Joseph Anton – Salman Rushdie

Par Theoma

Une autobiographie.

« Son plus gros problème, pensait-il dans les moments d'amertume profonde, était de ne pas être mort. »

En revenant sur son parcours et particulièrement sur ses dix années de « détention », l'auteur des Versets sataniques nous offre une profonde et brillante réflexion sur ce qui définit notre société. Une ode à la liberté d'expression et un plaidoyer contre sa régression actuelle.

Si l'affaire a été très médiatisée, entrer dans l'intime permet au lecteur de prendre conscience d'une réalité inconnue. Tout d'abord, se loger. La vie n'est pas comme la fiction. Aucun abri fourni et payé par l'état. Salman Rushdie doit lui-même trouver des endroits sûrs qui seront agréés par son équipe de sécurité.

L'impact de la fatwa non seulement sur l'écrivain mais sur son fils, sa famille, ses proches et le domaine de l'édition. Le monde divisé en deux parties ; l'avant et l'après fatwa. Ceux qui brûlent des livres, ceux qui refusent de les vendre, ceux qui renoncent à les éditer, à les traduire, et ceux qui ont le courage de défendre cette liberté.

Le temps, très court, où les versets sataniques n'était qu'un roman et était jugé en tant que tel, les éditeurs étrangers frileux à publier le texte, l'aventure de la version poche, l'assassinat de deux traducteurs, la kabale de l'opinion publique qui se demande si l'auteur mérite les frais engagés par le contribuable pour le défendre, la difficulté d'entretenir une relation amoureuse dans une vie de musellement... L'extrême isolement d'un homme seul contre tous.

Un livre fouillé, détaillé, foisonnant, parfois trop. Comment lui reprocher cette nécessité urgente de tout dire, de tout expliquer ? Le monde a parlé a la place de l'auteur durant tellement d'années. Je salue son courage de publier un livre qui risque de raviver la haine que de nombreux extrémistes lui portent (la prime pour la tête de Salman Rushdie lancée en 1989 s'élèvent aujourd'hui à 3,3 millions de dollars).

En tournant les pages, j'ai été frappée par le manque de réaction de l'Occident et je me suis souvent interrogée. Suite aux attentats du 11 septembre, l'islamisme est connu du plus grand nombre. Salman Rushdie aurait-il été condamné à mort aussi longtemps sans qu'aucun gouvernement ne s'y oppose officiellement si la fatwa avait été prononcée après 2001 ?

Quoi qu'il en soit, Joseph Anton n'est plus. Heureusement pour lui et pour nous.

« Quant à la bataille des Versets sataniques, il était encore difficile de dire si elle s'achevait sur une victoire ou sur une défaite. Le livre n'avait pas disparu, son auteur non plus, mais il y avait eu des morts, et un climat de peur s'était installé qui rendait plus difficile de publier des livres comme le sien et peut-être même d'en écrire. »

Plon, 728 pages, 2012, traduit de l'anglais par Gérard Meudal

Extraits

« Il pensa aux écrivains qu'il aimait et tenta de combiner leurs noms. Vladimir Joyce, Marcel Beckett, Franz Sterne. Il dressa des listes de toutes sortes de combinaisons et toutes lui parurent ridicules. Puis il en trouva une qui ne l'était pas. Il écrivit côte à côte les prénoms de Conrad et de Tchekhov, et il l'avait, son nom pour les onze années à venir.

Joseph Anton. »

« Tandis que sa nouvelle vie en arrivait à sa quatrième année, il se sentait très souvent semblable au voyageur imaginaire de borges, isolé dans l'espace et le temps. Le film Un jour sans fin n'était pas encore sorti mais quand il le vit il s'identifia très fortement au personnage principal, Bill Murray. Dans sa vie à lui aussi, chaque pas en avant était effacé par un pas en arrière. L'illusion du changement était annulée par la découverte que rien n'avait changé. L'espoir était gommé par la déception, les bonnes nouvelles par les mauvaises. Les cycles de sa vie ne cessaient de se répéter. S'il avait su qu'il avait encore six autres années de séquestration devant lui, s'étendant bien loin au-delà de l'horizon, il aurait vraiment été saisi de démence. »

« C'était l'islam qui avait changé et non pas des gens comme lui, c'était l'islam qui était devenu allergique à toute une large série d'idées, de comportements et d'objets. Au cours de ces années et des années suivantes, des voix islamiques dans plusieurs parties du monde, Algérie, Pakistan, Afghanistan, s'élevèrent pour lancer l'anathème contre des pièces de théâtre, des films, de la musique, certains musiciens ou interprètes furent blessés ou tués. L'art de la représentation c'était le mal, c'est pourquoi les anciennes statues des Bouddhas de Bamiyan furent détruites par les Talibans. Il y eut des attaques d'islamistes contre des socialistes, des syndicalistes, des caricaturistes, des journalistes, des prostituées et des homosexuels, des femmes en jupe et des hommes sans barbe, et même, de façon surréaliste, contre des démons épouvantables : les poulets congelés ou les samosas ».

« Ce que l'on apprend à l'école n'est pas toujours ce que l'école croit vous enseigner. »

« C'était étrange que quelqu'un d'aussi ouvertement athée ne cesse de s'ingénier à écrire sur la foi. »

L'avis mitigé de Jostein

Lu dans le cadre du...