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De l'art déco au modernisme : la rétrospective d'Eileen Gray au Centre Pompidou

Par Espaces à Rêver @themuriellel

Depuis sa mort en 1976, rien, pas une seule rétrospective en France de cette irlandaise, parisienne d’adoption, qui, au côté d’une autre (rare) femme, Charlotte Perriand, a insuflé un renouveau dans le design, l’architecture moderne et les arts décoratifs. Ah si, juste un livre en français publié en 2003 par la maison d’édition Phaidon…

On aura donc attendu 2013 pour qu’Eileen Gray ait enfin une rétrospective. Et c’est le Centre Georges Pompidou à Paris qui nous présente jusqu’au 20 mai 2013 une exposition retraçant, certes de façon assez linéraire et chronologique la vie d’une femme qui est tout, sauf linéaire ! 

J’admire ces parcours qui, vus d’un oeil étroit et conservateur, semble partir dans tous les sens, mais qui au fond démontre la richesse et l’inventivité débordante de personnes comme Eileen Gray. Sur presque un siècle (1878-1976), elle fut tour à tour, peintre, laqueuse, décoratrice, architecte, créatrice textile, designer, photographe, mais avant tout une femme libre et avant-gardiste ! Une artiste totale dont le processus de création et de conception est celui du Gesamtkunstwerk (“oeuvre d’art totale” en allemand, concept issu du Bauhaus).

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L’irlandaise Eileen Gray, coupe et tenue garçonne, photographiée en 1926 par la photographe américaine Berenice Abbott 

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Autre portrait d’Eileen Gray jeune (à gauche) et dans son appartement parisien

Si le mouvement des arts décoratifs a connu son heure de gloire dans les années 20, il n’a plus intéressé les collectionneurs jusque dans les années 70. En 1972, la vente de la collection du couturier Jacques Doucet, ami et client d’Eileen Gray, satisfait l’intérêt des collectionneurs ou marchands d’arts tels que Cheska Vallois, Gilles Peyroulet ou Peter Adam (qui a écrit un livre sur Eileen Gray). Mais c’est vraiment avec la médiatique vente aux enchères de l’immense collection d’Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé en 2009 par Christies que le travail d’Eileen Gray retrouve toutes ses lettres de noblesse. 

« De la toile du peintre à l’espace architectural, Eileen Gray a progressivement fait évoluer ses supports de création de la deuxième à la troisième dimension. À chacune des étapes, elle a choisi d’intégrer les matériaux de l’époque, du laque au tube de métal chromé en passant par le Rhodoïd ou le tube incandescent » explique la commissaire de l’exposition, Cloé Pitiot.

  • Eileen Gray la peintre et laqueuse 

Au tout début du siècle, la jeune Eileen tourne le dos à un destin de d’aristocrate et de femme mariée pour entrer dans une école d’art à Londres, puis à Paris dès 1902 où la liberté et la vie d’artiste est bien plus libre que dans la capitale britannique. Très vite, elle se passionne pour la laque et sera initiée notamment, dès 1907 par un maître laqueur japonais, Seizo Sugawara.

Suivra de nombreuses création de paravents avec des panneaux de laque, et une technique hautement maîtrisée, comme celui intitulé “Le Destin” pour lequel elle a créé le bleu nocturne, ou le paravent brique, interprétation moderne du japonisme. A travers l’expression de la laque et de ses créations de paravents, Eileen Gray bascule du figuratif vers l’abstrait.

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Paravent “Le Destin” conçu initialement pour son ami le couturier Jacques Doucet

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                          Paravent brique en bois noir laqué 

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Table aux chars en bois laqué (photo : Vallois-Paris-Arnaud Carpentier)

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Fauteuil Sirène, circa 1919, bois laqué, velours © photo : Anthony DeLorenzo.

  • Eileen Gray la décoratrice d’avant garde

Dès 1922, et jusqu’en 1930, Gray ouvre une galerie, dans les beaux quartiers pour y vendre ses créations, à commencer par ses paravents en laque, mais également du mobilier, des tapis de sa propre création aux motifs géométriques, des lampes… Suite à un atelier suivi dans la région de l’Atlas au Maroc, Eileen Gray découvre le tissage et ouvre même des ateliers de tissage, dont un dans sa boutique qu’elle a baptisé “Jean Désert” en hommage au désert qui l’a toujours fasciné. 

