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Sur la compétitivité de la France

Publié le 05 mars 2013 par Labreche @labrecheblog

Note : Après une année de parenthèse, cet article signe le nouveau départ du blog La Brèche, qui poursuit à partir d'aujourd'hui son travail d'analyse de l'actualité, politique, intellectuelle et artistique.

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Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a rendu publique une vidéo, vendredi 1er mars, sur le modèle de la weekly address de Barack Obama (et, avant cela, des causeries radiophonique hebdomadaires du Président du conseil Pierre Mendès France). Thème de cette première intervention : la compétitivité. Plus exactement, le message que veut faire passer le Premier ministre est asséné tout au long des trois minutes de vidéo : « La compétitivité, c’est l’emploi ». Où l’on voit que le gouvernement applique une mauvaise politique, qu’il justifie par de mauvais concepts…

Une crise avant tout commerciale ?

Le concept de compétitivité part de l’idée que, dans une économie mondialisée, un pays, la France en l’occurrence, est placé en situation de concurrence avec le reste du monde, comme une entreprise face à ses rivales. Cette idée se base sur deux présupposés très fragiles, le premier étant que la croissance nationale serait principalement conditionnée par le commerce extérieur, le second assimilant l’économie nationale à celle d’une entreprise, l’ « entreprise France » mise à la mode en son temps par le Premier ministre Raffarin 1.


Penser que la croissance nationale dérive principalement du commerce extérieur est naturellement faux, la balance commerciale, positive ou négative, ne contribuant que de façon très marginale à la croissance du PIB, du moins dans une économie développée telle que la France, où l’essentiel de la production est avant tout absorbé par la demande intérieure. Plus encore, cette décomposition n’est qu’une abstraction qui ne recouvre que très imparfaitement la réalité, la plupart des importations étant elles-mêmes des ressources utilisées dans les processus de production, donc indissociables de l’activité économique intérieure et de la croissance (Torija Zane, 2009).

Il faut par ailleurs bien comprendre les masses engagées dans le commerce extérieur français. Ainsi, affirmer que le déficit commercial français est la conséquence d’une baisse de compétitivité de ses entreprises est au mieux une mauvaise lecture de la balance commerciale français, au pire un mensonge. En effet, un poste peut être considéré à lui seul comme la cause du déficit extérieur français, et c’est celui de l’énergie. Sauf à découvrir des réserves de pétrole et d’uranium sur le sol français, la balance commerciale du pays est vouée à dépendre essentiellement des variations de coût des matières premières énergétiques, à commencer par celui du pétrole, le prix du baril ayant été multiplié par 4,5 en dix ans (24,95 $ en 2002, 111,66 $ en 2012). La courbe du déficit extérieur français suit ainsi directement celle du prix du baril (figure ci-dessous), à cela près que l’année 2009, marquée par le choc de la crise et le repli du commerce mondial, n’a pas vu le déficit extérieur se réduire à proportion, la balance des exportations de biens hors énergie étant alors devenue déficitaire alors qu’elle était jusque-là positive. De même, on constate que cette balance hors énergie est de nouveau excédentaire en 2012. Enfin, les statistiques françaises ont comme particularité d’exclure les échanges de services dans la balance commerciale, alors que la France y est exportatrice nette : une absurdité qui n’a d’autre conséquence que de noircir inutilement le tableau. Le déficit commercial français s’établirait ainsi à 50 Md€ au lieu de 74 Md€ en 2011 en comptant les services, soit un excédent commercial de 38 Md€ hors énergie.

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Données Insee/Douanes/DG Trésor/DGEC

De quoi relativiser très largement le discours sur la compétitivité : la crise économique actuellement traversée par la France n’est en tout état de cause pas la compétitivité de ses entreprises, mais n’est que la poursuite de la crise financière de 2008, aggravée par la politique d’austérité appliquée à l’échelle continentale.

Droitisation du discours

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On pourrait toutefois arguer qu’il n’est pas inutile de vouloir promouvoir la fameuse « entreprise France » face à ses concurrentes. Cette réflexion fonctionne cependant sur des a priori très problématiques. D’une part, la crise actuelle est mondiale et par définition tous les pays du monde ne peuvent pas être exportateurs, les exportations des uns étant forcément les importations des autres. C’est ce que l’on constate aisément à l’échelle européenne, les premiers partenaires commerciaux de chaque pays européen étant européens : la balance commerciale de certains pays est forcément contrebalancée par celle de leurs voisins (comme dans le cas du couple France/Allemagne, premiers partenaires commerciaux l’une de l’autre). Une Europe où chaque pays verrait sa balance commerciale excédentaire est non seulement contraire à l’esprit du marché intérieur, mais aussi tout simplement impossible, puisqu’elle supposerait que les pays européens aient un commerce plus développé avec le reste du monde qu’avec leurs voisins.

