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L'inexorable disparition de l'écriture manuscrite

Publié le 16 mars 2013 par Réverbères
L'inexorable disparition de l'écriture manuscriteCes mots, je les écris sur un clavier relié à un écran. Si quelqu’un les lit un jour, ce sera sur un autre écran. Plus que vraisemblablement, il n’y aura jamais personne qui les imprimera sur un papier. Quand bien même ce serait le cas, seule une imprimante interviendra. Ces mots existent, mais ils ne seront jamais écrits à la main « à l’ancienne ». L’écriture manuscrite est en train de disparaître.
Elle ne serait pas la première forme d’écriture à s’éteindre. Il y a longtemps que plus personne ne grave sur une pierre les « coins » de l’écriture cunéiforme des Sumériens. Plus personne ne trace sur des tablettes de cire ni ne dessine sur des papyrus les hiéroglyphes égyptiens ou des alphabets phéniciens. L’arrivée du parchemin, puis du papier, a révolutionné l’écriture qui a cessé d’être l’apanage de quelques privilégiés pour devenir pendant des siècles un moyen de communication largement répandu.
Mais aujourd’hui, alors que l’écrit n’a sans doute jamais été aussi présent, rares sont les occasions où l’on écrit à la main pour communiquer. L’émergence des supports électroniques est d’une telle ampleur que l’écriture manuelle devient obsolète. Il nous arrive évidemment encore d’écrire à la main, mais la plupart du temps, ce sont des écrits courts et utilitaires : une liste de courses, un rendez-vous dans son agenda, un chèque (en Belgique, ceux-ci n’existent même plus)… Bien peu de gens prennent encore le temps d’écrire leur courrier à la main. La plupart des écrivains, poètes, scientifiques… écrivent à l’aide de l’ordinateur. Même dans les auditoires, on voit de plus en plus d’étudiants encoder directement leurs notes de cours.
Il faut dire que l’ordinateur offre de nombreux avantages dont celui de la propreté. Moi qui ne suis jamais arrivé à écrire de manière lisible, je bénis le ciel (et les hommes) d’avoir inventé l’ordinateur. Non seulement je peux écrire lisiblement et proprement, mais aussi je peux penser de manière dynamique et propre. Je peux revenir en arrière. Je peux effacer un mot, le déplacer, le remplacer. L’écriture peut même devenir un processus collectif où plusieurs personnes interviennent directement sur le texte en devenir. Sans oublier bien sûr les correcteurs orthographiques et autres dictionnaires de synonymes qui sont bien utiles quand on sait bien les utiliser. Bref, moi qui ai toujours beaucoup écrit, j’ai l’impression que ma force d’écriture s’est décuplée avec l’arrivée de l’ordinateur.
Inévitablement donc, on peut se poser la question de la disparition de l’écriture manuscrite. Celle-ci aura de moins en moins d’importance. On écrira de plus en plus notre liste de courses, notre agenda et autres babioles sur notre smartphone. Un jour, on se rendra compte qu’on n’écrit plus à la main. Que plus personne n’écrit à la main. Il y aura bien sûr des irréductibles et ils n’auront sans doute pas tort. Mais inexorablement, l’écriture manuscrite disparaîtra. Ce n’est pas pour demain, ni même pour après-demain. Mais peut-être dans 20 ans, dans 50 ans, voire même dans 100 ans. À l’échelle de l’histoire de l’écriture, c’est comme si c’était tout à l’heure.
On y perdra quelque chose, bien sûr. Mais l’humanité s’en remettra. Quand j’étais petit, j’ai appris à extraire des racines carrées à la main. Aujourd’hui, je prends ma calculette et c’est beaucoup plus simple ! Personne n’y a quelque chose à redire. J’ai aussi appris la calligraphie. Cela ne m’a pas aidé à avoir une écriture lisible, mais j’ai passé des heures à remplir des pages avec de belles lettres, en pure perte. La calligraphie a disparu aujourd’hui des classes d’école. Y a-t-il quelqu’un qui y a vraiment quelque chose à redire, en dehors d’une nostalgie vaporeuse ?
Une telle nostalgie n’a pas lieu d’être. À l’université, j’ai appris – avec beaucoup de plaisir – les statistiques. Nous utilisions déjà des calculatrices scientifiques, mais lors de l’examen, nous passions l’essentiel de notre temps à encoder des données pour calculer des moyennes et des écarts-types, afin de faire – quasiment à la main – les calculs de l’un ou l’autre test statistique relativement simple. Aujourd’hui, fini les calculatrices. Les données sont encodées dans un logiciel quelconque et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, on réalise tous les tests statistiques qu’on veut. Le travail n’est plus alors de calculer la valeur d’un t ou d’un F, mais d’interpréter les résultats des analyses réalisées et de leur donner du sens. Grâce à l’ordinateur, le statisticien peut se débarrasser du boulot de singe et se concentrer sur l’essentiel, à savoir l'utilisation des résultats. C’est bien plus intelligent, plus utile, plus complexe, plus significatif.
Il en va de même pour l’écriture. Ne plus devoir consacrer son énergie à l’acte physique d’écrire, être aidé dans la gestion difficile de l’orthographe… tout cela contribuera à aller à l’essentiel : le sens du message qu’on écrit, voire le style qu’on veut lui donner.
Cela dit, l’acte manuel d’écrire a son importance aussi ! Certains affirment qu’écrire à la main est bon pour le cerveau, car l'utilisation du stylo implique davantage d'activité cérébrale que l'utilisation du clavier. Certains médecins conseilleraient d’ailleurs aux personnes âgées de se remettre à l’écriture manuscrite pour garder un esprit vif. Cet acte physique permettrait aussi de structurer la pensée. Les plus fervents de l’écriture manuelle prétendent que le développement des écrans dans notre quotidien conduirait à une mauvaise ou une moindre utilisation de la partie du cerveau consacrée aux mouvements.
D’autre part, il est vrai que notre écriture est un élément fondamental de notre être  et révèle bien des choses sur notre caractère et notre personnalité, du moins pour ceux qui savent décoder et interpréter – sans trop travestir – les différents types d'écritures. Pour écrire, notre cerveau envoie des signaux à nos mains et à nos doigts, via le système nerveux : comme chaque cerveau est différent, chaque écriture est différente. Elle est une autre empreinte digitale ! L’abandon de cette empreinte serait dès lors quelque part une perte d’identité, ainsi d’ailleurs qu’une distanciation de l’histoire de l’humanité…
Tous ces éléments sont importants à prendre en compte et, maintenant que la question de la disparition de l’écriture se pose de manière concrète, il est indispensable de multiplier les recherches pour essayer de comprendre quel peut être le rôle exact de l’écriture manuelle dans la construction de l’identité et de l’intelligence. Ces recherches devront aborder une question essentielle et lourde de sens : faut-il encore apprendre aux enfants de 6 ans à écrire à la main ?
Il est trop tôt pour répondre à cette question. L’école sera sans doute le dernier bastion de l’écriture manuscrite. Quand celle-ci  aura quasiment entièrement disparu des pratiques humaines, on continuera vraisemblablement encore à l’enseigner. Par habitude d’abord, mais aussi parce que de nombreux pédagogues, psychologues, neurologues… argueront du fait que l'apprentissage de l'écriture manuscrite permet de développer la psychomotricité chez les enfants et contribue à la stimulation et au développement de certaines zones du cerveau.
Néanmoins, qu’on le veuille ou non, on est sans doute dans une évolution inéluctable. Un instituteur ayant réfléchi à celle-ci écrit : « S’il fallait en effet vraiment mettre l’accent sur les compétences des citoyens de demain, je supprimerais de mon emploi du temps l’apprentissage des boucles et des ponts, non sans une certaine nostalgie du temps passé, tout comme mes anciens collègues ont dû pleurer amèrement la disparition de l’encrier et de la plume, et de l’apprentissage associé des pleins et des déliés. Les temps changent, les techniques aussi, l’école se doit de les accompagner. »
N’est-ce pas là le véritable défi ? Comment s’inscrire dans le mouvement de l’histoire, en accompagnant – voire en précédant – les évolutions inéluctables, sans s’enfermer dans une inutile et improductive nostalgie ?

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