Magazine Humeur

375- Omar Khayam, les gadji etc chez Line Cé.

Publié le 17 mars 2013 par Ahmed Hanifi
D’emblée, je suis accueilli par une bouffée de chaleur agressive, des formes, piaillant et gesticulant, et des notes de musique tourmentées ou euphoriques. À peine entré dans le Monkey tree – un samedi de mars – je suis attiré comme un aimant (l’oxyde de fer), jusqu’au fond de la salle, sous l’écran de télé en pleine forme. Une table est libre. Je m’y installe. Je distingue vaguement les types et leurs gadji accoudés au comptoir. Non que je sois miro, bigleux ou myope, pas du tout, mais en raison de la lumière, tamisée par un appareil semblable à ceux qu’on utilise dans les boites de nuit, qui hachurent les visages, les corps et tout ce qui se trouve sous leurs jets.  Je les distingue mal, mais les entends bien. Plutôt bien. Je dis (ou écris) « plutôt bien », car, de ce que captent mes portugaises, il me faut faire la part de ce qui arrive des enceintes et ce que crachent certains de ces types. L’un de ces derniers tartine à ses proches son dernier séjour en Turquie depuis un bon quart d’heure : « Istanbul c’est Londres et Berlin réunis ». Il n’offre à ses potes nul répit,  « Y a un quartier qui s’appelle Bebek …t’as une chambre à 50€, pétaing c’est pas dégun ! » Il en oublierait sa pinte Blanche de Bruges « pâle et trouble aux arômes fruités et acides ».  375- Omar Khayam, les gadji etc chez Line Cé.Le Monkey Tree à Yellowknife, 2011
« Gaillac ? » me lance la patronne, en hochant légèrement la tête et en clignant du lampion en guise de salamalek. J’opine en levant le bras. Me connaît. Chaque samedi que Dieu fait (sauf catastrophe), je reviens ici en siroter deux. Rarement trois. Ou un. Mais cela m’arrive. Cela m’arrive d’en prendre trois. Cela m’arrive, mais pas bezzef. J’apprécie plus le nectar servi – il présente un bon potentiel de moyenne garde et sa texture est ample et structurée comme disent les œnologues, mais vous avez le droit de ne pas me croire – j’apprécie plus le nectar servi disais-je que le pub lui-même because le boucan, encore que Line Cé ma Bonne-Mère… Plus proche de moi, pour ne pas dire sur moi, la téloche Led, encastrée (101 cm, c’est écrit) diffuse un match de rugby muet. S’il n’y a pas de son, les supporters du Monkey s’en chargent. 100% pour les rugbymen français : « Vas-y, on le met, on le met, on le met, on le met !... et merde ! » 71’2O’’ Irlande 13 France 6. « Pétaing, y-a trois contre deux ! » etc. J’enlève mon Duffelcoat et de la poche intérieure j’extrais mon carnet rouge et mon stylo à bille bleu. J’y note nombre de remarques, de phrases entendues çà et là, d’écrits tordus ou rigolos. J’y porte aussi mes propres réflexions lorsque j’en ai. Toutes ces feuilles noircies m’aideront lorsque, le moment venu, j’appellerai au secours, lancerai des Sos. Le verre de Gaillac que vient de poser machinalement et sans sous-verre la patronne sur le milieu de la table m’inspire. J’évoquais récemment avec des amies mahoraises (tsing tsing belles Ba et My… !) le génie de Khayyam de Nishapur. Et, comme les premières phrases d’une belle chanson entendue le matin, certains vers du poète calculateur évoqué avec mes amies, me poursuivent, m’envahissent. « Je ne me suis jamais privé de cultiver les sciences…  Au bout de soixante-douze ans de réflexion, Je n’ai constaté que mon entière ignorance. » Au bout de tant et tant d’années à crapahuter « mais où est le vrai ? qui suis-je ?», mon ignorance est entière et je me dis « va n’hésite pas, prends le coquelicot, humidifie ton cerveau et écoute la vie. » « C’est l’aurore, lève-toi, ô source de grâce ! Bois tout doucement et joue ta harpe. » Il n’y a nulle harpe ni lyre dans cette taverne. Je dois me contenter, comme tous les clients, du choix de Line Cé : « Lady Madonna, children at your feet. Wonder how you manage to make ends meet…. »Joindre les deux bouts, tu parles que c’était pour ma mère une question récurrente. Ma mère ne s’appelle pas Madonna. Mais elle a trimé kif-kif. Tout ce que je suis devenu lui est redevable. Devant moi, le Turque gave ses amis à moitié niasqués. Il revient à la charge : « sauf que là faut pas aller au sud, y a des escarmouches avec les Syriens, faut pas déconner. Hé Line Cé, Une Bruges s’il te plaît, qu’est-ce que tu prends fada ? » Les fadas étaient trois. Pas