Lettre ouverte à Monsieur le Premier Ministre et à Madame la Ministre des affaires sociales et de la santé relative à la Stratégie nationale de santé et à l’actualisation de la Loi de santé publique
Laxou, le 25 février 2013
Monsieur le Premier Ministre,
Madame la Ministre,
Vous avez annoncé à Grenoble le 8 février 2013 la préparation d’une stratégie nationale de santé porteuse de réformes « structurelles » du système de santé. Ces réformes doivent trouver « leur place dans la loi de santé publique qui sera votée l’an prochain ».
La Société Française de Santé Publique (SFSP) ne peut que se réjouir que soit enfin décidée l’actualisation de la Loi de santé publique du 9 août 2004.
Notre société s’interroge néanmoins sur l’étendue des réformes envisagées au vu de l’argumentation exposée, qui pourrait faire de la santé une affaire trop exclusivement centrée sur le système de soins.
La SFSP, suivant en cela l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), considère que les trajectoires de vie de tout un chacun s’enchâssent dans un environnement physique et social qui façonne les conditions de vie et de travail, et conditionne nos choix et nos comportements en matière de santé. L’accroissement des inégalités sociales de santé, sous l’influence de la crise économique et sociale qui frappe notre pays, aggrave encore l’impact des choix personnels sur la santé. Les écarts n’ont jamais été aussi grands, avec une situation particulièrement défavorable pour les chômeurs et les inactifs, comme pour les habitants des zones urbaines défavorisées (cf. les données récentes de l’ONZUS), mais ceci est la manifestation extrême d’un gradient qui traverse l’ensemble de la société. Ce sont les déterminants sociaux de ce gradient mais aussi les déterminants environnementaux qu’une Loi de santé publique doit impérativement prendre en compte en même temps qu’elle contribue à adapter le système de santé.
La SFSP note avec satisfaction que le Premier Ministre veut renforcer la prévention, mais elle appelle fermement à l’inscrire dans un effort plus vaste de promotion de la santé, tout particulièrement en matière de politiques publiques, avec un examen systématique de leur impact sur la santé. Deux exemples peuvent permettre de s’en convaincre, l’enfance et la santé au travail.
Dans un rapport de mai 2011, l’IGAS rappelait que les inégalités sociales se forgent très tôt dans l’enfance, notamment en termes de développement cognitif et d’éveil intellectuel et se traduisent plus tard dans des atteintes de la santé (troubles du langage, etc.) ; elle rappelait également que les modes d’accueil collectif de la petite enfance ont un rôle protecteur. Pourtant, les mesures retenues par la Conférence nationale sur la pauvreté, en faveur de l’accueil des enfants pauvres de moins de 3 ans dans des structures collectives, manquent d’ambition et ne prennent pas en compte les considérations de santé. En effet, il est à craindre que la seule « généralisation de commissions d’attribution des places en crèches ayant recours à des critères sociaux transparents » sera insuffisante en l’absence d’augmentation des capacités d’accueil. Et le coût d’investissement gagnerait probablement à être comparé à celui des bénéfices qui seraient ainsi obtenus avec des effets à long terme en matière de santé.
