Magazine Nouvelles

Dr House, zéro malade

Par Alainlasverne @AlainLasverne

 

Dr House

GRAPH XVIII
uand la télévision et plus largement les écrans, aujourd'hui, ont envahi nos salons puis nos vies, ils ont donné naissance à des figures qui n'étaient plus connues par ouï-dire, pour leurs talents, leur noblesse et leur exploits, mais d'abord et surtout par leur présence urbi et orbi, via la presse et la diffusion audio-visuelle.

Ainsi du commissaire Maigret qui enchanta des générations de spectateurs. Le personnage incarnait la capacité à résoudre d'un pas tranquille les énigmes policières les plus ardues. Sa compétence se mesurait au degré d'une réflexion que rien ne détournait de son but. Il se coulait dans les histoires d'argent ou de cœur en menant des investigations relevant peu ou prou de l'enquête participative. Sa vie de famille sans aspérité connue lui offrait la base, l'assise pour comprendre les protagonistes de crime divers avec facilité sans pour autant s'égarer, voire chuter dans les pièges que lui tendaient ceux qu'il tentaient de confondre.

Ce super M. Tout-le-monde exprimait une empathie paradoxalement distante qui lui permettait de parvenir au cœur brûlant des drames sans perdre sa constance, ce solide bon sens humain qui accomplissait plus de la moitié de la tache. N'importe qui aurait pu être Maîgret tant ses capacités professionnelles demeuraient de l'ordre de l'intendance, occultées par la disposition du commissaire à capter l'essentiel, l'humain, à sentir les ressorts du crime, l'amener à se révéler sous nos yeux et remettre ainsi la société sur les rails d'une existence bourgeoise débarrassée pour un temps du désordre criminel.

Figure contemporaine, le Dr House brille par des compétences professionnelles et une obstination singulière à se départir des patients qu'il affronte comme des collègues qu'il contredit.

Où Maigret démêlait, le Dr House résout. Ou Maigret s'immergeait dans le paysage humain, Dr House trace son sillage dans l'imbroglio des êtres qu'il heurte, écarte ou soumet dans sa traque renouvelée, presque métaphysique : la maladie.

Dans une époque où les valeurs étaient assurées, les places assignées, Maigret venait débarrasser l'ordre social d'une fièvre. Dr House n'a que peu d'intérêt pour l'ordre social. Il n'est nullement le missi dominici d'une société benoîtement appliquée à calmer les vagues sur le courant profond de la mécanique sociétale.

C'est un travail solitaire qu'accomplit Dr House, presque solipsiste. Chaque jour lui offre un cas où il doit pousser sa brillante mécanique intellectuelle d'expert aux limites pour terrasser l'hydre et peu lui importe de redonner la santé. Son énergie, sa volonté et son talent s'exercent pour résoudre un problème médical complexe et retors. Peu lui importe également les affects humains qui se déploient autour de lui. Le patient lui-même n'est que l'expression parlante et souffrante de cette foutue maladie qui ose défier l'acharné et irascible docteur.

Acharné et irascible il l'est à des degrés supérieurs. Pas question de jouer petit bras pour être à la hauteur des tours que lui joue la maladie aux mille facettes. Tout est supérieur d'ailleurs, chez Dr House. Sa rhétorique, sa brutalité professionnelle reflétant les facettes tranchantes de son caractère. Lequel serait parfaitement détestable si le charismatique docteur ne possédait le talent et la volonté qui lui permettent d'avancer encore quand tout le monde rend les armes au mal autour de lui.

On savait Maigret assuré de lui-même et d'une intelligence certaine. Lesquelles qualités côtoyaient le crime dans un processus d’infiltration lent et souterrain dont quelques éclats, quelques émergences constituaient chaque épisode.

Dr House est expressionniste comme un poisson dans l'eau, dans cette époque où il s'agit avant tout d'affirmer en couleurs fluos sa supérieure différence. Fini le rouage intelligent qui remet les mécaniques dans l'ordre éternel. Bienvenue à l'ego qui se déploie. Personne ne peut égaler le magnifique docteur, yeah ! Et nous rêvons tous de tenir le sabre comme lui.

La plus franche rupture avec l'époque Maigret tient sans doute à notre vision post-moderne du monde. Fini les détectives dont la vie est inscrite dans les notes de l'adjoint Janvier et le destin assis devant un canard roti chaque dimanche que Dieu fait. Fini la psychologie au comptoir et la marche aussi tranquille que triomphale d'enquêtes patiemment menées. Fini les récits sans ombre, les histoires sans traverses, les personnages en CDI.

S'il a une obsession, Dr House n'en ignore pas moins où il va. La bataille, il la livre autant contre lui-même que contre ses cas qui montent toujours plus nombreux à l'assaut de son génie. Bien sûr, il gagne à la fin, mais l'on peut voir là moins une concession à l'audimat qu'un regret suintant des linéaments obscurs de cervelles créatrices de séries. Dr House est un être perdu. S'il sait ce qu'il traque, il ne sait ce qu'il veut. S'il a une valeur boussole, c'est son cynisme fragile. D'assurance, il n'en montre que dans l'expertise la plus pure et ses rapports humains sont dans le meilleur des cas un frein à sa bataille renouvelée contre le Mal. Ami et amours, ils les piétine maladroitement dans sa fuite en avant. Son regard intense se concentre sur la maladie. Affleure, à le regarder, l'image de ces drogués du travail dont les USA ou le Japon font une intense consommation.

Dans sa lourde et aveugle marche en avant, Dr House ne trouve pas pire ennemi que lui-même, tant ses propres affects, ses tares revendiquées mais jamais assumées sapent à plaisir l'immense raison raisonnante, la brillante machine intellectuelle qui voudrait occuper et nettoyer seule le terrain.

Où Maigret affichait discrètement une solide santé, Dr House est perclus de douleurs, voué à l'addiction aux pilules anti souffrance, à la canne et à l'amour aussitôt conquis, aussitôt repoussé.

Le beau docteur est une imbuvable contradiction, un pied dans le passé, un pied dans le présent. Un héros post-moderne. Il suscite en nous des affects à la mesure des injonctions contradictoires qui le font avancer. On est heureux pour lui qu'il gagne. On est triste de le voir gagner dans les ruines de sa vie que sa rationalité de pointe n'arrive pas à gérer.

On a envie de lui poser des patchs d'humanité, à House, de le plonger dans un bain de douceur et de lui souffler « lâche la rampe ». On a envie de le mettre en cellule d'isolement, de le lobotomiser, d'en faire une machine sans utilité aucune qui ne saura jamais rien du spécialiste en auto-destruction massive nommé House.

On a envie de Don Quichotte, on a besoin de Sancho Pansa et versa-vice. Le dernier qui sortira éteindra la télé.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Alainlasverne 2488 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte