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Iroise (Y Cadiou)

Publié le 05 mars 2013 par Egea
  • France
  • Mers

Aux oiseaux, parce qu’ils savent que rien n'est jamais certain.

  • « Salut, Yffic ! Alors, ça gaze ?
  • -Impeccap’... ! »

On parle comme ça, à Brest.

Iroise (Y Cadiou)
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Ma ville de Brest est située au bout de la Bretagne, au bout de la France et au bout de l'Europe, mais ce n'est pas sa seule particularité. Il y souffle quasi-continuellement un vent d'ouest frais et costaud, qui a pris son élan sur les milliers de milles de l'Atlantique nord en s'y gavant d'eau et qui, participant depuis peu au débat écolo (certes naturellement mais impoliment il faut en convenir) s'amuse à décimer les champs d'éoliennes que l'on a essayé d'implanter dans la région ces derniers temps.

Brest avec sagesse préfère ne pas regarder en face le vent d'ouest ni l'Océan, se planquant autant qu'elle le peut dans les plis du terrain orientés nord-sud, face à un superbe plan d'eau abrité où les jeunes apprennent à naviguer à l'écart de la grande houle du large et des terribles courants et rochers de la Mer d'Iroise (1) , qui sont juste là dehors passé le goulet, devant Le Conquet.

Les rochers de l'Iroise ont le temps pour eux : granits immobiles sous l'écume quand ce ne sont pas des "Kastell" dominants et carrés, ils attendent depuis toujours les marins désemparés ou déboussolés ou parfois embrumés, pris ou surpris par les courants. La marée que vous voyez monter dans la Manche à Saint-Malo (amplitude 15 mètres), au Mont-Saint-Michel (un cheval au galop, c'est quelle vitesse ?), à Cherbourg, Le Havre et Calais représente d’énormes quantités d'eau qui sont d'abord passées par les rochers de l'Iroise, contournant les pointes de Bretagne et leurs îles. Celles-ci, qui sont mignonnes mais pas faciles, ne se laissent pas aborder par n'importe qui : Sein, Ouessant, Molène et quelques autres.

Oubliez cependant certains dictons mensongers attribués à tort aux marins bretons. Ces dictons sont aussi fallacieux que, plus loin sur la côte nord, l'imaginaire falaise de Paimpol-et-sa-falaise dont parle une chanson pseudo-folklorique inventée et vendue par un parisien vers 1900, tout comme l’irréelle Bécassine. Dictons faciles et factices, à oublier : "qui voit Ouessant voit son sang" ; « qui voit Molène voit sa peine », "qui voit Sein voit sa fin". Ces rimes françaises démentent une prétendue origine ancienne et locale.

Passons sur le verbiage, il reste que la Mer d'Iroise, il faut la mériter : elle est dangereuse pour les imprudents et les prétentieux. Depuis toujours les jeunes Bretons, d'abord amarinés en abri devant Brest ou dans les « abers » qui découpent la côte nord, ou encore sur la côte sud-Bretagne assez tranquille, puis devenus méritants, partent d'ici pour les îles Scilly, pour la Cornouaille britannique, pour aller en Irlande ou en Ecosse vendre des fraises de Plougastel, pour des virées par curiosité en Galice espagnole et plus loin, pour des transatlantiques ou pour des tours du monde au cours desquels ils trouvent, un beau jour, une île et une femme qu'ils n'ont plus envie de quitter.

C'est ainsi qu'aujourd'hui vous découvrez, de-ci de-là sur les océans autour du globe, des îles sympathiques dont les habitants, oubliant leurs yeux bridés ou leurs cheveux crépus, se déclarent bretons, par référence à ce rude pays qu'ils ne connaissent pas mais qui était celui de leurs pères ou de leur arrière-grand-père.

Depuis longtemps les garçons d'Iroise connaissent la largeur de l'océan et connaissent l'Amérique, bien avant les découvreurs déclarés. Sinon comment expliquez-vous les yeux bridés des Bigoudens, qui d’Audierne à Lesconil, dans les environs de la fameuse pointe de Penmarc'h, peuplent la côte ? C'est que les jeunes Bretons d'autrefois, naviguant à l'aller dans les vents et courants d'est qui sont permanents plus au sud et au retour dans le vent d'ouest et le gulf-stream qui propulsent vers la Bretagne si l'on veut éviter le froid plus au nord, ont ramené au pays des petites Amérindiennes amoureuses qui leur ont fait des enfants intercontinentaux.

