Abymes (T2)

Aux lendemains de l’Occupation, les coulisses d’un tournage maudit.

Scénario de Valérie Mangin, dessin de Loïc Malnati Public conseillé : Adulte et Adolescent

Style : polar fantastique Paru chez Dupuis, le 22 février 2013

L’histoire

Paris 1946. L’avant-première du « Mystère Balzac », nouveau film tant attendu d’Henri-Georges Clouzot va débuter dans un cinéma des champs Elysées. En ce temps d’après guerre, ou l’économie du cinéma français se reconstruit difficilement, le nouveau film du « génie du cinéma français » qui a débuté sa carrière sous l’occupation est autant attendu que décrié. Tandis que ses deux acteurs principaux s’étonnent de l’absence du réalisateur, le maître de cérémonie et producteur du film Barrant-Rondeau se moque gentiment de son retard et lance la séance. Mais son absence est définitive, car Clouzot vient de mourir assassiné.
Six mois plus tôt Barrant-Rondeau se rend en Normandie sur le lieu du tournage. Il découvre l’actrice principale (et compagne d’Henri Georges) accablée par les manières de tyran du réalisateur. La tension monte avec les accusations de collaboration que les communistes lancent sur Cluzot. Mais c’est surtout en découvrant des plans volés qu’il n’a pas tournés que Clouzot accentue son caractère autoritaire et paranoïaque…

Même sujet, mais variation dramatique

Déjà le second tome d’ »Abymes » et une nouvelle expérimentation formelle pour Valérie Mangin. Cette fois, c’est avec Loic Manalti (jeune, mais expérimenté dessinateur : Anahire, L’ancêtre programmé, Apocalypse…) que Valérie travaille pour nous emmener dans le monde du cinéma. Si ce procédé narratif (voir tome 1) est classique sur grand écran (on ne compte plus le nombre de film qui parlent de film), c’est un procédé presque inexistant en BD. C’est donc avec intérêt que j’ai ouvert ce second tome à la narration complexe et délicate.
Ne comptez pas vous amuser avec « Le Mystère Balzac ». Dans ce second tome, Valérie Mangin se concentre sur l’aspect « dramatique » de la personnalité d’Henri-Georges Clouzot. Auteur de « L’assassin habite au 21″, « Le corbeau », « Quai des orfèvres », « Le Salaire de la peur », « Le mystère Picasso », Clouzot fut indéniablement un des plus grands réalisateurs français de l’après guerre. Ayant commencé sa carrière en pleine occupation, c’est la « Continental-Films » (une entreprise créée par Joseph Goebbels) qui produit ses premiers films. Reconnu pour son talent par la critique et le public, détesté par les mouvements communistes qui le taxait de collaborateur, Henri-Georges Clouzot était animé par un perfectionnisme qui tournait à la tyrannie pour ses acteurs. C’est tout ce contexte politique, historique et personnel que Valérie Mangin utilise avec précision pour son récit policier et fantastique. Car il ne s’agit pas d’une biographie, ne vous méprenez pas. Si les éléments historiques et sociaux sont minutieusement expliqués et utilisés, Valérie Mangin raconte une fiction sur un tournage inventé de toutes pièces. Concentrant son récit sur la personnalité de Clouzot, les « mises en abymes » de l’album (le film volé dans le film) servent de ressorts dramatiques pour faire prendre des virages inattendus au récit. On s’éloigne alors de plus en plus du documentaire sur le tournage (qui aurait été insipide) pour plonger dans une réalité alternative et quasi fantastique.
Cette étude de personnalité que nous propose Valérie est d’une grande subtilité. Même si je n’ai pas été vraiment étonné par le dénouement de l’album, j’ai apprécié sa liberté de ton. Le mélange d’exercice formel, de souffle dramatique et d’étude sur la personnalité d’Henri-Georges Clouzot permettent de passer un bon moment de lecture ou polar et fantastique s’entremêlent intimement.

Graphiquement, Loïc Malnati reste dans les clous.

Ses ambiances sont bien posées et son dessin, ultra classique assez réaliste. Aussi documenté que le scénario, sa mise en image sert bien l’album. Malheureusement, l’encrage particulier (tremblé) de Manalti est pour moi un vrai problème. Ce principe graphique, utilisé avec trop d’insistance alourdit la composition. Dommage.

Pour résumer

Deuxième variation autour du principe narratif de la mise en abymes, Valérie Mangin et Loic Manalti s’attaquent à Henri-Georges Cluzot. S’aidant d’éléments historiques sur les rapports du réalisateur à son entourage et à ses acteurs, ils utilisent son image dans une fiction étonnante qui ré-invente sa vie fantasmée. Clouzot manipulé ou manipulateur…. il ne manque plus à Valérie Mangin, pour finir son cycle sur la mise en abyme, qu’un album sur le(a) scénariste de BD qui se raconte en BD…