Magazine Société

"De l'extermination" d'Eric Werner

Publié le 13 mars 2013 par Francisrichard @francisrichard

De l'extermination a paru très confidentiellement il y a quelque vingt ans, en auto-édition.

Cet essai, au titre digne d'un écrit latin, a été relu, augmenté et corrigé par l'auteur, Eric Werner, à l'automne 2012. Dans sa préface, il écrit à ce sujet:

"Sur bien des points, j'avais évolué au fil des ans. Je ne me retrouvais plus, au moins complètement, dans les positions que j'avais défendues vingt ans plus tôt. Tantôt, entre-temps, elles s'étaient nuancées, tantôt au contraire radicalisées. Au minimum, il convenait de reprendre le texte. Non pas exactement le réécrire, mais à certains endroits l'alléger, à d'autres, en revanche, l'augmenter. Il importait aussi de l'actualiser."

Dans ce livre il est beaucoup question de De la guerre de Clausewitz et l'auteur écrit, toujours dans sa préface:

"Comment [...] penser la guerre si l'on se désintéresse de l'extermination? Si, à défaut de penser l'extermination, l'on n'essaye pas à tout le moins de la penser? Clausewitz a peut-être pensé certaines guerres: les guerres de son époque. Mais assurément pas la guerre. En tout état de cause il n'a pas pensé les guerres de notre temps à nous."

A l'époque de Clausewitz, la guerre pouvait être encore considérée comme la continuation de la politique par d'autres moyens, l'objectif étant d'imposer sa volonté à l'adversaire.

Clausewitz distinguait trois aspects constitutifs de la guerre: la haine, qui caractérisait le peuple, "la libre activité de l'âme" qui caractérisait le commandement et les armées, "l'instrument d'une politique" qui caractérisait le gouvernement. 

Les guerres de notre temps ne sont plus seulement des guerres que des armées se livrent comme sous l'Ancien Régime. Les populations civiles y participent. Les guerres sont devenues totales, sous l'effet démocratique: ce sont aujourd'hui les peuples qui s'affrontent.

Les trois aspects constitutifs de la guerre restent les mêmes, mais ils se distribuent de toutes les façons et s'entremêlent. Car il n'y a plus les trois dichotomies effectuées par Clausewitz: civilisé/sauvage, gouvernement/peuple et intelligence/instinct.

L'objectif des guerres de notre époque peut être le même que du temps de Clausewitz, se traduire par un pacte d'esclavage, où la contrepartie de l'arrêt des combats est de laisser la vie sauve au vaincu, ou par une capitulation inconditionnelle pour réduire le vaincu en esclavage, sans droit aucun.

La guerre d'extermination va encore plus loin. Par définition, son objectif premier est d'exterminer l'autre, de l'anéantir physiquement, de tuer pour tuer. Le génocide va encore plus loin, puisqu'il peut non seulement avoir pour but de liquider physiquement mais encore de tuer l'âme:

Jean-Paul II voyait dans l'extermination une "usurpation par l'homme de l'autorité divine sur la vie et la mort de l'homme".

Toutefois, comme les choses ne sont pas simples, l'extermination peut être aussi un moyen pour imposer sa volonté à l'adversaire.

L'extermination peut également être brandie comme une menace, dans certaines circonstances, pour parvenir à ce résultat.

Enfin l'extermination peut être l'aboutissement de la guerre poussée à son paroxysme sans qu'il n'y ait une telle intention au départ.

Comment justifier l'extermination de l'adversaire? En le présentant, par exemple, comme un monstre qu'on ne peut pas faire autrement que d'exterminer. Mieux encore:

"Lorsqu'on veut aujourd'hui exterminer quelqu'un, le meilleur moyen encore est de le désigner lui-même comme exterminateur. Car que mérite l'exterminateur, sinon d'être lui-même exterminé?"

Comme on sait, rien de tel que de désigner une victime émissaire pour liguer les gens contre elle:

"Il en est de la communauté internationale comme de n'importe quelle autre communauté: elle doit veiller à sa propre cohésion interne. A ce titre, elle n'a pas seulement besoin d'ennemis, mais d'ennemis qu'elle puisse considérer comme des criminels. C'est un gage de paix, et même de paix perpétuelle"...