Si vous croyez que tous les Bretons sont des Gaulois, c'est que vous avez mal lu Goscinny qui a régionalisé et repris à son compte le slogan "nos ancêtres les Gaulois" de l'école française, jacobine et terrienne. Les postulats simples se répandent mieux qu’une Histoire nuancée.

En vérité, les Bretons viennent de partout : du nord scandinave, ou britannique (avec ou sans la cornemuse qu’on appelle ici « biniou braz ») ou germanique, on les appelle indistinctement "les Saxons" comme en témoignent sur la côte les noms de lieux : "Sauzon", "Sarzeau", "Surzur", "Arzon", « Kersauzon » « Crozon » et autres. Du sud, on les appelle indistinctement "Espagnols", qu’ils le soient vraiment ou qu’ils aient oublié qu'ils étaient arabes comme les "caïds", "Khédive" et "Kadiv" qui se sont dilués ici, sont devenus bretons et devenus « Kadiu » ou « Kadiou », récemment francisés en "Cadiou".

Les Grecs antiques connaissaient Ouessant, nommée par eux « Ouxisame ». Pythéas est passé par ici. De même que d’autres méditerranéens, comme Ulysse sur la route maritime de l’étain (2) britannique, qui rencontrent en Iroise la première vraie difficulté de leur parcours. Elle est due aux écueils et aux courants de marée : « Tu ne passeras pas quand la mer se gonfle et se dégonfle » dit l’Odyssée. Des bateaux qui sont parfaits en Méditerranée ne sont pas dans leur élément par ici.

Et pas seulement dans l’Antiquité. En 1571 en Méditerranée, à la bataille de Lépante, la flotte turque est détruite par les galéasses espagnoles. En 1588, pour convoyer des renforts en Flandre espagnole, les galéasses qui ont prouvé leur efficacité en Méditerranée sont transférées ou imitées sur la côte atlantique de l’Espagne. Cette armada, surnommée ironiquement « invincible » par les Anglais à qui elle pose problème, n’est pas adaptée à la navigation en Atlantique. C’est en Iroise qu’elle subit ses premiers naufrages, avant même d’affronter les Anglais de Francis Drake. De ce genre de défaite contre les éléments, on ne parle guère car il n’y a aucun vainqueur pour s’en vanter.

Les rochers et courants de l’Iroise ne racontent pas les naufrages, nous pouvons seulement imaginer ceux que personne n’a racontés. Faciles à imaginer : regardez ces récifs, ces courants de flot et de jusant, ce vent d’ouest et les vagues qu’il soulève ; imaginez, parmi tout cela, des marins sur des bateaux en bois, à voiles de lin et à rames. Ils sont vaillants mais épuisés par un long voyage lorsqu’ils affrontent ce coin « mal pavé » parcouru en tous sens de forts courants qu’ils ne connaissent pas.

Du nord et du sud, au cours des temps, de nombreux navigateurs ont terminé ici leur voyage, colons involontaires. Naufragés en Iroise, survivant aux enclumes de granit mais brutalement dépourvus de bateau, ils se sont installés ici. Nouveaux bretons exploitant leur forêt, "Arcoat", ils ont construit de nouveaux bateaux, repris leurs forces physiques et mentales. Quelques uns, ou leurs descendants, avec une âme régénérée par la Bretagne, sont repartis explorer la planète mer.

  1. Les limites de l’Iroise ne sont pas les mêmes pour tous. Voir les miennes sur google earth : pour moi, l’Iroise va de Spineg (bouée cardinale sud devant Le Guilvinec) à La Croix Bréhat parce que tout ce secteur présente la particularité d’être exposé à la fois aux déferlantes de l’ouest-sud-ouest et à celles de l’ouest-nord-ouest qui se croisent au passage de chaque dépression atmosphérique, secteur qui est en même temps soumis aux forts courants de marée qui entrent dans la Manche en venant du sud-ouest, déviés vers la droite et donc vers la côte par la force de Coriolis.
  2. Les Grecs travaillaient le bronze, alliage de cuivre et d’étain plus solide que le cuivre. On ne trouve pas d’étain dans le bassin méditerranéen.

Yves Cadiou


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