Le score de Beppe Grillo n’est ni étonnant ni inquiétant. Il va simplement obliger la classe politique italienne à se réformer.
Par Marc Crapez.
Beppe Grillo en campagne
Le score de Beppe Grillo est un non-événement. Le succès de son Mouvement 5 étoiles est antérieur à la récente cure d’austérité économique. Il remonte aux municipales de 2011, à l’époque où droite et gauche s’entendaient comme larrons en foire pour multiplier les échelons administratifs et accentuer la dette. En outre, le score de 25% n’est pas plus élevé que celui obtenu par d’autres partis contestataires par le passé (Ligue du nord plus néo-fascistes il y a quinze ans par exemple). Enfin, qu’il faille une coalition pour gouverner est un scénario banal dans la vie politique italienne.
Il n’y avait pas spécialement de raisons de voter pour le trio Monti, Bersani, Berlusconi. Tous trois ont ignoré le peuple, lui préférant l’onction médiatique. Grillo a marqué des points en montrant la partialité des médias contre lui. À l’heure où une partie de la jeunesse italienne recommence à émigrer faute de perspectives, Mario Monti s’est discrédité en affirmant que l’Italie était menacée par un risque de xénophobie et d’antisémitisme, insinuant que Grillo et Berlusconi pouvaient l’être (alors que l’Italie fut dans les années 30 l’une des sociétés les plus imperméables à l’antisémitisme).
Le nouveau lieu commun des élites
À Parme, le maire du Mouvement 5 étoiles n’a pas plus mal géré qu’un autre. Pendant ce temps, éclataient des affaires de corruption. Par ailleurs, la classe politique italienne n’a fait aucun effort pour limiter le cumul des mandats, se renouveler (Berlusconi a 77 ans !), ou diminuer ses revenus. Fin 2011, des propositions de diminution du train de vie des députés n’ont obtenu que 22 voix au parlement italien.
Certes, Monti a eu le bon goût de prêcher l’exemple en baissant son propre traitement et celui des hauts fonctionnaires. Néanmoins, l’Italie a été moins audacieuse que les autres pays européens soucieux de se réformer, Espagne, Irlande, Portugal, Royaume-Uni, où les traitements des ministres ont été amputés jusqu’à 15%.
Inutile de sous-estimer les gens en parlant de populisme. Chacun comprend que ces mesures de restriction ne sont pas des recettes miracles. Mais même si elles ne sont que des gouttes d’eau dans un océan de désendettement, elles sont les bienvenues. En matière de rigueur, la moindre des choses est de commencer par se l’appliquer à soi-même. Les serviteurs de l’État doivent être les premiers à consentir des sacrifices pour donner l’exemple.
Enfin, Monti est logiquement éconduit pour avoir suspendu la démocratie. Il avait été dépêché à Rome en Proconsul de l’Union européenne, sans se faire élire. Cette désinvolture a une double conséquence. Du côté du peuple, cela détourne l’attention du déficit démocratique de l’UE en accréditant à la place le thème de la « dictature des marchés ». Du côté des élites, qui ne veulent pas entendre parler de leur responsabilité dans le déficit démocratique de l’UE, cela accrédite l’idée d’un rejet populaire des réformes libérales.
La formule circule ces jours-ci dans une variante prêtée à un conseiller de Sarkozy lors de la campagne présidentielle : « Tout ce qui serait utile au pays nous rend inéligibles ». Cette sentence est le nouveau lieu commun des élites. Cette croyance qui postule la sottise et le mauvais vouloir du peuple est fausse (je l’ai déjà expliqué dans « Réformer avec le soutien de l’opinion n’a rien d’une chimère »). Simplement, pour indiquer la voie de la réforme, il faut commencer par raboter ses propres privilèges.
Les intellectuels sont limités et manquent d’imagination : dès qu’ils ne comprennent pas un phénomène social, ils l’attribuent à l’infantilité du peuple. L’idée que des réformes libérales seraient infaisables exonère les élites de leur propre paresse. Elle leur permet de se croire détentrices d’un savoir salvateur combattu par des forces obscures. Car les élites sont friandes de préjugés et d’interprétations conspirationnistes. D’intimes convictions censées dévoiler le dessous des cartes
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