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Au bistrot de la France

Publié le 12 mars 2013 par Beniouioui

779px_jean_beraud_au_bistroImaginez-vous dans un chouette bistrot, assis sur un tabouret, un verre de pastis sur le comptoir. Une télé grésille mais vous comprenez qu'Eurosport vous annonce la victoire de Dax sur Clermont.

Assise à vos côtés, une femme assez sympa, Michèle, une bordelaise, vous tape la causette. Le Conclave, le sujet du moment. Bizarre ce Benoit XVI qui renonce. En a-t-il parlé au comité de soutien des seniors? Et pourquoi les cardinaux de plus de 80 ans ne pourraient-ils pas voter? Le barman François fait une blague villageoise sur le pape. Cela vous fait sourire.

Vous vous retournez. Vous apercevez un flipper. Victorin joue avec un pote. Ils se tapent sur les cuisses quand ils sont fatigués d'appuyer sur le bouton qui lance la boule. Victorin vient des Antilles. Il trouve qu'un dictateur comme Hugo Chavez, c'est cool. Son corps aurait d'ailleurs été préparé comme pour sa sanctification. Parait-il. On n'en parle pas assez sur Eurosport. Cela vous fait sourire.

Autour du billard, la discussion s'envenime. Cécile, toujours un peu agressive, s'en prend au curé du village. Elle a vu tout à l'heure un clochard sur la route et elle accuse le cureton de ne rien faire. Monsieur l'abbé a sa veine qui se tend, ça lui fait rater son coup. Il a failli déchirer le tapis. Il regarde le crucifix qu'il a accroché en douce au-dessus de l'horloge et se calme. Il invite Cécile à venir l'aider cette nuit à accueillir les pauvres du village. Il est malin, don Camillo. Cécile comprendra peut-être qu'il n'a pas attendu qu'elle parle pour agir. Cela vous fait sourire.

Soudain, le bistrot devient bruyant. Des cris, des pleurs, de la joie. Kader aurait lu dans la presse que des otages français auraient été libérés. Quelle délivrance. Cela vous aurait fait sourire si seulement ça avait été vrai.

Pendant ce temps, un beau gosse est rentré et a commandé un verre de Cognac. Pierre porte des Berluti et un costume sur-mesure. Étonnamment, il hurle un peu fort contre les riches. Faut les taxer, faut les taxer. Pierre demande à François d'augmenter ses tarifs pour le notaire et le médecin du village. Et le gars de la supérette aussi. C'est ta seule solution pour que ton bar ne fasse pas faillite. La solution du très chic pilier de cet étrange bar vous parait un peu rapide. Un lustre n'était pas forcément nécessaire au plafond du bistrot de la France. Le patron aurait pu économiser comme ça le notaire n'aurait pas été obligé de payer son Armagnac à un prix indécent et aurait donné un peu plus au curé pour qu'il aménage le grenier du presbytère et y accueille d'autres pauvres. Par ce froid en plus... Vous ne savez plus si vous souriez; vous êtes fatigué.

Alors vous reprenez votre verre. Et une tranche de saucisson. Un grand-père à l'autre bout du comptoir siffle une bière. Il drague un peu la petite qui aide le barman. Elle est mignonne, Najat. Elle aime bien taper la discute avec les habitués. Il lui raconte sa vie. Son petit-fils qui ne peut pas avoir d'enfant. Najat, elle, a vu un reportage sur des femmes qui louent gentiment leur ventre pour faire acte de service public. Enfin de service payant. Papy n'a pas trop d'argent mais Najat rêve que la Sécu rembourse les frais de son petit-fils. Papy lui demande si c'est éthique, car lui, il ne voudrait pas donner son sperme à tout va; Najat est déjà passée à un autre client. Votre sourire se crispe.

Vous vous réveillez. Autour de vous, ce n'est pas un simple bistrot de village où l'on se gausse, récrimine, se tape sur les épaules avec un bon verre et de la charcuterie. Vous regardez la pancarte au-dessus de la porte. Bistrot de la France. Vous comprenez que tout cela a beaucoup plus d'importance qu'il n'y parait, que François, Michèle, Cécile, Pierre, Kader et les autres ont de vraies responsabilités. Vous ne souriez plus. Vous tapez sur le comptoir, commandez un bon blanc de Bourgogne, interpellez François. Tu entends la clameur sur la place du marché? Les villageois veulent que tu le transformes, ton bistrot déglingué. Entends-les, prends un architecte, un décorateur, un comptable, une serveuse, ce que tu veux, mais n'oublie jamais que ton métier n'est pas d'être au service de quelques clients triés sur le volet mais au service du Bien Commun.


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