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Un vieux souvenir

Publié le 04 mars 2013 par Legraoully @LeGraoullyOff

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Je me souviens avec plaisir de saveurs et de parfums délicieux. C’est assis dans un petit restaurant italien de Parentis-en-Born que tout ça m’est revenu. D’un seul coup, comme ça, sans crier gare. Un véritable flash-back, comme dans les films. C’est marrant la mémoire quand même les tours que ça vous joue. Des choses dont vous n’auriez jamais pensé vous rappeler vous reviennent subitement. Presque comme si ces souvenirs débarquaient d’un autre vous qui vivrait dans un monde parallèle fusionnant avec le nôtre.

Ça remonte loin, à l’époque où la vie n’avait pas encore prise les dimensions circulaire d’une horloge ni le métronome d’une trotteuse m’imposant son pas cadencé. Un vieux souvenir de famille. Je me rappelle du mois d’Aout que nous attendions impatiemment tout le reste de l’année comme une cure de jouvence généalogique. Ca commençait par des trajets en voiture qui nous paraissait interminables à moi et ma sœur. Quatorze heures de route sans compter les pauses, ça fait beaucoup pour des enfants. Nous jouions aux devinettes ou aux charades jusqu’à ce qu’elle s’endorme enfin. Alors seulement j’avais la tranquillité nécessaire inhérente à une lecture attentive. J’en ai dévoré des livres. Chaque page de plus s’envolait dans ma tête tel un cyclone alphabétique. Toutes d’encre et de papier certes, mais les mots couchés dessus avait chacun leur propre odeur de par leur sens, aussi unique qu’une empreinte digitale.

Nous devions traverser des petites routes avant d’arriver dans la famille. C’était alors tout un spectacle pour les yeux comme pour le nez. Les champs d’olivier qui s’étendaient à perte de vue dégageaient une senteur incroyablement puissante qui embaumait l’atmosphère sur des kilomètres. C’était comme si la nature nous souhaitait la bienvenue et nous accompagnait en nous tenant par les sens jusqu’à notre destination.

Gioia Del Colle. Une ville des Pouilles dans le sud de l’Italie. Nous arrivions tous exténués après ce long périple mais l’accueil était toujours si chaleureux, si énergique, si différent du nord-est triste et gris qui caractérise la lorraine que nous trouvions la force nécessaire pour rester éveillé. De toute façon, toute cette brulante armada méditerranéenne toutes en bras et en bouches nous en aurait empêché. Il faut dire aussi que dès la sortie du véhicule, l’odeur de la bolognaise en train de mijoter me faisait vite oublier mon envie de m’affaler sur la première balancelle venue.

Je la reconnaissais entre mille cette odeur. Ca me prenait tout de suite aux organes. Je humais sans être avare de frétillement de narines ce fumet féerique. Mon cœur se mettait alors à battre au rythme des bulles vermillon qui se battaient pour nager jusqu’à la surface de la casserole. Elle était magique cette effluve, comme un parfum de matin de noël. L’exhalaison salée de la sauce tomate, moulinée par litres et mise en bouteille tous les juillets par ma tante et parfois mon oncle- qui à chaque fois à cette période de l’année tentait de se défiler pour éviter d’avoir à le faire. Au fil du temps sa femme avait su trouver les combines pour lui faire mettre la main à la pâte. Ils étaient touchants et encore plein de malice pour leur âge. Comme c’était plaisant.

Lui préférait travailler dans son petit atelier au fond du jardin. Menuisier ébéniste de métier maintenant à la retraite, il passait tout son temps entre son jardin et son atelier. On peut dire qu’il savait travailler de ses mains. Il en faisait vraiment de jolies choses. Après les mille et une embrassades de retrouvailles, je montais les escaliers de pierre qui se délabraient toujours un peu plus année après année puis gagnait mes quartiers pour y déposer mes affaires. En rentrant dans la chambre, j’eus une agréable surprise. Quelque chose avait changé. Je remarquai une superbe table de nuit en pin massif dont les effluves d’une lasure très légèrement teintée se mélangeaient à celle de la petite lampe laquée récemment d’un orange patinée de mauve, couleur coucher de soleil. De la belle ouvrage. Un véritable travail d’orfèvre. Il avait vraiment un don le tonton. Ça c’était de l’art. Rien à voir avec toutes les immondices que s’arrachent ceux qui ont perdu toute notion de beauté dans les rayons de chez Ikea. Ça devait être frais car ça picotait encore légèrement les yeux et les narines mais plus assez pour étourdir. C’était encore légèrement collant au toucher. Il était impossible d’aérer la pièce vu l’écrasante chaleur qui régnait ici. Tous les volets restaient fermés en journée, n’attendant que la tombée de la nuit pour pouvoir enfin y laisser rentrer la pittoresque senteur des oliviers plantés juste en dessous de la fenêtre. Le sud a vraiment quelque chose d’incomparable que je ne saurais que trop conseiller à tous ceux qui n’ont jamais connu le plaisir de se délecter de ses innombrables fragrances toutes plus délicieuses les unes que les autres.

