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Histoire & Patrimoine - Grandeur et décadence des Bains de la Caille

Publié le 22 février 2013 par Pierrehk

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Sur la route qui va de Genève à Annecy, entre Cruseilles et Allonzier la Caille se dressent 2 ponts qui font l'admiration des voyageurs et dont le nom provient sans doute d'une ancienne auberge ornée du dessin de cet oiseau.

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Le pont suspendu dit pont Charles Albert, du nom du roi qui en décida la construction, fut inauguré le 11 juillet 1839 après 16 mois de travaux à l'époque où notre territoire était encore partie intégrante du royaume de Piémont-Sardaigne. Il enjambe la rivière "Les Usses" qui coule 150m plus bas et n'est plus que piéton, les lattes de bois qui le recouvrent ne pouvant supporter de lourdes charges.

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Le magnifique pont Charles Albert aujourd'hui

Quant au pont "moderne" qui jouxte le pont d'origine, il fut construit entre 1925 et 1928, sur les plans de l'ingénieur Caquot, afin de faire passer la ligne de tramway qui devait relier Genève à Annecy. Ce projet ayant été abandonné, c'est tout naturellement à la circulation automobile que ce pont, à arc unique en béton non armé, fut alors et  est encore destiné.

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les 137.50m de portée du pont d'Albert Caquot représentaient un record du monde en 1928 

Mais ce n'est pas des ponts dont je souhaite vous entretenir ici, mais bien plutôt de ce qui se passait 150 m plus bas au bord de la rivière Les Usses.

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Car les milliers d’automobilistes qui franchissent chaque jour le pont de la Caille ne le savent sans doute pas, mais jusqu’en 1937, des centaines de curistes ont fréquenté le très chic établissement thermal qui y était situé, tout au fond du ravin . Les Bains de la Caille comprenaient quatre bâtiments modernes (128 lits), plusieurs piscines et même un superbe casino dans le plus pur style « art déco ».

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A l’origine de ces bains, deux sources d’eau chaude (25 °C) riches en acide sulfhydrique, mais aussi en sélénite, en sel, en carbonate de chaux et en fer ! Cette source, appelée la fontaine de Cherpié, était connue des habitants de la région qui venaient y soigner nombre d’affections telles que les arthrites, les rhumatismes, les maladies de peau ou les bronchites. Elle était même connue depuis fort longtemps, puisque des travaux effectués en 1847 ont fait découvrir des vestiges d'anciens thermes dont la contruction, en brique, remonte aux Romains. On y a même trouvé une inscription en latin sur une énorme pierre encastrée dans le soubassement des anciens bains dont la traduction signifie "Bain de César édifié en l'année du Seigneur...."

En 1449, un pâtissier de Genève, Jean Brulequin, construit à proximité de la source un hôtel avec écurie et jardin. L’homme a des relations, car il bénéficie de la protection du duc de Savoie et peut à ce titre orner ses bâtiments des armoiries ducales, moyennant une redevance annuelle d’une livre de cire ! Mais cette belle aventure tourne court lorsqu’un énorme rocher a la mauvaise idée de se détacher de la falaise surplombant la source. L’hôtel est gravement endommagé et le sieur Brulequin décide de regagner Genève. Fin du premier acte.

Abandonnée pendant trois siècles, la fontaine bienfaisante est redécouverte en 1791. A cette époque, plusieurs savants, membres de la société des Arts et Sciences de Genève, viennent sur place étudier la source et confirment son intérêt médical. Mais son accès difficile – un sentier de chèvres bordé de précipices – limite grandement les possibilités de fréquentation du site par les malades.

En 1825, un citoyen de Copponex, Michel Baussand, malade qui fréquente les bains, construit des baraques en bois pour facilter l'acces aux thermes. IL obtient même pour cela une subvention de 400 Francs du Conseil Municipal de Cruseilles. En 1847, un prêtre d’Annecy-le-Vieux, Paul-Bernard Croset-Mouchet, le rejoint et décide d'investir pour exploiter la source. Il fait construire une maison de deux étages avec douze cabinets de bain et huit chambres baptisé, en toute modestie, « le Château » ! Les années suivantes voient naître une hostellerie-restaurant, "Le Foyer des Infirmes" et deux autres édifices, "Les Galeries" et "l'Elysée". Le batiment des piscines, adjoint de bassins exterieurs complétait l'offre de soins, tandis qu'un batiment administratif , baptisé plus tard "Le Casino", une chapelle et des écuries complétent l'ensemble.

