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Y a t-il trop de communes en France?

Publié le 12 mars 2013 par Pierrehk

La semaine dernière, j'ai eu l'occasion de discuter longuement avec André Duval, sur l'opportunité, voire la nécessité impérieuse de réduire le nombre de nos communes en France. J'ai alors trouvé en André un farouche opposant à une telle réforme, ce qui n'a pas manqué de me surprendre quand on sait qu'André Duval a été successivement(et non à la fois*) maire de Chenex et Président de la Communauté de Communes du Genevois. C'est pourquoi j'ai souhaité lui donner la possibilité d'exprimer ici son opinion iconoclaste, mais qui ne manque pas d'interet.

 

Les communes françaises

Sont elles trop nombreuses ?

Depuis plusieurs dizaines d’années il est question de faire disparaître notre riche réseau de communes. Les raisons invoquées ne reposent jamais sur des études précises ou des analyses approfondies, mais sont bien souvent éloignées du sujet, ou superficielles, ou fondées sur des comparaisons partielles. Nous allons essayer d’en faire le tour pour les débusquer et montrer que, comme la population le ressent, ces collectivités sont celles qui donnent le mieux le sens de la démocratie.

Commençons par l’argument que l’on entend souvent et qui est le plus facile à démonter : le mille-feuille de nos administrations. Si nous nous en tenons aux collectivités locales le nombre de niveaux est partout à peu près le même. En Allemagne  nous trouvons en allant de bas en haut les communes, les arrondissements (Kreiss), les régions (les Länder), l’Etat fédéral. Mais, bien souvent, les villages d’origine ont conservé quelques pouvoirs avec une assemblée élue.  Dans le canton de Vaud qui est très comparable à notre Haute-Savoie en nombre d’habitants et en superficie, nous avons les communes, les districts, les cantons puis la confédération. Les communes y disposent de six à sept formes de collaboration, les équivalents de nos EPCI. Alors pourquoi ce sentiment en France ? A cause de la centralisation administrative.

Comment expliquer la centralisation  administrative ? Dans un pays qui en est dépourvu, tous les problèmes de la vie courante peuvent être traités par un service communal, car même si les institutions de niveau supérieur assument une responsabilité sur le sujet concerné, celles-ci vont la déléguer à l’entité inférieure, l’Etat à la région, la région au département, le département à la commune, avec  des règles intégrant leurs politiques. En France cette délégation n’existe pas et chaque institution voudra intervenir jusqu’au citoyen, souvent sous forme d’une territorialisation de services ad hoc, ainsi en est-il des services sociaux du département « cantonalisés », mais aussi des sous-préfectures et des préfectures. Le citoyen français devra alors pour résoudre son problème s’adresser aux institutions de chaque niveau. Par exemple s’agissant de problème de garde d’enfants, il devra s’adresser aux Allocations Familiales, institution dépendant de l’Etat, aux services territorialisés de la petite enfance dépendant du département, puis au relais assistante maternelle dépendant de la communauté de communes. Il est clair que dans ce cas l’administré a de bonnes raisons d’être exaspéré devant une telle désorganisation. Par ailleurs ce système est très cher pour la collectivité avant d’être très coûteux en temps et déplacement pour l’utilisateur. Dans une organisation vraiment décentralisée, grâce au principe de délégation, la personne intéressée n’aurait eu à se rendre qu’à un seul endroit pour trouver la solution à son problème, le plus souvent un service de sa commune ou de sa communauté de communes. Elle ne se serait pas aperçue de l’existence d’un soi-disant mille-feuille.

Le deuxième argument très journalistique : le nombre de communes en France serait exagérément grand par rapport à celui des autres pays européens. Faisons la comparaison avec des territoires qui nous sont proches. L’Allemagne a effectivement beaucoup moins de communes que la France, 12 227 contre environ 36 000. Plusieurs observations : le territoire germanique est plus petit que la France de l’ordre de 30 %. Ensuite, par le fait d’une plus grande densité démographique, le nombre d’agglomérations y est forcément plus réduit par le phénomène d’agrégation. Néanmoins, 57 % des communes allemandes ont moins de 2 000 habitants  et 22 % ont moins de 500 habitants. Enfin ce nombre de communes n’est pas très également réparti. Observant l’Etat de Rhénanie Palatinat qui jouxte la France et qui s’en rapproche par sa géographie relativement plus rurale, pour 4 millions d’habitants le nombre de ses communes s’élève à 2 306 dont 1 610 ont moins de 1 000 habitants. Pour ce land le rapport du nombre de communes au nombre d’habitants est plus ou moins équivalent à celui de notre pays. Continuons cette comparaison avec un canton suisse, celui de Vaud, qui est proche par le nombre d’habitants, 697 802 et par la superficie 3 212 km², du département de la Haute-Savoie, respectivement 740 000 habitants et 4 234 km². Le nombre de communes y est de 375 dont 18 ont moins de 100 habitants, 186 moins de 500, 265 moins de 1 000, alors que celui du département cité est de 294 communes. Nous pouvons continuer avec le pays d’Aoste qui nous reste proche par l’histoire, cette région autonome de 120 000 habitants et 3 263 km² a 72 communes dont 28 ont moins de 500 habitants et 44 moins de 1000. Avec ces données on peut voir que l’argument du nombre excessif de communes dépend du mode de comparaison que l’on adopte.

Troisième argument : toutes ces communes sont trop coûteuses. Alors faisons des analyses statistiques, et qu’en tirons-nous ? Deux observations majeures : en France les charges de fonctionnement par habitant comme les charges de personnel croissent avec le nombre d’habitants, les investissements par habitant sont plus stables (1). Cela veut dire que les fusions de communes sont sources de coûts supplémentaires et non d’économies. On peut argumenter sur le fait que les services sont plus importants dans une ville plus grande, mais avec l’intercommunalité cet effet a tendance à disparaître puisque ces services sont de plus en plus pris en charge par la communauté de communes. Et dans tous les cas et à moins d’avis contraire des populations concernées, celles-ci préfèrent garder leurs communes au risque de bénéficier de moins de services, plutôt que subir la centralisation et des coûts plus élevés. Il est intéressant de revenir au cas allemand ; comme les statistiques sont données par land, on peut faire une comparaison et il en ressort que le coût par habitant, pour la somme des dépenses par les länder et les communes, est inférieur en général dans les régions où il y a plus de communes, ce qui est le cas pour l’exemple de la Rhénanie Palatinat où la dépense par habitant est de 4590 € alors que la moyenne est de 5062 €. Pour être encore moins discutable les coûts de fonctionnement des communes seules sont aussi moindres que la moyenne. Cet argument est donc injustifié là aussi.

Alors que reste-t-il pour vouloir faire disparaître ce réseau de lieux de démocratie très vivante ? Deux expériences récentes : l’une dans le cadre d’une discussion à l’intérieur d’un parti, l’autre à Genève. La première dans une réunion à Paris où de nombreux participants disaient qu’il fallait en finir avec ce grand nombre de communes ; quand il leur est demandé de donner leurs arguments, un juriste de renom répond : ces maires ruraux jouent un rôle trop important dans les élections sénatoriales, en en diminuant le nombre cet effet s’amenuiserait.

La même question est posée à un membre de la Constituante genevoise, en cours de réflexion actuellement, qui voulait demander la réduction du nombre de communes à Genève : ces maires des petites communes jouent un rôle trop important du fait de leur nombre, répond-il. En réalité ceci démontre que la réduction du nombre de communes n’est pas demandée par les intéressés eux-mêmes qui se plaindraient du peu de services offerts par leur commune, mais par les urbains jaloux de la démocratie mieux vécue dans les petites communes.  

Après avoir démonté les faux arguments de ceux qui veulent éliminer les petites communes, il nous reste à expliciter pourquoi elles devraient subsister. Il faut alors revenir aux principes de la démocratie et en particulier à celui de la subsidiarité qui veut que chaque responsabilité soit assumée au plus près de la population concernée. Ainsi en France la commune assume la responsabilité de ses écoles primaire et maternelle, de la cantine et de son service de garderie, de son aménagement grâce au PLU, de son réseau de distribution de l’eau potable, de son réseau de routes et chemins, de l’animation de sa propre population, et pour ce faire,

d’équipements locaux tels que salle communale, terrains de sport, etc. Mais plus important encore, elle est la réalisation de la vie démocratique vécue au plus près.

Revenons à la règle avant d’en déduire les avantages. Tocqueville écrit : « De là cette maxime que l’individu est le meilleur comme le seul juge de son intérêt particulier et que la société n’a le droit de diriger ses actions que quand elle se sent lésée par son fait, ou lorsqu’elle a besoin de son concours…. La commune prise en masse et par rapport au gouvernement central n’est qu’un individu comme un autre, auquel s’applique la théorie que je viens d’indiquer ».

Pour les avantages citons le philosophe humaniste Yves Simon, appuyé par un autre philosophe humaniste ayant participé à la rédaction des droits de l’homme après la deuxième guerre mondiale, Jacques Maritain : «… savoir que toute fonction qui peut être assumée par l’inférieur, doit être exercée par l’inférieur, à peine de dommage pour l’ensemble tout entier. Car il y a plus de perfection dans un ensemble dont toutes les parties sont pleines de vie et d’initiative que dans un ensemble dont les parties ne sont que des instruments traversés par l’initiative des organes supérieurs de la communauté ». Dans le même sens Tocqueville écrit : « Or ôtez la force et l’indépendance de la commune, vous n’y trouverez jamais que des administrés et point de citoyens ». Il dit à un autre endroit : « Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple. …. Sans institutions communales (libres) une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de liberté. » Donc nous pouvons facilement admettre que l’exercice de l’autonomie communale est propre à former les citoyens à la liberté, à l’initiative, à la création. Par opposition la centralisation administrative « n’est propre qu’à énerver les peuples qui s’y soumettent, par ce qu’elle tend sans cesse à diminuer parmi eux l’esprit de cité ».

On doit ajouter au nombre des avantages à l’application du principe de subsidiarité tel que défini ci-dessus, l’efficacité. Il n’y a aucune économie d’échelle à vouloir gérer par une même administration des objets différents et distants. Les économies d’échelle n’existent qu’à la condition de rassembler en un seul élément plusieurs éléments dispersés. Dans l’autre cas le phénomène d’entropie intervient, comme il le fait dans toute administration qui grossit. Plus elle est importante plus elle se perd dans son organisation propre, plus elle doit passer de son temps à se coordonner, à se gérer. Nous avons là au moins une partie d’explication au coût croissant par habitant du personnel lorsque le nombre d’habitants d’une commune croît, ce que l’on a observé plus haut en France et en Allemagne.

Ainsi il apparaît clairement que la volonté de réduire le nombre de communes non seulement ne repose sur aucun argument valable mais en plus va à l’encontre de l’intérêt général : esprit de citoyenneté, efficacité. Nous avons fait appel au principe de subsidiarité, nous ne le récusons pas concernant les communautés de communes, il y a effectivement des responsabilités qui doivent être assumées à cette échelle et la décentralisation administrative devrait conduire à lui donner encore plus d’importance. Pour revenir à l’Allemagne les dépenses communales, qui peuvent correspondre à celles des communes augmentées de celles des communautés de communes françaises, sont très nettement supérieures à celles enregistrées en France, alors que la dépense cumulée de tous les échelons y est presque inférieure. La raison en est évidemment l’absence de centralisation administrative, comme le pays s’en félicite.

André Duval

Quelques annexes pour étayer l'argumentation d'André

Exemples pour comparaison

andré duval,communes,intercommunalité,ccg,ifrap,mots croisés

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Duval article2.JPG

Il n'est pas anodin de noter qu'hier soir, invitée de l'émission Mots Croisés sur France 2, Agnes Verdier-Molinié de l'IFRAP ( Institut Français pour la Recherche sur  les Administrations Publiques) reprenait les thèmes d'André Duval en indiquant que les différentes strates de l'Administration Publique étaient incapables de déléguer une compétence au niveau inférieur sans continuer à se méler de la gestion de celle-ci, créant par là même les doublons et les surcouts, sans parler de l'inefficacité, qu'André Duval dénonce dans son texte.

Si le texte d'André ne me fait pas changer d'avis sur la nécessité de fusionner les toutes petites communes (moins de 500 habitants), je reconnais qu'il y a beaucoup de vrai dans ce qu'il écrit, et en particulier sur les méfaits de la centralisation administrative.Toute nouvelle réforme devrait en tenir compte. Quant à la démocratie, il est clair qu'aujourd'hui le transfert des compétences de la commune à l'intercommunalité, dont les élus ne sont pas directement élus par le peuple, constitue une régression.

C'est pourquoi, si je considère qu'il est normal de donner les compétences techniques telles que  Eau, Assainissement ou Déchets à la Communauté de Communes, je suis farouchement opposé au transfert de la compétence Petite Enfance de la commune à l'intercommunalité.  Toute compétence qui s'occupe de l'humain doit rester au plus près de la population.

C'est pour cette raison que je m'opposerai à ce transfert de compétence qui est programmé pour cette année dans notre canton .

* Rappelons qu'une fois élu à la Présidence de la CCG, André Duval décida de démissionner de son poste de maire de Chenex, fonction qu'il reprit après avoir abandonné la présidence de la Communauté de Communes du Genevois.


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