En matière de santé au travail, les preuves s’accumulent concernant la « double peine » des ouvriers et employés peu qualifiés dans notre pays, qui ont à la fois l’espérance de vie la plus courte parmi les actifs et la proportion d’années de vie sans limitations d’activité / en bonne santé la plus faible (situation encore plus défavorable chez les chômeurs). Si nous pouvons nous réjouir que la conférence sur l’emploi débouche sur une mesure facilitant l’accès aux soinsindividuel, à travers la généralisation du financement d’une couverture maladie complémentaire, nous aurions souhaité qu’une attention aussi grande soit accordée à la préservation de conditions d’emploi et de travail favorables à la santé et à la prévention des risques professionnels. La SFSP a déjà demandé par ailleurs qu’il soit tenu compte de ces inégalités dans le débat sur l’évolution des retraites
Il faut saisir l’opportunité d’une Loi de santé publique pour agir sur les déterminants sociaux et environnementaux, et porter, dans le même temps, les mesures visant à réformer le système de santé. Une des premières décisions à prendre serait à ce titre de faire de la lutte contre les inégalités sociales de santé un des buts de la politique de santé. Un des outils pour y parvenir est de développer les études d’impact de l’ensemble des politiques publiques sur la santé. Et ces nouveaux axes politiques ne trouveront pas leur assise sur le terrain sans une structuration et un soutien du dispositif de prévention, qui repose à l’heure actuelle, dans notre pays, sur un tissu associatif particulièrement fragilisé. S’agissant de l’ampleur des affections chroniques évitables à long terme, que l’OMS a su quantifier depuis les années 90, la SFSP plaide pour une action sur des déterminants de santé au-delà du soin, dans le cadre de priorités comme la santé mentale, la santé des jeunes et les inégalités sociales de santé. Ces actions requièrent une politique de prévention coordonnée, interministérielle et structurée de manière à sécuriser une finalité santé parfois lointaine et complexe. La contribution des savoirs de santé publique, seuls garants des spécificités de la santé en matière de politiques publiques, est indispensable pour objectiver ce type de finalité. Une loi de santé publique serait donc l’opportunité de requérir des cadres d’action intersectorielle articulant les différents niveaux de décision et explicitant les modalités de prise en compte des connaissances de santé publique dans les processus de décision. La SFSP retient, des travaux scientifiques disponibles, la notion que les gains en efficience et en équité pour notre système de santé se situent prioritairement dans les domaines de la prévention et de l’accès aux soins des plus démunis, et que l’efficacité de telles actions repose sur une action intersectorielle inclusive et coordonnée et une approche interdisciplinaire.
Enfin, si la SFSP se réjouit que la recherche médicale soit annoncée comme « l’une des priorités du prochain agenda stratégique de la recherche », elle souligne l’effort important qui reste à accomplir pour accompagner ce processus de transformation au long cours. A côté de la poursuite de l’effort de recherche biomédicale, fondamentale et clinique, c’est un effort de rattrapage du retard en recherche sur le fonctionnement des services de santé qui est nécessaire, de même qu’un effort de recherche interventionnelle qui permette de développer des bases de connaissances plus solides pour l’action.
Insistant également sur l’importance de la représentation des acteurs de la société civile et des associations d’usagers dans le processus, la SFSP est prête à participer, sur ces bases et avec l’ensemble de ses membres, à l’élaboration de la stratégie nationale ainsi qu’à la préparation de la future Loi.
Dans cette attente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre, l’expression de notre haute considération.
Pierre Lombrail,
Président, au nom des membres du Conseil d’administration de la SFSP.
Créée en 1877, la Société Française de Santé Publique (SFSP) est une association régie par la loi de 1901, reconnue d’utilité publique depuis le 8 mars 1900. Son siège social se trouve à Nancy, elle est composée d’une équipe de 6 salariés et près de 800 adhérents : personnes physiques, adhérant à titre individuel, exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle dans le champ de la santé publique, et personnes morales, structures nationales ou locales dont le champ d’action principal est la santé publique, Sociétés Régionales de Santé Publique et groupements de professionnels.
La SFSP offre aux différents acteurs de santé (professionnels : scientifiques et/ou de terrain, décideurs politiques, acteurs économiques et du social) un cadre et des moyens pour une réflexion collective et interprofessionnelle. Cette réflexion repose en particulier sur l’analyse critique des faits scientifiques et des pratiques professionnelles. Elle débouche sur la formulation de propositions à l’intention des décideurs et permet d’éclairer l’opinion publique sur les enjeux, les forces et les faiblesses des politiques publiques de santé.
La Société Française de Santé Publique édite depuis 1988 une revue scientifique, carrefour des pratiques : Santé Publique. Sa vocation est de soutenir la recherche en santé publique, de favoriser le partage de connaissances entre chercheurs et acteurs de terrain, et de faciliter les échanges de pratiques entre professionnels. Elle couvre les politiques, interventions et expertises en santé publique, les pratiques et l’organisation des soins et enfin, santé publique et développement.
Source : Lettre ouverte à Monsieur le Premier Ministre et à Madame la Ministre des affaires sociales et de la santé relative à la Stratégie nationale de santé et à l’actualisation de la Loi de santé publique – 25 février 2013
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