Bernard Arnault ©Benjamin Pietri
Il y a plusieurs mois déjà, le grand patron français Bernard Arnault était au cœur d’une polémique sans précédent, depuis sa demande de double nationalité franco-belge. Empereur du luxe, virtuose des montages financiers, il collectionne aujourd’hui les superlatifs d’une réussite sans failles.Doté d’un flair et d’une intelligence hors norme, son appétit insatiable des affaires l’a conduit aux plus hauts sommets de la finance.Issu d’une famille d’industriels respectables du Nord de la France, Bernard Arnault ambitionne très tôt de devenir patron, celui de l’entreprise Ferret-Savinel, société de construction de bâtiments industriels, appartenant pour moitié à son grand-père.On décrit, déjà, le jeune Bernard comme un garçon pète-sec, prompt à se la ramener. Il eut fallu une bonne dose de caractère pour devenir, un jour, le grand patron français que l’on connaît.Alors que ses camarades de Polytechnique visent les cabinets ministériels, lui, se contrefiche d’une carrière politique et accepte de devenir héritier de l’entreprise familiale. Diplôme en poche, il y entre comme simple ingénieur, sous les ordonnances de son père qui maîtrise tant bien que mal sa soif de réussite. Une ascension qui démarre par une carrière dans la promotion immobilière : "On y est maître de son affaire et proche du client… un secteur dans lequel les bénéfices sont confortables et rapides."Fort de son instinct, il convainc son père de revendre ses activités industrielles, pour construire en bord de mer et à la montagne, des maisons, des immeubles Ferret-Savinel destinés aux classes populaires épargnantes. Les médias vantent massivement les qualités de ses logements de loisir. Dix ans plus tard, l’entreprise compte 900 personnes… à 36 ans, Arnault cherche déjà à se diversifier.
L’élection de Mitterrand à la présidence de la République inquiète le requin trentenaire qui part s’exiler en Floride… à l’école où les squales sont plus dangereux que les socialistes français. Mais au milieu des années 1980 la gauche lui remet, fortuitement, le pied à l’étrier.Laurent Fabius, et son ministre de l’industrie traînent alors un boulet : la Compagnie Boussac Saint-Frères - lourd conglomérat dont l’état reprend les activités textiles. Laissant à ses propriétaires - les quatres frères Willot - les jolies pépites que sont Dior, Peau douce, Le Bon Marché et Conforama, Arnault sent la bonne affaire et se met au travail.C’est une période difficile pour Boussac qui ne survit que sous perfusion d’argent public… les socialistes cherchent un repreneur.Les trois prétendants : Maurice Bidermann, Pierre Berger et Tapie, trop confiants de leurs appuis parisiens, ne prennent pas le temps d’aller courtiser les Willot. Mais Arnault joue la solidarité nordiste, s’accroche et s’offre un montage financier inédit. Avec un apport personnel de 40 millions de francs (€6,1 millions) tirées de la revente des activités industrielles de sa société, il s’adresse au Crédit Lyonnais qui jouera la poule aux œufs d'or en lui versant 50 millions. La banque Lazard, les industries Elf, Total et une mystérieuse société libanaise à capitaux syriens apportent quant à elles, 250 millions. Soutenu financièrement, Arnault s’engage auprès de Matignon à garantir l’emploi et la survie du groupe en s’interdisant son démantèlement. La prise de pouvoir fêtée, les jolies promesses sont oubliées : dés son installation au siège, il engage aussitôt une revente d’actifs avec lesquels il réalise un rondouillard et épais portefeuille de 5 milliards de francs. En quelques mois, les boursiers propulsent les actions Boussac vers les sommets dont la belle envolée enrichit patrimonialement Arnault, détenteur de plus de 16% du capital du groupe. A Matignon, Fabius fait la gueule… à un an des législatives, pas question de passer pour un imbécile.
Sacré Empereur du luxe grâce au Saint Crédit-Lyonnais, Arnault ne conserve de Boussac que trois sociétés : Conforama, Le Bon Marché et… Dior son joujou préféré. Désormais propriétaire, il travaille à son grand œuvre : construire autour de la Maison Dior, perle de l’avenue Montaigne, un groupe de prêt-à-porter, d’accessoires, de parfums, de cosmétiques et de spiritueux. Encore faut-il dénicher le bon "cheval " qui provoquera à foisons, de nombreuses critiques et saura décliner à volonté, sous un même nom, tous les produits de compléments, sacs, foulards et autres lunettes.Recruté à la tête de Dior, c’est John Galliano qui jouera ce rôle durant 10 ans en hystérisant littéralement la planète mode.
L’année 1988 sonne comme étant favorable pour le patron français qui se lance, désormais, à la conquête du fleuron familial LVMH. Propriétaire des parfums Dior, le groupe de maroquinerie et de spiritueux, né d’un mariage houleux entre le malletier Louis Vuitton, les Maisons de Champagne et les cognacs Moët-Hennessy attire toute l’attention d’Arnault.Il sait que le groupe est vulnérable, que son capital est dispersé et ses patrons divisés. Henry Racamier le président de Louis Vuitton, l’appelle : il craint celui de Moët, Alain Chevalier, qui veut faire entrer au conseil d’administration le britannique Guinness. Henry Racamier pense donc au patron français pour faire contrepoids. Fort de cette sollicitude, Arnault prend conseil auprès de ses amis banquiers pour une future négociation. Se laissant séduire par Alain Chevalier, Arnault rafle en Bourse 22% du capital, s’allie avec Guinness et prend le pouvoir. Chevalier et Racamier n’ont rien vu venir… un formidable coup de… maître !
Au terme d’une intrigue de type "sherlockomesque, Arnault prend le contrôle du fleuron du luxe LVMH en trahissant successivement ses propriétaires.En novembre 1994, le redoutable homme d’affaire, dont le culot bluffe toute la place, se voit remettre sur la veste de son costume Dior l’insigne de la Légion d’Honneur.
Porté par le grand vent du capitalisme, Bernard Arnault n’a eu de cesse d’accélérer le processus de ses acquisitions. Parcours d’un fils de famille d’industriels du Nord, qu’un mélange de flair , de sens du coup et de rouerie a porté à la tête d’un empire colossal.Fabrice GilGroupe LVMH22, avenue Montaigne75008 Parist/ +33 1 44 13 22 22www.lvmh.fr