J’inaugure une nouvelle rubrique de mon blog « Paroles d’entraîneur » où l’idée est de proposer à un entraîneur de nous donner ses impressions sur une thématique. Je débute donc une collaboration avec Mehdi Daouki, entraîneur de tennis à qui j’ai proposé cette tribune pour nous parler de son expérience d’entraîneur et de parler de la thématique de la relation entraîneur-parent de joueur.
J’ai constaté que souvent leurs actions, leurs comportements faisaient la différence. Je prends pour exemple ma collaboration avec Aravane Rezaï (qui était top 100 quand on a démarré) et les discussions que j’ai eu avec son père. Faire partie de son équipe m’a obligé à trouver une nouvelle place, à me dépasser et à chercher des solutions pour satisfaire une ambition hors norme: celle d’être numéro une mondiale. Au delà de la technique, la tactique et du physique, je me demandais chaque jour, avec beaucoup d’enthousiasme, ce qui allait se passer sur le court. Nous passions des journées entières à s’entraîner. Je devais préparer des séances spécifiques car Aravane était habituée à s’entraîner longtemps: les séances duraient au minimum 3h et parfois on pouvait rester 4 heures sur le court. Cela représentait beaucoup de temps et je constatais que son niveau de concentration baissait au fur et à mesure. Mais elle avait réussi à être top 100 avec ce rythme de séances imposées par son père et je ne pouvais pas remettre cela en question. A ce moment-là, l’objectif était de rentrer dans le top 10.
J’étais persuadé qu’il y avait des choses à faire évoluer mais je savais qu’avant tout, il fallait convaincre son père. Car c’est lui qui décidait pour elle. Il était déterminé, il avait pour ambition de représenter son pays d’origine, l’Iran, et de conquérir le monde. Il parlait souvent d’Agassi et prenait exemple sur lui. Un jour, il m’a confié qu’il avait comme objectif, que sa fille frappe plus de balles dans sa carrière qu’Agassi. Il était persuadé que c’était la seule manière d’arriver à être numéro 1 mondiale.
Après quelques temps, j’ai pris plus de place dans l’équipe. J’intervenais plus mais je m’apercevais qu’elle manquait de concentration, de détachement, de relâchement durant l’effort. Après une heure d’entraînement, tout cela se dégradait.
Nous avons donc convenu de faire des séances d’une heure plus souvent en essayant de faire progresser sa concentration et augmenter le temps de séance au fur et à mesure.
Mais cela n’a pas vraiment convaincu son père qui voulait toujours plus, que sa fille s’entraîne jusqu’à l’épuisement, voire parfois même la blessure. Mais je devais rester proche de lui, comprendre ses croyances aussi pour mieux aider sa fille qui avait 20 ans et qui désirait probablement être plus autonome.
Cela se passait beaucoup mieux quand j’étais seul avec Aravane sur les tournois. J’ai dû être patient, l’écouter, essayer d’avoir une autre approche pour qu’elle trouve de l’équilibre dans sa vie également.
Mais la relation avec son père a été compliquée dans la mesure où il avait sa façon de fonctionner avec elle, un discours, des exercices spécifiques. Je me rappelle qu’on parlait du développement de jeu, de son physique ou de sa technique au service. Il fallait que je m’adapte en permanence.
J’ai eu parfois l’impression que sa motivation et son ambition allait à l’encontre de l’équilibre psychologique de sa fille. Je devais pourtant être un lien, entre les deux, pour que les séances soient productives, que lui aussi soit rassasié. Mais cela a engendré beaucoup de conflits et d’incompréhensions.Après le tournoi de Pékin, la collaboration s’est arrêtée sans que je n’ai vraiment eu d’explications à cela. Mais je sentais que je prenais peut être trop de place dans sa vie, qu’il fallait qu’elle fasse des choix sportifs, qu’elle prenne des risques. Je me demande aussi si ce n’était pas une question de confiance. Elle avait eu de très bons résultats avec moi en gagnant 2 tournois. Je voyais aussi la progression dans ses entraînements. Mais peut être que son père n’était pas convaincu de mes prises d’initiatives. On avait discuté de mettre en place autour d’elle, un préparateur physique et un sparring. J’ai aussi proposé des outils pour mieux gérer ses émotions, sa concentration mais cela ne rentrait peut-être pas dans les plans du père qui est resté ancré dans ses propres convictions. Il voulait rester son entraîneur et je ne pouvais que respecter son choix.
Après tout, Aravane avait 21 ans. Elle était parvenue à rentrer dans le Top 20. A ce moment là, elle devait probablement faire un choix. J’ai appris plus tard qu’elle s’était séparée de son père. Je savais que c’était une étape importante et un challenge pour elle et je regrette de ne pas avoir eu l’opportunité d’aller au bout car j’étais persuadé qu’elle était capable de gagner de grands tournois.
Aujourd’hui, je sais qu’elle cherche le chemin pour revenir plus forte.