Pour le troisième tome de « Holmes« , j’ai rencontré Cécil, son dessinateur exigeant à l’occasion du 40ème Festival International de la BD.
« Holmes » est une œuvre dont l’exigence graphique a augmenté avec le temps ?
Cécil Effectivement elle a augmenté, car les intentions dans les mises en scène de Luc se sont complexifiées.
C’est quelqu’un qui dans son écriture travaille sur plusieurs niveaux. Quand il me soumet un découpage, il développe de nombreux degrés qui décrivent plus que les lieux ou des situations. Ce découpage permet aussi de comprendre l’état intérieur des personnages.
J’ai un tempérament à facilement me projeter dans une fiction que ce soit à travers un roman, une BD ou un film. Je tombe très vite dans l’émotionnel.
Quand Luc me remet ses scénarii, je tiens compte des intentions qu’il attend, mais c’est en même temps suffisamment libre pour que je puisse y mettre ma propre subjectivité.
L’ensemble des intentions et des actions qu’il met en place sont tellement riches que je joue avec une véritable « horlogerie narrative ». Je choisis cette expression « d’horlogerie » car les finesses sont à tous les degrés et demandent une véritable minutie.
Avec Luc, on aime l’objet BD, mais dans le cadre de la lecture, on veut faire oublier aux lecteurs qu’ils tiennent un livre. On a envie de leur faire vivre une immersion totale.
Vous partagez donc les mêmes envies ?
Cécil Oui et c’est une chance. Nous sommes à l’unissons autant dans l’idée de fond du scénario que dans la façon de la développer. Ce qui, dans un duo BD, n’est pas toujours le cas.
As-tu une façon particulière d’aborder la BD ?
Je suis d’une génération qui a abordé la BD à travers des auteurs comme Franquin, Goscinny, Uderzo, Morris, Hergé…qui avaient une BD très empathique, très investie sur le plan émotionnelle. Pour moi, ce médium était autre chose que du dessin. Je fus « biberonné » par ces grands auteurs qui mettaient « leurs âmes » dans leurs traits et leurs récits.
Pour moi les personnages de Franquin n’étaient pas que des héros, c’était des copains. Cet auteur, comme par magie réussissait à les faire sortir des albums. Enfant, j’étais absorbé par son univers. Quand on regarde le travail de Franquin, on s’aperçoit qu’il posait ses perspectives à raz du sol. Inconsciemment nous étions à hauteur d’enfant ou du Marsupilami quand nous suivions ses récits.
Sur Holmes 3, le début est onirique. On est dans l’émotion pure….
Cécil Pour cette scène, je me suis mis dans le même état que Watson. J’étais à la place du personnage. Après, j’ai étudié les émotions ressenties et essayé de les traduire au mieux sur le plan narratif.
Ce genre de scène est complexe car elle demande de pouvoir capturer l’empathie du lecteur.Il faut qu’il puisse projeter dans notre personnage de papier une « intériorité » désirée par nous et puissamment encrée en lui.
Il y a quelques BD qui m’ont mis dans cet état. Par exemple, le travail de Chris Ware sur Jimmy Corrigan m’a complètement bouleversé. La façon dont il traduit par sa narration le ressenti des personnages est magistral.
Le dernier Guibert (l’Enfance d’Alan) fut aussi pour moi une « baffe ». Comme le « Déogratias »de Stassen, c’était aussi puissant qu’un roman de Conrad.
A ma modeste mesure, j’essaie de faire tomber mes lecteurs dans ce type d’émotion.
Sur La première édition du « Holmes 3 », on peut voir les recherches graphiques, des storyboard, et même des planches que tu as enlevé…
Cécil La technique que j’emploie use pas mal et demande de consacrer du temps à l’image, ce qui par moment éloigne de la narration… Dans ces moments-là, il m’arrive d’oublier de bien raconter et de me perdre dans l’illustration, ceci malgré l’étape du story-Board. Après coup, quand je m’en aperçois, je suis parfois pas mal avancé dans l’élaboration de la page. Par exemple, la planche de l’arrivée sur Bordeaux dans sa première mouture n’était pas assez narrative pour moi. Pour certaines scènes dont le story-board était bien poussé, Luc s’est rendu compte que le développement qu’il envisageait ne pouvait pas fonctionner.
L’éditeur et nous pensions qu’il était peut-être intéressant de montrer ces moments de faiblesses et de recherches aux lecteurs.
Dans tous les scénarii de Luc, il y a un côté « humaniste ». Chaque personnage avec ses défauts peut être « sauvé ».
C’est ce que j’aime avec Luc. Cela fait partie du plaisir que j’ai à travailler avec lui. On n’est pas dans le manichéisme, mais dans le « gris ». Tous les personnages ont des raisons d’être « ce qu’ils sont ». C’est ce que j’avais tenté de mettre en place sur le « Réseau Bombyce ». Eric Corberan était plutôt dans l’idée « d’archétyper » les personnages et de développer des histoires autour de cet archétype. Moi, mon soucis, c’était de « raconter leurs âmes » d’où l’impossibilité de continuer ensemble.
Quand j’ai rencontré Luc et que j’ai lu « Le Pouvoir des innocents », je n’en revenais pas qu’un mec de vingt ans ait pu écrire un tel scénar. Ce qui m’a rendu encore plus admiratif, c’est le travail de Laurent (Hirn) (le dessinateur de la série). Quand on est jeune dessinateur, on a plus envie d’envolées lyriques que de scènes de bureau. D’entrée de jeu, faire cinq albums comme ça, c’est incroyable. J’étais très impressionné et je ne pensais pas être à la hauteur pour « Holmes ». Laurent (Hirn) était une sorte de « référence ». Arriver à toucher « un tel niveau de délicatesse », je ne sais pas si j’en serai capable…
Il y a cinq tomes de prévu ?
Cécil Un peu plus. On possède toute l’intrigue. On va avoir une augmentation de la pagination dans les albums à venir.
Comme on va développer sur plus de pages, on réduit les tomes en gardant la même intrigue.
Tu n’as pas peur de te lasser ?
Cécil Non. Le début du tome quatre est dans un autre contexte. C’est un défi que me lance Luc à chaque fois. Ça reste toujours agréable. Je suis très « coureur de fond ». (rires)
J’attends avec impatience la suite.
Cécil Entre le premier et le second tome, il y a eu deux ans, car la collection s’arrêtait. On ne savait pas à quelle sauce on allait être mangé. Et puis, on nous a gardé avec le rythme sériel comme prévu pour la collec 32. Quand j’ai commencé le troisième tome, j’ai entrepris en parallèle le dernier tome du « Réseau Bombyce ». Ça s’est révélé un enfer. J’ai dû arrêter « Holmes » pour me consacrer au « Réseau ». J’en suis sorti épuisé sans envie de dessiner. Les circonstances nous ont ralenti, mais pour le tome quatre, il n’y aura pas autant de « distance ». Je suis dedans !!!!