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"Sans Elle" d'Eléona Uhl

Publié le 10 mars 2013 par Francisrichard @francisrichard

Sans Elle? Avec une majuscule?

"Sans Joie, il n'y a pas d'amour"

La joie perdue, comme le paradis terrestre, parcourt tout le roman d'Eléona Uhl.

Roman? S'agit-il bien d'un roman? Ou alors il s'agit d'un roman fantastique où le rêve s'empare de la réalité et personnifie non seulement Ciel, Mer, Lune, Soleil, Sable et Vent, mais Ecriture, Impression, Grammaire, Rumeur et Légende.

La légende raconte qu'une tortue amphibie avait porté le monde sur son dos jusqu'au jour où elle avait confié aux villageois:

"Je retire l'amour à celui qui révèle mon âge."

Elle avait précisé avant de disparaître à jamais:

"Seul un astre s'y prêtera."

L'héroïne s'appelle Hanna. Quand le roman commence, elle se trouve au bord de la mer et vit dans une cabane, un peu en retrait du rivage, non loin d'un village, en un lieu où le ciel transgresse toutes les lois.

Hanna est devenue muette et suscite l'incompréhension des villageois. Elle a perdu le goût du texte, elle a rompu avec le mot:

"A la lisière du langage, dans les méandres de la pensée, au plus profond de son âme, femme insaisissable voudrait se dire l'impossibilité du mot."

Parallèlement l'auteur nous raconte qu'Hanna était citadine et que son voisin de palier, après l'avoir croisée, voulait communiquer avec elle en glissant des mots sous sa porte. Mais Hanna refusait de les lire et n'en avait gardé qu'un, glissé dans une poche de sa robe à fleurs.

Sur le sable de la plage Hanna trace des caractères que la mer efface, comme elle efface ses empreintes et "les sillons, profonds et légers, incrustés dans le sable tiède", qui "dessinent un chemin parcouru à deux":

"L'écriture est informe, mais son souffle est de courte durée, car une eau perfide et meurtrière noie instantanément son ébauche."

Hanna n'a pas perdu la vie, mais elle a perdu la voix. Elle ne pouvait plus répondre au voisin. Elle avait avalé tous ses mots à une seule exception. Elle ne pouvait plus que s'abriter contre lui, se lover en lui et lui demander de l'emmener loin d'elle.

Que s'est-il passé? La prédiction de la légende s'est-elle accomplie? L'âge de la tortue a-t-il été révélé? A qui? Par quel truchement?  Quel astre s'y est-il prêté?

Peu à peu la vérité apparaît. Peu à peu le lecteur apprend que l'amour a bien été retiré à celui qui a révélé involontairement l'âge de la tortue, qu'un astre aujourd'hui terni s'en est bien mêlé, et que la joie s'en est allée et, avec elle, l'écriture.

Comment tout cela finit-il? En apothéose.

En attendant, le lecteur est emporté par l'écriture poétique de l'auteur, joyeuse et lancinante comme un chant des premiers temps, où des sentences répétées, comme des refrains, viennent caresser ses yeux et pénétrer sa mémoire tout au long de sa lecture.

Le lecteur se dit que l'écriture, qui est éternelle, n'a pas été perdue pour tout le monde et que l'auteur s'en est emparé pour illustrer la sentence:

"Sans joie, il n'y a pas d'écriture.

Francis Richard

Sans Elle, Eléona Uhl, 140 pages, Olivier Morattel Editeur


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