A table, il y avait toujours plein de monde. Des oncles, tantes, des grands oncles, des grands-tantes, des cousins, des cousines, une vraie petite mafia. Je me demande encore d’où il sortait vu que je n’en connaissais pas la moitié. C’était au plus hurlant de se faire entendre. Au beau milieu d’une discussion animée, ma tante nous servit des Taralli, un met dont je raffole encore aujourd’hui. C’est une sorte de petit biscuit rond à l’huile d’olive. J’en dévorais des quantités et sec étant encore trop jeune pour avoir droit au verre de vin blanc qui l’accompagne traditionnellement. Puis la fameuse bolognaise fut servie. Fourchette, couteau, et bien sûr l’indispensable cuillère pour y enrouler ses pâtes. Les couper aurait été le pire affront que je puisse leur faire j’en suis certain. Et ce sentiment m’a surement été transmis car lorsque je vois quelqu’un le faire, je ne peux m’empêcher de ressentir l’envie de crier à l’infamie. Ah… La sauce tomate… Lave en fusion aromatisée au thym et au basilic dont chaque coulée dans l’œsophage provoquait en moi un orgasme. Mon royaume pour de la sauce maison ! Et le pecorino, fromage au lait de brebis dont je saupoudrais avidement mon assiette. Ca apportait une petite touche de sel des plus exquises. Tout était fait avec des produits locaux. J’avais l’impression de dévorer la région toute entière. Dieu dans un plat de pâtes. C’était ça le plus prodigieux. Ce tour de force qui consiste à marier subtilement quelques ingrédients simple pour en faire quelque chose de délectable. La magie de la cuisine. Puis vint la scarmoza, un fromage qui m’a toujours fait penser à un bonhomme de neige miniature au lait pasteurisé. Il y avait aussi ces moments où nous partions tous faire le marché. Je me souviens de ses légumes, ses fruits, ses poissons, des farandoles d’arlequins gloutons… Un des cousins de mon père tenait un de ces stands dont les pigments laissaient une forte impression sur mes yeux avertis. Des dizaines de bottes de piments étaient suspendus dans les airs et tournoyaient doucement au gré du vent. Il y avait également de nombreuses bouteilles d’huiles d’olive et d’origan. Et encore d’innombrables produits dans tous les tons possibles et inimaginables. Il s’appelait Filippo mais tout le monde l’appelait Pipo et c’est la première fois que je le rencontrais. Après m’avoir donné l’accolade virile du mâle italien pur bœuf, il décrocha deux piments, m’en tendit un et garda l’autre. Il le mit tout entier dans sa bouche et me fit signe de faire de même. Je regardais un instant mon père le questionnant du regard, l’implorant, sollicitant son aide, me disant que ce type était complètement cinglé, mais je n’eus comme toute réponse qu’un regard narquois. Il m’exhorta à faire de même en m’expliquant que c’était une espèce de vieux rituel de famille et que lui-même avait dû en passer par là bien des années plus tôt. Je ne voulais pas passer pour un couard devant cet inconnu qui mâchait un volcan comme si de rien n’était. J’enfournais donc à mon tour ce capsicum rouge sang à l’intérieur de ma pauvre bouche qui n’en demandait pas tant. A peine avais-je croqué dans le fruit qu’une violente sensation de brulure me fit pleurer les yeux et ouvrir la bouche à toute pompe comme pour chercher un quelconque secours dans l’air autour de moi. J’avais littéralement la bouche en feu. Un incendie si corrosif que même le plus vaillant des pompiers ne s’y serait pas risqué. Je les voyais tous se foutre de moi. Ils se marraient comme des baleines tandis que je courais cracher ce fruit qui aurait dû lui aussi être défendu à toute personne saine d’esprit. Bien évidemment, ils me laissèrent commettre l’erreur de boire de l’eau ce qui ne changea rien au problème. J’ai mis plusieurs années avant de pouvoir apprécier la saveur piquante de ce caniculaire petit coquelicot. Je me souviens aussi de l’étrange sérénité de Pipo lorsqu’il l’avait mangé. Ça m’avait toujours paru bizarre que ça ne lui ai rien fait. Quand j’ai demandé plus tard à mon père, il m’a répondu qu’il avait fait semblant de mâcher. Et ils le savaient tous. Voilà pourquoi ils riaient les gros malins. Le salaud m’avait tendu un piège. Mais bon c’était la tradition. Voilà à quoi ça réduisait mon héritage familial. Il y en a qui se transmette une montre, des livres, une gourmette et que sais-je encore mais non ! nous c’était de se faire bizuter au piment. J’étais impatient d’avoir un fils…

« Ohéééé ! »

Une femme assise en face de moi me ramène brutalement à moi. Elle me passe la main devant le visage comme pour voir si tout va bien. Je secoue brièvement la tête, écarquille les yeux et reprend mes esprits. Je suis revenu sur la chaise du petit restaurant italien de Parentis. Tout ça n’a duré que quelques secondes mais j’ai l’impression d’être parti pendant deux semaines comme à l’époque. La femme en question se prénomme Faustine. Je me penche au-dessus de la table pour l’embrasser avec toute la passion de mes souvenirs sans manquer de renifler au passage son parfum d’ambre et de vanille sur sa nuque dégagé.

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