sorti de l’auberge le Turque. La patronne revient chargée comme une Allemande de l’Oktoberfest. Pose un nouveau Gaillac. J’avais levé le bras, elle avait souri « j’arrive ». Coquelicot donc. Et Omar : « Ceux qui sont là n’auront pas un long séjour Et de ceux qui sont partis personne ne sera de retour. » Les spots du pub ont le tournis derviche. Chahutent à tout berzingue rouge, vert et beige, arc-en-ciel. Et « le coqu’licot n’aimer qu’ça faut être idiot T’as pt’êt raison, seulement voilà, quand j’t’aurai dit, tu comprendras ! », comme un tout p’tit trou dans mon âme, va Mouloud, mais où est le nord ? Irlande 13 France 13. Fin de partie. « Lamentab’ se lamente le voisin. Des bras cassés oui ! Attendre la 73° minute pour faire entrer Mathieu, c’est khéné. Franchement devant une équipe irlandaise aussi fadasse, c’est khéné j’te dis, la-men-tab’ ! »
La téloche reprend des couleurs : « It was the third of September, That day I'll always remember, yes I will, Cause that was the day that my daddy died… » on tape des mains, « Papa was a rolling stone », on tape des mains et des pieds, même si les paroles de la chanson ne nous y invitent guère, les paroles on s’en moque,  fini le rugby, tous ont l’oeil (ou l’oreille) tourné vers MTV. Et on tape des mains, et on tape des pieds. niasqués : « I never got a chance to see him, Never heard nothin' but bad things about him, Momma I'm depending on you to tell me the truth… » Line Cé s’il te plaît ! allo ! 
Au clair de ma mémoire fatiguée Des ombres zébrées reviennent animées Par quelles mers avez-vous navigué Pour venir hanter ma nuit avinée
Allez, zou ! je rentre à pieds. ---------
Ahmed Hanifi, Marseille, mars 2013 Je reviens vous dire que la soirée autour du film Wadjda s’est déroulée devant environ 130 personnes. Je ne fus pas seul à animer. Le débat a duré près de deux heures. Les interrogations furent nombreuses portant sur la place de la femme dans les sociétés arabes. Le voile, la domination… Elles ont aussi porté sur la peur et le rejet de la violence, de l’intolérance (parfois crûment dit). Dans mes interventions j’ai mis en garde contre la société du spectacle qui s’intéresse beaucoup plus aux formes et au dit spectacle qu’à tenter de comprendre des modèles et des ressorts de sociétés différentes de la nôtre. J’ai aussi mis en garde contre l’information du spontanée, non réfléchie. J’ai fait une sorte de rappel du rôle de la femme dans les sociétés européennes aujourd’hui sécularisées, mais aussi les prises de positions et le rôle de l’église jusqu’à nos jours (des épîtres de St Paul, des bûchés de l’inquisition, à Thomas d’Aquin et jusqu’aux papes d’aujourd’hui, sur la question de l’IVG ou du préservatif…). En réponse à une spectatrice qui s’interrogeait sur la non visibilité de l’élite arabe moderne dans les médias « vous êtes où ? » j’ai déploré l’absence sur la scène médiatique française de chercheurs éminents : Abdelwahab Meddeb, Rachid Benzine, Ghaleb et Soheib Bencheikh, Youcef Seddik, hier Mohammed Arkoun (cf société du spectacle) J’ai avancé que les réponses à toutes ces questions se trouvaient dans l’aboutissement des combats que mènent les sociétés arabes, combats pour la démocratie, pour les libertés, et par conséquent pour l’égalité entre tous les citoyens (et non sujets) quels que soient leurs identités, ethnies, couleurs, croyances, sexe. La question de l’esthétique du film fut abordée, mais sans insistance, ainsi que plus généralement la culture. J’ai rappelé les récentes prises de positions du roi Abdallah en faveur des femmes, que je trouve intéressantes à observer, bien qu’elles soient timides. --------
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Aujourd'hi ma vie c'est d'la marde
video À matin mon lit simple fait sur de me rappeler que je dors dans un lit simple.
avec les springs qui m'enfoncent dans le dos comme des connes.
j'ai pu l'gout qu'on me parle de conte de disney.
le prince charmant c't'un cave pis la princesse c't'une grosse salope.
y'en aura pas de facile.
peut-être que demain ca ira mieux mais aujourd'hui ma vie c'est d’la marde.(2)
j'avais les genoux mous pi toute c'étais la plus belle affaire du monde.
on aurait pu être l'inspiration d'une toune de céline dion.
mais quand y'a vu l'autre fille qui étais plus chics que moi.
il l'a ramené chez eux drette devant mes yeux.