Dès lors, elle sera moins considérée comme artiste mais plus comme décoratrice, puisqu’elle décorera et meublera, avec son mobilier en laque et en bois, notamment les appartements de Jacques Doucet, mais également de Madame Levy qui fit la réputation d’Eileen Gray dans les années 20. Avant-gardiste, Gray attire mécènes, parisiens, et riches entrepreneurs intéressés par sa vision nouvelle de l’intérieur et par sa “volonté de construire un espace purement idéal ; […] vrai parce qu’il répond aux besoins profonds de l’âme et parce qu’il tient compte de cette vérité essentielle autour de laquelle ont tourné toutes les recherches artistiques de notre temps : un corps matériel n’est pas une entité immuable mais une somme de possibles.”

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Tapis en haute laine tissée à motifs abstraits vert amande sur fond noir, inspiré du groupe de Stijl, 195 x 206 cm. 

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                              Tapis Castellar

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                                Tapis Wendingen

Ainsi, pour les besoins de l’exposition au Centre George Pompidou, des period rooms (reconstitutions d’époque) sont proposées afin de redécouvrir les projets de décoration d’intérieurs marquants d’Eileen Gray : le Boudoir Monte-Carlo, la chambre dans son appartement de la rue Bonaparte à Paris où elle vécu la plus grande partie de sa vie, ainsi que sa villa du sud-est, Tempe a Pailla. Captant l’air du temps, Eileen Gray a toujours voulu ne considérer que « l’homme d’une certaine époque avec les goûts, les sentiments et les gestes de cette époque».

  • Eileen Gray l’architecte

C’est en rencontrant le jeune architecte roumain Jean Badovici, ami de Le Corbusier, dans les années 20 qu’Eileen Gray se lance dans des projets d’architecture qui feront d’elle une des figures de proue de l’architecture moderniste. Ensemble, de 1926 à 1929, ils pensent et construisent la villa E1027 sur la Côte d’Azur, qui compte donc parmi les premières maison de l’architecture moderne. 

 «Un modèle de modernité sensible dans lequel les meubles mêmes, perdant leur individualité propre, se fondent dans l’ensemble architectural», explique le duo Gray-Badovici. Suivront plusieurs autres maison comme la villa Tempe a Pailla finalisée en 1935 ou Lou Pérou en 1954. Eileen Gray a puisé son influence dans le travail des designers de son époque tels que Pierre Chareau, Charlotte Perriand ou Robert Mallet-Stevens, et a toujours allié les lignes épurées du Mouvement moderne à un souci du confort et sens pratique. À la fin des années 1930, elle s’orienta vers des préoccupations sociales, et conçut une série de projets de logements ouvriers et d’équipements de loisirs pour la classe moyenne. 

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                                Chambre de la villa E1027

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Vue extérieure depuis la mer de la villa E 1027, à Roquebrune-Cap-Martin. Crédits photo : (Guy Carrard)

  • Eileen Gray la designer

Le parcours de designer d’Eileen Gray démarre dès lors qu’elle découvre la laque et collabore avec divers ébénistes et artisans pour la réalisation de ses meubles en laque. Petit à petit, elle s’éloigne des formes courbes et organiques et des motifs figuratifs influencés par l’Art Nouveau pour aller vers des formes géométriques et abstraites, plus épurées caractéristiques de l’Art Décoratif (véritable mouvement s’opposant à l’Art Nouveau), pour enfin rejoindre tardivement, en 1950, l’UAM (Union des Artistes Modernes) dont l’ambition est d’explorer de nouveaux matériaux et de les nouvelles techniques pour les adapter à une vision moderne et revalorisée des arts décoratifs. 

Ci-dessous, les créations phare d’Eileen Gray qui donne un aperçu de sa grande créativité, sa vision moderniste, son ingéniosité et son élégance, toujours dans un objectif d’esthétique et de fonctionnalité. 

Réalisée pour la modiste Suzanne Talbot, le Fauteuil aux Dragons a été adjugé le 24 février 2009 à 21,9 millions d’euros lors de la vente Pierre Bergé-Yves Saint-Laurent devenant depuis ce jour la designer la plus chère en vente publique ! 

