Il est absurde d'opposer élitisme et école de masse. Une école de masse de qualité augmente automatiquement le nombre d'élèves aptes à rejoindre l'élite.
Par Fabrice Descamps.
Débordé par le travail, je reprends néanmoins la plume pour pousser un cri de colère : assez, Mesdames et Messieurs les penseurs de l'éducation !
J'ouvre mon journal (Le Monde daté du 21 février) pour y lire un article de M. Antoine Prost, grand penseur de la Jospinie éducative, qui vient de découvrir l'eau chaude : cette fois-ci, ça y est, le niveau de nos élèves baisse vraiment. Six jours plus tard, je reçois par mail un article du think tank de centre-gauche Telos dans lequel Mme Monique Dagnaud, chercheuse à l'EHESS, somme le système scolaire français de choisir enfin entre une « école élitiste » et une « école de masse », faute de quoi il irait droit dans le mur.
Mais Mme Dagnaud, depuis 1976 et la réforme Haby, le système scolaire a clairement choisi son camp, l'école de masse, et l'on a vu le résultat. Et nos chercheurs ébahis de découvrir que, malgré ce choix, le système est de plus en plus inégalitaire.
Recommandation du brave Docteur Dagnaud : éliminer dudit système les dernières poches d'élitisme et tout ira beaucoup mieux. On se prend à rêver de ce que Mme Dagnaud aurait conseillé aux Russes en 1989 : soyez encore plus communistes et vous sauverez l'URSS.
Il en va de l'égalité scolaire comme du sommeil, cherchez à les atteindre et vous les ferez fuir. Depuis trente ans, l'objectif de réduction des inégalités scolaires s'est invariablement traduit, dans l’Éducation nationale, par un abandon des contenus et des exigences scolaires et une prime à l'ancienneté pour le passage des élèves dans la classe supérieure. Moi, je propose carrément de donner l'agrégation à tous nos élèves sur présentation d'un certificat d'assiduité établi par la Vie scolaire et l'on verra par miracle disparaître toutes les inégalités entre eux. L'inanité de la « pensée éducative de gauche », si l'on peut qualifier ainsi un tel salmigondis et une telle indigence intellectuelle, est sans pareil.
On s'attendrait donc à ce que nos « penseurs éducatifs », saisis de quelque remords, fissent leur mea culpa. Point du tout. Il nous faut selon eux agir de toute urgence pour sauver l’École. Mais que fait-on justement depuis trente ans, si ce n'est « agir de toute urgence pour sauver l’École » ? Agir fort bien, mais pour quoi faire ? Pour faire pire encore si c'est Dieu possible ?
Les erreurs de doctrine sont funestes. Ne sous-estimez jamais le rôle des errements intellectuels dans l'histoire. Qu'est-ce que le marxisme, si ce n'est une grave erreur intellectuelle ? Qui a mis le système scolaire français dans un tel état, si ce ne sont les penseurs de gauche à la Prost, à la Bourdieu et tous leurs sous-fifres de l'EHESS dont la bêtise crasse alimente depuis trente ans la doxa enseignée par le SNES et par la rue de Grenelle ?
S'il est une leçon qui me semblait pourtant définitivement acquise à l'étude du cas finlandais, c'était celle-ci : un enseignement de qualité POUR TOUS augmente aussi le nombre des élèves les meilleurs. Au fond, c'est l'évidence même, sauf pour Mme Dagnaud et ses amis de gauche : plus le niveau de base des élèves est solide, plus vous élargissez le vivier dans lequel seront pêchés les bons élèves. Il est donc absurde d'opposer élitisme et école de masse. Une école de masse de qualité augmente automatiquement le nombre d'élèves aptes à rejoindre l'élite.
Inversement, l'école de masse médiocre voulue depuis 1976 par la gauche enseignante avec la complicité de certains gouvernements de droite accroît le poids du capital éducatif et culturel des parents dans les résultats des enfants et pour cause : elle abandonne aux parents le rôle de transmettre des savoirs. Autrement dit, elle a l'effet exactement inverse de ce pour quoi la « pensée enseignante de gauche » l'avait conçue. Comme dirait M. Mélenchon : « Que l'histoire est cruelle », surtout avec la gauche française, serait-on tenté d'ajouter.
Mais pourquoi un tel fiasco ? Précisément parce que la gauche éducative française a fixé au système scolaire comme but premier de réduire les inégalités scolaires et non de transmettre un enseignement de qualité au plus grand nombre possible d'élèves, puis qu'elle a cru bon d'atteindre cet objectif-là en supprimant justement tout enseignement de qualité. Le raisonnement reposait sur un syllogisme navrant qui est encore celui de la plupart de nos supérieurs hiérarchiques, lisez-les attentivement : l'école engendre des inégalités parce qu'elle trie les élèves en fonction de leurs résultats scolaires, réduisons l'importance des résultats scolaires et elle triera moins.Or s'il nous faut revenir de toute urgence à quelque chose, c'est bien à ceci : nous envoyons nos enfants à l'école pour qu'ils y apprennent à lire, écrire et compter et non pour que l’Éducation nationale y établisse de savantes statistiques sur les catégories socioprofessionnelles de leurs parents.
Tant que les hiérarques de la rue de Grenelle et les caciques du SNES n'auront pas compris cela, notre École continuera de s'enfoncer dans la médiocrité. Je suis pessimiste car, quand je vois la bêtise des soi-disant « penseurs de la gauche enseignante », j'ose à peine penser à leurs lecteurs, mes chers collègues.
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