Les Romains disaient : "Vae victis! Malheur aux vaincus!" Aujourd'hui:

"Les procès contre les vaincus sont un moyen de transmuer la répulsion qu'on éprouve pour la guerre elle-même en une répulsion pour la manière dont l'ennemi a fait la guerre."

Car bien sûr il faut que les vainqueurs soient légitimés quand ils n'offrent aux vaincus qu'une capitulation inconditionnelle: les crimes des méchants font alors ressortir l'innocence des bons.

Cette inégalité de traitement conduit Eric Werner à dire:

"Soit la notion de crime contre l'humanité s'applique à tout le monde (au vainqueur comme au vaincu), soit à personne."

Eric Werner constate avec quelle aisance "l'opinion semble s'être accommodée de certaines atteintes particulièrement graves aux principes généraux du droit des sociétés civilisées, telles l'usage rétroactif d'une loi, ou encore l'abandon du principe de la prescription des poursuites et des peines" et il cite Dominique Jamet:

"La prescription ne signifie naturellement ni le pardon, ni l'oubli. Elle correspond seulement à la prise en compte de la réalité du temps qui passe, à l'échelle de nos pauvres vies, de la nature et des sentiments humains. La non-rétroactivité marque toute la distance qui sépare la justice de la vengeance, l'une ayant valeur universelle, l'autre étant fonction de la tête du client, et celle du créancier." ("Fallait-il?", Le Monde, 3 juin 1989)

Eric Werner cède cependant à la facilité quand il explique ainsi la survenance de guerres inter-ethniques dans le monde occidental:

"La surpopulation [...] trouve occasionnellement un exutoire dans la guerre, mais parfois aussi dans l'exode des vivants en surnombre, lesquels délaissant les régions les plus encombrées de la planète, se mettent en tête d'envahir d'autres relativement moins encombrées, pour les occuper et les piller."

Car ce n'est pas la surpopulation qui est en cause dans les migrations mais le sous-développement des pays d'origine, aux régimes corrompus et contraires aux libertés individuelles, et l'attractivité de nos Etats providence.

De même cède-t-il à la facilité quand il cite Pierre Clastres en l'approuvant:

"La société industrielle, la plus formidable machine à produire, est pour cela même la plus formidable machine à détruire."

Sans établir de lien direct avec cette affirmation, il apporte la réponse qui explique pourquoi le monde occidental s'auto-détruit.

En effet, citant cette fois Jean Baudrillard, il souligne l'écart entre "l'image que nous portons encore en nous", celle de l'humanisme de la Renaissance et des doctrines libérales du XVIIIe siècle et "la bureaucratie de l'Etat totalitaire", que nous connaissons sous sa forme, soi-disant douce, d'Etat providence, au sein duquel l'individu n'est plus qu'un rouage docile:

"On découvre [...] au coeur même de la substance de l'Etat, la puissance agissante de l'Un, la vocation de refus du multiple, la crainte et l'horreur de la différence."

Cette quête de "l'Etat homogène et universel" favorise les extrêmes, les envieux et les racistes, égalitaires et inégalitaires forcenés, lesquels finissent par se rejoindre comme tous les extrêmes et, même, par faire des allers-retours entre eux.

Ce que disait Alexis de Tocqueville (cité également par Eric Werner) à propos des "passions démocratiques" peut s'appliquer aux relations inter-ethniques:

"La plus petite dissemblance paraît choquante au sein de l'uniformité générale."

L'insécurité qui en résulte n'est peut-être pas complètement voulue, mais elle arrange bien les bénéficiaires de l'Etat providence, qui remplit mal cette fonction régalienne:

"Elle achève de réduire les individus à l'impuissance et de les mettre dans l'incapacité de rien entreprendre contre la nomenklatura."

Francis Richard

De l'extermination, Eric Werner, 216 pages, Xenia (Parution en librairie aujourd'hui en Suisse, le 22 mars 2013 en France)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine