionnaire-paneuropeen
  • MOUGEL François-Charles et PACTEAU Séverine, Histoire des relations internationales, 2010, Collection, Que sais-je ?, P.U.F.
  • SAINT-GILLES Anne-Marie, La « Pan-europe », un débat d’idées dans l’entre-deux guerres, Presses de l’Université de Paris Sorbonne, 2004.
  • SOUTOU Georges-Henri et BERANGER Jean, L’ordre européen du XVIème au XXème siècle, Paris, Presses de l’université de Paris Sorbonne, 1998.

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