Depuis les vents qui ont soufflé de la Péninsule italienne, le navire Europe semble bien peu préparé pour affronter les mers agitées de l’économie mondiale.
Par Sophie Quintin-Adali, depuis Istanbul, Turquie.
S’exprimant récemment devant les députés européens à Strasbourg, le président Hollande avait déclaré avec emphase que la crise était « derrière nous ». Ce qui fut dit avec le plus grand sérieux apparaît maintenant comme une grossière plaisanterie, même si les gloussements sont bien rares. Paris observe avec une nervosité grandissante le dernier acte de rébellion dans l’hôpital du « Club Med ». La contagion guette l’Hexagone mais sur le pont du pédalo France, aucun signe de branle-bas de combat. La réponse du gouvernement socialiste a été, sans surprise, bien molle : réformettes et nouvelles taxes. L’économie continue de péricliter.
Pour l’instant, tous les yeux sont tournés vers Rome pour tenter de comprendre les conséquences politiques d’un vote inattendu. La formation d’un gouvernement de coalition sera-t-elle possible ? Sera-t-il en mesure de gouverner ? Les leaders européens exhortent l’Italie de maintenir vaille que vaille ses engagements pour contenir une dette souveraine galopante.
Le retour de Berlusconi était prévisible mais pas le score important (20%) du Mouvement 5 Étoiles (M5E) sous la houlette du ‘comédien-reconverti-politicien’, Beppe Grillo. Son programme économique est, au mieux, brumeux mais on peut assez facilement en distinguer l’idée maîtresse : un retour à la Lire pour accroître la compétitivité de l’économie et une restructuration de la dette publique. Des économistes reconnus ont défendu cette option mais elle va à l’encontre du consensus « berlinois ». La remise en cause de l’Euro est considérée comme une « hérésie ».
Malgré les sommes pharaoniques qui sont dépensées pour répandre la bonne parole européenne (les institutions européennes travaillent pour votre bien), l’Europe sombre dans la récession. Le très haut en couleurs M5E, parti populiste ‘anti-establishment’, est devenu la troisième force politique dans la 4ème puissance économique européenne. Les Italiens sont généralement considérés comme des europhiles. Toutefois, leur vote démontre sans ambiguïté qu’ils rejettent fermement l’austérité imposée par la nébuleuse européenne du pouvoir. En outre il est évident que la confiance en la ‘politique traditionnelle', qu’elle soit nationale ou supranationale, est tombée au plus bas.
Les résultats sont une véritable « catastrophe pour l’Euro et l’UE », annonçait le ministre des affaires étrangères luxembourgeois Jean Asselborn. Quand un leadership pondéré impose, jeter de l’huile sur le feu n’est guère utile… Cependant il est clair qu’avec un Parlement sans majorité les choses ne sont pas prêtes de s’améliorer. La guerre des mots entre presses italienne et allemande a déjà commencé. Le journal allemand Bild a rapidement affiché la couleur avec un titre provocateur à souhait - « Les politiciens saltimbanques italiens vont-ils détruire l’Euro ? » avec en prime des photos de Grillo et Berlusconi arborant des nez rouges de clowns.
Dans les hauteurs du pouvoir bruxellois, le moral des constructivistes doit être au plus bas. Mario Monti, le technocrate soutenu par la Commission, a pris ce qu’il convient d’appeler une raclée (10% des voix). Le message envoyé par l’électorat italien n’est pas difficile à comprendre. Il n’apprécie pas l’activisme politique de l’administration européenne et ses ingérences dans les affaires intérieures du pays.
L’UE a un besoin urgent de perestroïka. La problématique est la suivante : existe-t-il encore quelqu’un, dans les nimbes de l’administration européenne, capable de penser au-delà des étroites limites du très « politiquement correct » dogme fédéraliste ?
Avec leurs votes, les Italiens ont voulu exprimer leur colère envers une classe politique nationale et une technocratie européenne qu’ils tiennent pour responsables du désordre présent. En nombre grandissant, ils osent le « politiquement incorrect » en évoquant un retour possible de la Lire. Pour ceux qui souffrent et tentent de survivre au lent déraillement économique et social de l’Europe, l’idée de se réapproprier la souveraineté économique et monétaire représente une lumière au bout du tunnel.
Le décalage entre les élites et les peuples européens n’en finit plus de grandir. Le navire Europe apparaît bien peu préparé pour affronter les mers agitées de l’économie mondiale. Qui sait où les vents qui soufflent maintenant de la Péninsule Italienne l’emporteront ?
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Une première version de cet article a été publiée en anglais par le Hürriyet Daily News.