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                              Fauteuil aux dragons 1917-1919
De forme arrondie, gainé de cuir brun postérieur, le dossier capitonné, la structure en bois laqué brun orangé à inclusions de feuilles d’argent patinées, à motif en léger relief de nuages stylisés laqués brun, figurant deux dragons, les têtes sculptées dans les accotoirs, les yeux laqués noir sur fond blanc, les corps se prolongeant dans la base sinueuse à l’arrière du siège

En parallèle de son projet de la villa E1027, Eileen Gray a exploré de nouveau matériaux, après s’être adonné au design textile, à la laque : elle a commencé créer du mobilier en acier tubulaire ! L’un des objets les plus symbolique de cette époque est la Table ajustable, en acier tubulaire laqué et acétate de cellulose qui ornait la chambre à coucher de la villa E 1027. Ses ingénieuses créations métalliques lui valurent d’être nommée «Royal design for industry» par la British Society of Arts en 1972, quatre ans avant sa mort dans son appartement parisien.

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Table ajustable.Crédits photo : Centre Pompidou / Jean-Claude Planchet

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Fauteuil Transat, 1927-1929, sycomore verni, acier nickelé et cuir noir synthétique (PARIS, CENTRE POMPIDOU. PHOTO DE PRESSE RMN).

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Meuble à pantalons, 1930-1933, contreplaqué peint, celluloïd transparent vissé, cornières, 4 roulettes et 7 cintres en aluminium, Réalisé pour Tempe a Pailla, Castellar Collection particulière (Courtesy Gilles Peyroulet & Cie, Paris).

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Coiffeuse-paravent en bois peint, aluminium, verre, liège, feuille d’argent, provenant de la villa E 1027. Crédits photo : (Centre Pompidou, Mnam-Cci © Dist. RMN-GP)

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Fauteuil Bibendum, circa 1930, métal chromé, toile © Christian Baraja, Studio SLB

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Cabinet à tiroirs pivotants, 1926-1929, bois peint. Mobilier provenant de la villa E 1027 © Centre Pompidou / Jean-Claude Planchet

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Chaise de salle à manger, 1926-1929. Acier nickelé, cuir brun. Mobilier provenant de la villa E 1027. Don de la Société des amis du Musée national d’art moderne, 2011. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Crédit photo : DR.

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                                Berlin Desk Lamp

  • Eileen Gray la photographe 

Dans une exposition parallèle à celle du Centre Pompidou, il sera possible de découvrir des photographies d’Eileen Gray qui aimait notamment réaliser des autoportraits…. A partir du 7 mars prochain à la Galerie Peyroulet & Cie dans le 3ème arrondissement de Paris vous propose de venir découvrir cette autre facette d’Eileen Gray… Le printemps sera Gray à Paris ! 

En savoir plus : 

  • Centre Georges Pompidou

Place Georges-Pompidou – Paris 4e 
Adresse postale : 75191 Paris cedex 04

Dates : 20 février 2013 - 20 mai 2013
de 11h00 à 21h00
Galerie 2 - Centre Pompidou, Paris

13€, TR 10€ / 11€, TR 9€ selon période / Forfait donnant accès à toutes les expositions temporaires et aux collections permanentes du musée

En parallèle de l’exposition au Centre Pompidou, la galerie organise une exposition “Eileen Gray et la photographie”du 7 mars au 20 avril.
75-80 rue Quincampoix
75003 Paris
Tel : +33 (0)1 42 78 85 11
Du mardi au samedi, de 14h à 19h

  • Une sélection de livres sur Eileen Gray 

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Eileen Gray”, catalogues de l’exposition par Cloe Pitiot, commissaire de l’exposition - Editions : Centre Georges Pompidou Service Commercial (13 février 2013)

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Eileen Gray Design” de Peter Adam - Editions : Schirmer /Mosel Verlag Gm (octobre 2007)

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“Eileen Gray : Design and Architecture 1878-1976” de Philippe Garner - Editions : Taschen (2007)

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Eileen Gray de François Baudot et Eileen Gray - Collection Mémoire du style - Editions : Assouline (29 mai 1998)

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“Eileen Gray : objects and furniture design” de Sandra Dachs - Edition : Ediciones Poligrafa (1 juin 2013)

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“Eileen Gray : sa vie, son oeuvre” de Peter Adam - Editions de La Différence (29 novembre 2012)

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“Eileen Gray” de Caroline Constant - Editions : Phaidon Press Ltd. (15 novembre 2007) - Collection Architecture

M.L.


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