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Jaurès, l’exégète

Par Tchekfou @Vivien_hoch

JauresLe dernier livre de Bernard Antony, Jaurès, le mythe et la réalité (Editions Ateliers Fol’fer, 2012, 276 p.), nous offre une image du grand orateur socialiste loin des sentiers battus. Quoique l’homme soit infiniment respectable, il convenait de mettre l’accent sur un aspect peu connu de lui, le Jaurès théologien.

« Jamais la Révolution ne connut un plus grand danger. Le vote de l’appel au peuple, c’était la perte de la France révolutionnaire » (P. 229).

S’il y a une phrase à retenir de Jean Jaurès, qui le résume autant qu’il synthétise l’ensemble de l’ouvrage rédigé par Bernard Antony sur cette figure historique, c’est bien celle-là. Dans le contexte d’actualité du mariage pour tous, les paroles résonnent comme en écho, elles ont le goût amer de la trahison qui pénètre le cœur de la conscience collective française. Et si le socialisme se résumait à ça, à cette confiscation permanente du pouvoir par une faction censée représenter l’opprimé, être sa tête pensante ? Et si les 700 000 signatures reposant dans les poubelles du CESE symbolisaient un acte s’enracinant dans l’ADN révolutionnaire des institutions françaises ?

Ces mots ont été écrits dans l’Histoire socialiste de la Révolution française, à propos du procès du Roi Louis XVI. La Gironde avait demandé un « appel au peuple », demande d’autant plus légitime qu’il s’agissait d’une question liée à la représentation nationale. L’appel au peuple est écarté, le roi est condamné, la sentence proclamée : la mort. Pour Jean Jaurès, il eut été fou voire suicidaire de s’en remettre la décision au peuple souverain. Preuve par l’une des plus grandes intelligences du socialisme français que la Révolution ne fut pas et ne devait pas pour sa propre survie être démocratique.

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Vincent Peillon, en digne héritier de Jean Jaurès voit dans l’école républicaine un lieu d’apprentissage catéchétique de la religion socialiste.

Pour comprendre ce raisonnement jaurésien, la lecture du dernier livre de Bernard Antony, Jaurès, le mythe et la réalité, fournit amplement la réponse. Le peuple sur lequel repose la légitimité révolutionnaire, ne peut être représenté que par celui que le pense. Comme il y eut les apôtres pour raconter le Christ, comme il y eut les Pères de l’Eglise pour interpréter les Evangiles, il y eut les révolutionnaires pour raconter le peuple, il y eut les républicains pour faire l’exégèse de la Révolution, il y eut les socialistes comme docteurs officiels de la nouvelle Eglise universelle. Comme beaucoup d’entre ces derniers, Jaurès refusait que le prolétariat pût avoir lui-même la parole, une masse si peu consciente de son statut de classe. L’idée de sa propre prise en main n’existait qu’au conditionnel, dans un futur où l’Education aurait enfin réalisé son œuvre de conscientisation. Un siècle plus tard, Vincent Peillon offre les mêmes perspectives d’avenir à cette classe que la mondialisation a fait disparaître, lui qui se tient comme disciple du grand orateur[1].

Bernard Antony ne se livre pas du tout à une attaque ad hominem de la personne de Jaurès, bien au contraire. L’homme politique est présenté sous son jour le plus flatteur :

« Ce Jaurès, fils aimant, époux fidèle et père attentionné malgré ses occupations, ce Jaurès républicain, mais aussi du travail, de la famille et de la patrie » (p. 45).

S’il est resté un tel mythe dans l’imaginaire politique des Français, c’est – outre sa mort tragique – en raison de ses vertus. Le journaliste et président de l’Agrif s’attèle à la pensée de Jean Jaurès à partir de deux de ses œuvres : L’Armée nouvelle et son Histoire socialiste de la Révolution française.

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Jean Jaurès est fondamentalement religieux. Il est l’exégète de la révélation révolutionnaire, il est le théologien de la religion socialiste.

Jean Jaurès est un véritable exégète de la Révolution française qu’il incline dans son axe socialiste pour mieux lui donner sens. Le mot « exégète » vaut mieux que celui d’historien. Parallèlement à Jules Michelet ou à Philippe Buchez et contrairement à Hyppolyte Taine, il prend la Révolution française comme un évènement fondateur à réinterpréter continuellement en fonction du cheminement progressiste de la civilisation humaine. L’exercice n’est ni philosophique, ni historique : il est religieux. Jaurès est religieux, fondamentalement[2]. Il travaille comme un exégète et propose une théologie. Vincent Peillon lui-même approuverait ces propos. C’est pourquoi la synthèse des socialismes ne semble pas pour lui insurmontable. Du socialisme « utopique » au socialisme « scientifique », entre Jules Guesde, Aristide Briand et Gustave Hervé, la religion de l’humanité est le pivot de l’ensemble. Elle surmonte les contradictions indéfinies de la dialectique hégélienne. C’est elle qui mène vers l’utopie tant annoncée.

Dans Jaurès, le mythe ou la réalité, l’accent est mis sur l’anticléricalisme notoire du député. Bernard Antony sait bien que Jean Jaurès a fait baptiser sa fille, mais il préfère, au-delà de ces actes – quoiqu’ils ne sont tout de même pas anodins –, se concentrer sur ses écrits. Les références sont nombreuses surtout dans son Histoire socialiste de la Révolution française. Ce qui est intéressant, c’est la manière dont cet anticléricalisme prend forme : il ne s’agit pas d’une guerre contre l’esprit religieux, mais plus exactement de la guerre d’une religion contre son hérésie. Le XIXe siècle procède à un inversement des rôles qu’a si bien compris Philippe Muray dans son XIXe siècle à travers les âges : la vraie religion s’incarne dans un vaste ensemble progressiste et l’hérésie qu’elle cherche à abattre n’est autre que l’Eglise catholique. Voilà en guise de conclusion ce que Bernard Antony rapporte de Jean Jaurès :

« En tout cas, bien loin que l’humanité doive tendre comme vers un idéal à la séparation du spirituel et du temporel, c’est leur fusion au contraire qu’elle doit désirer. Il faut que toute la vie de tous les hommes, jusque dans le détail des métiers soit pénétrée par un idéal de justice, de science et de beauté, et il faut que cet idéal au lieu d’être monopolisé et interprété par une caste spirituelle soit constamment renouvelé, vivifié par l’expérience de ceux qui vivent et agissent, par le mouvement de l’activité « temporelle ». » (P. 200)


[1] Voir l’ouvrage de Vincent Peillon, Jaurès ou la religion du socialisme. Voir aussi sur ce sujet l’étude de Vivien Hoch, Vincent Peillon, prophète d’une religion laïque, voir notre article La religion républicaine et socialiste expliquée par Vincent Peillon

[2] Cf Jordi Blanc, Jaurès philosophe, thèse de doctorat, université de Toulouse-le Mirail, 1995.

* retrouvez le débat entre Bernard Antony et Vivien Hoch sur radio courtoisie, au libre journal d’Henry de Lesquen, le lundi 4 mars à 18h. 


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