D’autre part, l’idée même selon laquelle l’intérêt du pays convergerait avec celui de ses entreprises exportatrices est fausse, rendant le concept de compétitivité inopérant, selon une démonstration très simple, assénée depuis bien longtemps par Paul Krugman (1994). « La compétitivité, c’est l’emploi », pour reprendre les mots du Premier ministre, n’est pas seulement une réflexion creuse, mais profondément fausse. Du point de vue d’une grande entreprise française par exemple, on comprend sans peine qu’il est plus « compétitif » de supprimer des emplois, ou de les délocaliser, ce qui contredit l’intérêt de l’économie française. Ceci explique par exemple que, ces dernières années, la croissance française ayant été en panne et alors que le chômage s’aggravait dans le pays au point d’atteindre désormais de nouveaux records, le cours du CAC 40 se porte bien, et les bénéfices des entreprises du CAC demeurent largement positifs (53 Md€ en 2012, chiffre annoncé hier). Alors que le gouvernement envisage de nouvelles primes pour l’industrie automobile, il n’est en rien certain que la solution se trouve de ce côté, un grand groupe industriel français comme Renault ne conservant à l’heure actuelle que 40% environ de ses salariés sur le sol français (53 000 salariés sur 127 000 selon le groupe, un chiffre en diminution constante).

Les grandes entreprises exportatrices françaises savent donc être compétitives : leur intérêt ne converge cependant pas forcément avec celui de la France et des Français, et penser que des baisses de charges et d’impôts vont améliorer les choses serait d’une dangereuse naïveté. L’injonction permanente à plus de compétitivité ne peut donc que favoriser ces mêmes groupes contre l’intérêt national, un comble pour un gouvernement censément « de gauche », et la conséquence d’une dangereuse droitisation du discours, depuis les fondements théoriques jusqu’à l’application concrète.

Quel contenu ?

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Le premier ministre ne s’en tient en effet pas, dans sa vidéo, à énoncer ainsi des principes économiques aussi imprécis que faux, mais cite deux mesures favorables à cette « compétitivité », le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICR) et la banque publique d’investissement (BPI). Car, de fait, c’est surtout le contenu donné par le gouvernement au discours sur la compétitivité qui importe. En effet, on peut tout imaginer, à partir du moment où la définition même de la compétitivité par les gouvernements français est d’un flou total, celle donnée par le CESE d'après les objectifs de l'UE (Stratégie de Lisbonne) et reprise par le rapport Gallois étant ainsi plus ou moins simplement synonyme de croissance économique, ce qui laisse songeur quant à la portée des injonctions sur le sujet : « La compétitivité est la capacité de la France à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants, et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale, dans un environnement de qualité. Elle peut s’apprécier par l’aptitude des territoires à maintenir et à attirer les activités, et par celle des entreprises à faire face à leurs concurrents. »

On peut ainsi imaginer la mise en œuvre d’un véritable plan de relance qui mettrait en avant des mesures d’investissement public dans des secteurs aptes à créer de l’emploi et favoriser la croissance de long terme, avec la création d’infrastructures et une nouvelle ambition pour l’éducation, à commencer par l’enseignement supérieur. Rien toutefois ne laisse présager d’une telle rupture, l’austérité rognant au contraire sur les différents projets de ce genre. Reste l’idée de favoriser la compétitivité par une grande politique favorable aux entreprises, avec une politique massive de diminution de taxes et de charges. C’est ce que recommandait le rapport Gallois qui préconisait la suppression de 30 Md€ de charges sociales et leur transfert principal sur la CSG, donc sur la fiscalité sur le revenu des français. C’est aussi la piste que semble retenir le gouvernement avec le CICE, crédit d’impôt basé sur les rémunérations, donc proportionnel au nombre de salariés, et sans aucune contrepartie, bénéficiant à toutes les entreprises quel que soit leur implication dans le commerce extérieur (même si elle est nulle), et pourtant complexe sinon illisible, le tout pour un total de 20 Md€ financés par une hausse de la TVA en 2014...

De même, la liste des 35 mesures de compétitivité proposées par le gouvernement n’a de « concrète » que le titre, et semble privilégier le saupoudrage de petites réformes parfois très symboliques comme le développement du VIE pour les jeunes (action 16) ou la création de la « marque France » (action 18), quand elle ne se perd pas dans des considérations extérieures voire contradictoires comme le fameux « redressement des finances publiques » (action 30), fondement d’une politique d’austérité qui ne peut qu’être contraire à la croissance économique et à l’emploi. 

Notes :
(1) De façon intéressante, on peut noter que « l'entreprise France » fut originellement le titre d'un essai écrit par un Allemand philosophe et francophile et paru en 1989 chez Calmann-Lévy (L'entreprise France, de Lothar Baier). L'auteur y décrit la perversion de la démocratie française par la pensée commerciale et gestionnaire, promue par les élites de droite et de gauche, et reléguant le citoyen dans un rôle de pur salarié-consommateur, à l'emprise politique nulle. Lothar Baier y dénonce aussi la désinformation organisée, et l'inaction coupable sur les questions écologiques et de santé publique.

Crédits iconographiques : 1. Capture d'écran | 2. © 2013 La Brèche | 3. ©1989 Calmann-Lévy | 4. © 2013 Philippe Wojazer/Reuters.


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