Le renouveau des Bains

Le chanoine Crozet-Mouchet fait aussi ouvrir à grands frais une route carrossable qui, remontant par de nombreux lacets les bois de la rive gauche de la rivière, reliait l’établissement des Bains de la Caille au pont Charles-Albert, qui comme nous l'avons vu avait été inauguré en juillet 1839. L’inauguration de cette route d'accès direct, le 23 mai 1852, lança le succès des Bains de la Caille qui allaient dès lors connaître pendant des décennies une importante fréquentation de curistes. Il faut noter que si un service spécial de transports de voyageurs depuis Annecy existait, la pente de la voie qui descendait aux bains, imposait cependant d'utiliser un véhicule différent de celui qui faisait la liaison depuis Annecy. De nouvelles piscines, une maison de cure construite à cheval sur les Usses – et qui sera emportée par une crue en 1888 – et même un superbe casino renforceront encore le succès de cette étonnante station thermale.

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L'établissement thermal "Les Bains de la Caille"

Les Bains de la Caille en 1867, comme si vous y étiez…

Afin d'imaginer ce que pouvait être la vie de cet établissement dans les années 1860, glissons-nous dans les pas du journaliste Henri Albert, qui visite les lieux pour le compte de L’Écho du Salève, en juin 1867. « Au dessous du pont Charles-Albert, comme un fragment de ciel tombé sur la terre, apparaît l’établissement thermal de la Caille. Un chemin carrossable  y conduit. Il est bordé d’un côté par un impressionnant ravin et surplombé de l’autre par d’énormes rochers en partie taillés. L’existence des Bains de la Caille remonte à cette époque où notre Savoie était colonie romaine. En 1847, M. le chanoine Croset-Mouchet, d’heureuse mémoire, acquit le sol et les sources des bains. Sous son initiative, des travaux considérables s’exécutèrent et l’établissement actuel fut élevé avec rapidité. Depuis, la renommée des eaux sulfureuses, établie par des cures vraiment merveilleuses, alla croissant d’année en année, et elle ne saura que grandir encore sous l’habile direction de Mme veuve Secrétan, qui en est l’actuelle propriétaire. Quatre constructions spéciales sont destinées au service des bains : elles sont disposées en carré long et le centre est occupé par une vaste cour. Là s’élèvent, gracieux et sveltes, des groupes d’arbres aux panaches verdoyants. De la cour s’échappent plusieurs sentiers sinueux ; les uns conduisant à des bosquets et à des parterres, tandis que d’autres vont vers la grotte du Diable, qui rappelle les souvenirs de la romantique légende de Fernando Gomez (que nous évoqueront la semaine prochaine !). Si on pénètre dans cette cavité ténébreuse, un frisson vous glace ! Si on écoute, ce sont la pierre, les feuilles, la timide fleur, l’insecte, l’oiseau, qui tous paraissent offrir un hymne à la divinité des lieux. Ailleurs, c’est la cascade des Fées, où le soleil scintillant dans les eaux écumantes produit des prismes charmants et variés. Chaque printemps amène l’ouverture de la saison thermale. Cette année, elle a eu lieu le dimanche 26 mai 1867. Le ciel calme et pur, le temps magnifique était pour tous un heureux présage. À dix heures du matin, des cris de joie se faisaient entendre : les yeux fixés vers le pont Charles-Albert apercevaient un groupe de personnes : c’était la musique de Saint-Julien, qui, chaque année, est conviée à la fête d’ouverture. Une brise propice apportait aux Bains leurs lointaines harmonies, qui, se mêlant au bruit de joyeuses détonations, allait battre le rocher et se perdre en échos mille fois répétés. A midi, un repas splendide réunissait plusieurs notables des alentours. Si le baron Brisse (gastronome célèbre sous le Second Empire) eut été au nombre des convives, il aurait sans doutez félicité Mme Secrétan pour la qualité de son banquet. La musique anima le dessert par un beau passage du Trouvère, auquel succédèrent des symphonies plus légères, mais non moins égayantes. A quatre heures, M. Michel Guy, sous-préfet de Saint-Julien, et son épouse, vinrent rehausser de leur présence la joie et l’éclat de la fête. Un bal fut ouvert sous leur initiative, dans un des salons de l’établissement. La fête ne cessa que quand la nuit vint forcer l’orchestre à jeter ses dernières modulations, et la foule joyeuse à abandonner ces lieux magiques… ».

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Les grandes heures

En 1923, l'artiste peintre genevois Charles-Félix Mantilleri acquiert l'établissement qui traverse des difficultés, et s'y installe avec sa femme Julia et leurs 14 enfants. Il fait le pari du modernisme, installant des centrales électriques près de l'ancien pont romain; puis très vite, les tennis cotoyent les piscines et des orchestres réputés jouent dans le casino; on peut y écouter la TSF et même téléphoner. Tout ce confort attire une clientèle aisée venant de Genève, Paris et même de l'étranger.

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Le déclin

Suite au décès dans un accident de voiture de Charles Mantilleri en 1933, la famille décide de se séparer des Bains en 1937, mais la vente échoue. Survient la guerre qui voit l'activité cesser puis les batiments tomber en proie au pillage. En 1944, Robert Faivre rachête la propriété pour la revendre l'année suivante à une association d'infirmes dirigée par l'abbé Pernet qui tente de rénover les anciennes installations, mais qui jette l'éponge 10 ans plus tard. En 1966, c'est Marius Ailloud, propriétaire de l'usine d'équarissage qui surplombe le ravin qui rachete le site, et qui probablement sonne le glas pour longtemps de l'exploitation des sources.

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L'ancienne route du Chanoine, de moins en moins praticable

Aujourd'hui,  il est assez émouvant d’emprunter la vieille route du chanoine Crozet, qui devient peu à peu impraticable, pour visiter les vestiges de ce passé prestigieux. Seule subsiste l'odeur caractéristique du souffre! Il n'est plus question d'eau sulfureuse , tiède, bienfaisante, qui continue pourtant à s'écouler inexorablement dans un bassin circulaire avant de rejoindre tranquillement les eaux de la rivière en y entrainant ses innombrables vertus.

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Entré du batiment des bains

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Ce qu'il reste de l'un des bassins

Pont de la Caille,Charles-Albert,Caquot,Bains de la Caille,Mantilleri,

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Les batiments ont été rasés pour raisons de sécurité. Seules les piscines noyées sous les arbustes et la végétation, et les cabines de bains demeurent visibles.On peut y voir une dernière construction, fort endommagée, sur le fronton de laquelle on peut encore voir une partie de l'inscription du Chanoine Croset-Mouchet, tel un défi aux outrages du temps " Béni soit Dieu qui fit jaillir les sources. A coté des maux, il mit le remède"

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Ce qu'on peut encore voir de l'inscription du chanoine

Voila un exemple typique de notre histoire et de notre patrimoine qui s'effiloche au fil des ans. C'est pouquoi je voudrais adresser un très grand merci à mon ami Dominique Ernst, journaliste et écrivain, conseiller municipal de Vers qui est à l'origine de l'essentiel des textes et photos qui apparaissent dans cet article; Grace à lui, nous pouvons découvrir des vestiges de notre histoire et apprécier les légendes qui du Salève au Vuache ont contribué à faire de notre territoire ce qu'il est aujourd'hui. On peut trouver ses oeuvres à la Maison du Salève ou auprès de la Salèvienne.

Pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur les Bains de la Caille, vous pouvez aussi consulter le site de Beaumont qui retrace plus en détail l'histoire si rocambolesque de ce patrimoine aujourd'hui disparu:

 http://www.beaumont74.fr/iso_album/les_bains_de_la_caille...

Enfin, pour ceux qui désirent se rendre sur le site, sachez qu'on peut y accèder par un chemin à partir de Cruseilles.

 


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