Person Of Interest est de toute évidence une des plus belles réussites produites par J.J. Abrams et sa société Bad Robot. D’ailleurs, les soi-disant journalistes qui aiment à présenter le producteur Abrams comme quelqu’un qui n’aurait “plus de jus”, et connaîtrait échec sur échec, oublient curieusement d’en parler. Un succès au vu des audiences, stables en général aux Etats-Unis, tournant autour des 13 millions de téléspectateurs, d’excellentes audiences pour une série actuellement en pleine saison 2, et qui devrait sans problème obtenir une saison 3. Ce qui a dû jouer dans la décision de TF1 de diffuser la série à 20h50 le mercredi. Bien entendu, il est toujours difficile d’expliquer le succès, comme l’échec d’ailleurs, d’une série, et donc d’écrire un article dessus, surtout quand on demande à des journalistes pas forcément versés dans la série. Alors ceux-ci, pour faire allusion, se rattachent à des éléments purement formels. Tel '”journaliste” des Inrocks raccrochera rapidement la série au 11 septembre (pourquoi pas ? Mais c’est tellement facile et superficiel), tandis que tels autres “journalistes” de Staragora, par exemple, y verront… le nouveau LOST (sic. Ah le nombre de séries évoquées dans des articles miteux et pitoyable, présentées comme “le nouveau LOST”, avec éventuellement un point d’interrogation pour semer le doute, et ne pas prendre de risques). D’ailleurs, profitons pour rappeler que cette série est davantage l’oeuvre de Jonathan Nolan, que de J.J. Abrams, uniquement producteur ici.
Person Of Interest est donc un succès public et critique, et ce, d’autant plus remarquable qu’il parvient à l’être sans disposer d’une réelle mythologie, à la différence des autres productions Bad Robot (à part Undercovers, déjà évoquée sur ce blog), étant constituée essentiellement d’épisodes stand-alone en apparence, épisodes fonctionnant indépendamment et constituant une seule et même histoire à chaque épisode. C’est probablement là l’une des raisons qui aura poussé TF1, d’ailleurs, à saborder sa diffusion en la proposant dans le désordre. On pourra rétorquer qu’il y a tout de même la Machine, cette mystérieuse entité à la fois partout et nulle part, scrutant et espionnant les conversations de tout un chacun, sorte de Big Brother dont on nous dévoile peu à peu l’origine. Mais c’est oublier un peu vite que ce n’est finalement qu’un prétexte justifiant simplement le concept de la série. Et hormis cet apparat de Science-Fiction donnant un côté très moderne à la série, celle-ci est “à l’ancienne”, avec un duo redresseur de torts aidant les opprimés contre de méchants individus. Alors pourquoi la série fonctionne-t-elle aussi bien aux Etats-Unis ? Est-ce grâce à ces éléments, où en dépit d’eux ? Hé bien il y a plusieurs explications possibles, autres bien sûr que celles, faciles, de “journalistes” peu inspirés rattachant la série à des éléments formels, qui sont loin de convaincre. Et d’une, il y a l’interprétation impeccable de Jim Caviezel en John Reese, une sorte de “Terminator” humain (curieusement, ses noms et prénoms sont les mêmes que ceux de personnages de la célèbre franchise, John Connor et Kyle Reese). La plupart du temps inexpressif, monolithique, semblant invincible, champion du combat rapproché, et celle de Michael Emerson dans le rôle du boîteux et inquiet Harold Finch. Le duo fonctionne bien, et est un bel exemple de “bromance”. L’autre point fort de la série est probablement son aspect “toile d’araignée”. L’un des épisodes de la Saison 2 livre en effet une clé de lecture possible expliquant peut-être, entre autres, le succès de la série. Cet épisode est celui pastichant le réseau social Facebook et son inventeur, Mark Zuckerberg. J’avais déjà indiqué dans une précédente note que l’un des charmes de la sériephilie est de voir se développer dans une série tout une galerie de personnages récurrents auxquels on s’attachera plus ou moins. Person Of Interest pousse le concept à l’extrême, grâce à son postulat de départ, accumulant les personnages que l’on revoit d’épisodes en épisodes. Et qu’est-ce que la Machine, finalement, qu’une façon différente de métaphoriser un réseau social, montrant que nous sommes tous connectés les uns aux autres, finalement ? Finch et Reese, au gré de leurs reoncontres, vont constituer tout un réseau de relations pouvant les aider le cas échéant, comme l’inspecteur Lionel Fusco, l’Inspectrice Carter, la Sculpturale Zoe Morgan (interprétée par la belle Paige Turco), ou Leon Sung (Ken Leung, vu dans LOST). Face à eux, on aura également la présence d’ennemis récurrents comme Carl Elias (Enrico Colantoni, qui interprétait Keith Mars, le père de Veronica Mars dans la série éponyme) ou encore la mystérieuse ROOT (Amy Acker, vue un peu partout, mais en particulier dans les productions de Joss Whedon).
De plus, tout comme X-Files à la bonne vieille époque (non, le prétendu “Âge d'Or des Séries” n’a pas commencé avec LOST, mais il faut remonter bien plus avant dans le temps, messieurs les soi-disant “journalistes” de StarAgora), chaque épisode réserve au cours de l’évolution de la série son lot de surprises, prenant place dans un cadre différent dans bon nombre d’épisodes, apportant ainsi un aspect varié à la série, cassant toute routine et impression de répétition face à un concept de départ simpliste (malgré l’apparente complexité de son postulat S-F, un postulat d’ailleurs rappelé au début de chaque épisode par Harold Finch en Voix-off) qui risquait d’en prendre le chemin et de lasser. Ainsi, la série, en phase avec son temps, exploite la réalité pour en faire le cadre ou le sujet de différents épisodes. Tel épisode fera référence implicitement, on l’évoquait plus haut, à Facebook, tandis que tel autre placera les personnages face à un ouragan, rappelant les ravages de Katrina). Et puis plutôt qu’une véritable mythologie à mystère, et outre cette surabondance de personnages récurrents, on a un semblant de conspiration plus ou moins tentaculaire qui se met en place par la suite, reprenant cette fameuse idée du réseau ou de la “toile d’araignée”.
Voilà, peut-être, les éléments qui expliquent le succès de la série, et nullement cette prétendue ombre du 11 septembre qui flotterait sur la série (ce sera vrai pour d’autres fictions plus politiques comme HOMELAND, mais moins prégnant dans Person Of interest), ou le fait que les téléspectateurs y verraient un nouveau LOST, fantasme et facilité de “journaliste” en mal d’inspiration et de réflexion.