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Samsung et BlackBerry au Superbowl, quand le réel croise le virtuel

Publié le 12 février 2013 par Unoeilsurlapub @ccilepineau

Deux des trois leaders du marché des smartphones haut de gamme ont produit une pub pour le Superbowl cette année.

Deux annonces qui n’ont pas fait l’unanimité parmi les afficionados des deux marques et parmi les professionnels de la com’. Dommage, le spot de 30 secondes coûte approximativement entre 3 et 4 millions de dollars selon les sources.

Lançons-nous dans une petite analyse sémio comparée des pubs Samsung et BlackBerry….

Quels imaginaires mettent-ils en place pour nous parler, nous séduire, nous manipuler ?

Samsung

Voici le spot dans son intégralité :

Et si on ne s’intéressait ni au message linguistique, ni même à l’argumentation publicitaire ? Beaucoup de choses ont déjà été écrites dessus. Et il y a tant à dire sur le reste.
Laissons nous seulement capter par les lieux où prend place l’histoire.

Deux espaces nous sont présentés.

Le premier est celui du  hall d’un bâtiment . Très ouvert sur l’extérieur grâce aux murs de verre, la lumière du jour baigne la scène. Deux protagonistes se rencontrent en ce lieu et s’assoient sur un canapé, typique de ce que l’on peut trouver à l’entrée d’un building d’une grande entreprise, pour patienter confortablement avant de rencontrer un interlocuteur important siégeant dans les étages élevés.

Le produit, un Samsung Galaxy Note, est biensûr présent entre les mains des personnages, dès le début du spot.

Mais ce n’est pas le plus intéressant. Revenons au lieu.
Dans ce hall ouvert sur l’extérieur, être au niveau du sol nous enracine dès le début de l’histoire sur la terre ferme.

Un troisième protagoniste nous invite dans les hauteurs. Les indices qui suivent sont nombreux pour nous signifier que nous nous élevons à un niveau supérieur : celui de la créativité, virtuel, dématérialisé, prêt à nous offrir toutes les possibilités de l’immatériel.

Dans ce nouvel espace, les trois protagonistes sont assis autour d’une table dans un immense bureau. Il semble qu’il s’agisse d’une salle de réunion. Et nous avons bien ici la confirmation d’être dans un grand building, comme l’une de ces grandes tours de verre. Elles représentent le pouvoir économique et financier des entreprises qui en font leur siège social.

Nous n’avons besoin que de peu d’indices pour que notre imagination construise l’architecture de ce bâtiment et lui colle toute la symbolique qui va avec.
Les parois de verre qui laissent entrevoir le monde extérieur nous font comprendre le pouvoir de domination des individus siégeant dans les bureaux au sommet de ce type de tour. Le monde s’offre à eux, ils le dominent, peuvent l’admirer tout au long de leur journée de labeur.
Cette pièce, où prend place la majorité de l’action publicitaire de ce spot, possède une autre caractéristique fondamentale : un sol en carrelage, si brillant qu’il a un effet miroir. Ainsi l’extérieur se reflète aussi sur le sol carrelé et nous donne une sérieuse impression de vivre dans les nuages au dessus de tout. Se prendrait-on pour Dieu quand on travaille dans un tel environnement ?
Outre cette impression mégalomaniaque, force est de constater une forme de virtualisation de l’espace où tout devient transparent, où le ciel est présent aussi sous nos pas. Cet environnement n’est-il pas particulièrement adapté lorsque l’on vend une forme de virtualisation de la communication ?

Associer les télécommunications (vieux mot ringard qui regroupe aujourd’hui : la téléphonie, l’internet et son monde merveilleux, virtuel et infini) au ciel et à l’espace n’est pas une réflexion bien neuve. France Télécom (vieille marque ringarde aujourd’hui connue sous le nom bien choisi d’Orange) avait mené une grande réflexion sur son métier et sur sa communication dans les années 1980. De grands noms s’étaient prêtés à mener cette réflexion. Jean-Luc Godard avait produit pour l’entreprise un film court, La puissance de la parole, l’un de ses chefs d’œuvre d’après les spécialistes. Alors que Raymond Depardon avait illustré les pensées philosophiques de Bernard-Henri Lévy sur cette thématique lancée par France Telecom : qu’est ce que les télécommunications ?
La campagne publicitaire issue de cette réflexion associa les télécommunications au ciel et à l’espace.

BlackBerry

BlackBerry a aussi décidé d’investir les écrans publicitaires lors du Superbowl pour le lancement de sa nouvelle gamme : le Z10 et le Q10.

Suivons la même méthodologie avec BlackBerry. Ne nous préoccupons pas du message linguistique et de l’argumentation publicitaire.
Ce spot nous montre quelqu’un marchant dans la ville avec son téléphone. Des évènements incroyables lui arrivent : il prend feu, ses jambes deviennent des pattes d’éléphants lourdes et imposantes, puis il disparaît sous une fumée multicolore pour enfin être presque percuté par un énorme camion qui se transforme à la dernière minute en une multitude de petits canards en plastique jaune.
Même si le lieu et l’histoire sont très différents des partis pris par Samsung, des constantes reviennent, celle de la créativité et de l’imagination permise par le monde des télécommunications ainsi qu’un désir de matérialiser la virtualité de cet univers.

BlackBerry se permet de nous offrir un monde imaginaire auquel nous adhérons facilement. Le rêve est là et pas si éloigné que ça de la réalité.

Même si le fond du message est le suivant : voici ce que le BlackBerry ne peut pas faire ; nous présenter cet univers-là signifie : voici dans quel monde virtuel nous évoluons : un monde magique auquel vous aurez accès grâce au dernier BlackBerry. La publicité construit un univers où se mêlent le monde réel et un monde rêvé. Le consommateur n’est pas dupe mais il a tout de même envie d’y croire ne serait-ce qu’un court instant.

Jean Baudrillard parle de « la logique de la fable et de l’adhésion », dans le Système des Objets

« Ceux qui récusent le pouvoir de conditionnement de la publicité n’ont pas saisi la logique particulière de leur efficacité. Qui n’est plus une logique de l’énoncé et de la preuve, mais une logique de la fable et de l’adhésion. On n’y croit pas et pourtant on y tient. […] Pourtant sans croire à ce produit, je crois à la publicité qui veut m’y faire croire. »

BlackBerry nous présente un univers où se mélange le monde réel (le personnage, le téléphone, la ville) et un monde rêvé (l’invraisemblance des évènements s’y déroulant). Ainsi, ce spot fait se rencontrer le monde physique dans lequel notre corps évolue et le monde virtuel dans lequel notre esprit évolue.

Il est difficile de définir ce qu’est ce monde virtuel, il regroupe la communication virtualisée (la téléphonie au sens large, les réseaux sociaux virtuels perso et pro), l’espace du web et un accès à un nombre incalculable de connaissances et de pratiques et surtout les possibilités offertes par le croisement des réseaux et du produit (prendre une photo, la retoucher, la partager sur le web, par mms, la commenter, etc.) Ce monde est donc vaste, impalpable et multiple. Il n’a comme frontière que la créativité de ses utilisateurs.

Pour le matérialiser dans sa communication Samsung utilise un répertoire iconographique déjà éprouvé : le ciel, la transparence du verre, le miroir. Alors que BlackBerry se dirige vers l’évocation de situations défiant les lois de la physique et de la logique. Chacune de ces marques contribue à l’élaboration d’un nouvel imaginaire lié aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.


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