ostie de gang de pas de classe.
peut-être que demain ca ira mieux mais aujourd'hui ma vie c'est d’la marde. (2)
j'ferais attention à toi mon petit gars parce que mes chums de filles veulent te casser les jambes (2)
j'ai l'air d'une grosse robineuse assie toute seule au bar
en bitchant toute la soirée à ceux qu'y'ont le malheur de m'écouter.
j'l'eu dit peut-être que demain ca ira mieux mais aujourd'hui ma vie c'est d’la marde.
peut-être que demain ca ira mieux mais aujourd'hui ma vie c'est d’la marde.(3)

Paroles de Mary-Pier et  Sonia Martel. [ Aujourd'hui ma vie c'est de la marde -/www.lyricsmania.com/ ]
Biographie
Lisa Leblanc est née à Rosaireville, un hameau acadien d'une quarantaine de personnes situé dans la municipalité de paroisse de Rogersville au Nouveau Brunswick, Lisa LeBlanc a commencé sa carrière comme chansonnière.
Après diverses représentations dans sa région natale, Lisa LeBlanc gradue de l’Ecole nationale de la chanson de Granby avec la cohorte 2010 et elle participe au 42e Festival international de la chanson de Ganby en septembre 2010 où elle remporte le premier prix. Elle est alors invitée à participer à des émissions telles que Belle et Bum en octobre de la même année.
En mars 2012, elle sort son premier album. Dès la première semaine, ce dernier se retrouve au premier rang du palmarès des ventes iTunes Canada.
A l'automne 2012 elle participe à la 26ème édition du Coup de coeur francophone. Elle se produit dans tout l'Ouest canadien, notamment à Vancouver, Edmonton et à la Cité des Rocheuses à Calgary.
2007 : Lauréate du Gala de la chanson de Caraquet Septembre 2010 : Lauréate du Festival international de la chanson de Ganby Mai 2012 : Révélation Radio-Canada 2012-2013 17 juillet 2012 : Disque d’or (40 000 ventes) pour l'album Lisa Leblanc Octobre 2012 : Prix Félix, révélation de l’année au gala de l’ADISQ. Wikipedia le dimanche 3 mars 2013.  
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Stigmates
Comme toi qui me lis, je suis né avec des cicatrices. Comme chacun de nous. Comme toi, comme l’autre (comme Federman, comme Erving), comme tout le monde. Je suis constitué avec et par elles. Les mêmes cicatrices. Naturellement, il y en a neuf. Je suis né avec neuf cicatrices. Mais dès les premières années de ma vie, une dixième est venue se greffer aux neuf premières qui, ai-je dit, sont naturelles. La dixième n’est pas naturelle. Elle n’est pas la première, mais longtemps elle fut la plus importante de toutes mes cicatrices. On me l’avait injectée (oui, je dis bien « injectée »), comme un virus ou comme du venin. Je ne me suis aperçu de rien. Certes, il m’est arrivé de me poser des questions: « pourquoi s’adresse-t-on ainsi à moi ? » « Qu’ai-je fait pour que l’on se moque de moi ? » Mais ces questions étaient inutiles. Futiles. Inutiles et futiles, car ceux qui injectent le poison ont (selon eux) toujours raison. Ont toujours la vérité qui leur colle aux dix doigts de pieds. Ma dixième cicatrice était connue de mes seuls amis et de mes proches. La plupart des gens que je croisais ou rencontrais ne la voyaient pas ou mieux, ne la soupçonnaient même pas. Pas immédiatement. Je ne suis pas né avec cette cicatrice, je le répète, mais j’ai grandi avec elle. Elle ne m’a pas été offerte, ces choses-là ne s’offrent pas, mais jetée à la figure comme on marque au fer un animal de bétail. On achève bien les chevaux n’est-ce pas (c’est bien connu) ? Une marque indélébile (ou presque). Très tôt je fus disqualifié. Dès l’enfance. On me l’a confirmé à l’adolescence. Depuis, cette cicatrice m’a accompagné au gré des déambulations de la vie. Tantôt elle prenait le dessus sur moi, tantôt c’est moi qui la vainquais. Je dois à la vérité de dire que plus le temps a passé et plus je l’ai dominée. C’est pourquoi j’en parle au passé. Lorsque l’homme (ou la femme) avance dans l’âge, il apprend à relativiser l’importance des choses. A accepter un certain nombre de choses qu’on rejette ou renie lorsqu’on a vingt ans. Il apprend à relativiser l’importance des choses, à tolérer, éventuellement à pardonner. Mais le corps-à-corps, car il s’agit bien de cela, un rapport de force terrible dans lequel les points sont comptés, ce corps-à-corps est insidieusement permanent. Lorsque c’est elle, cette dixième cicatrice qui dominait, lorsque ce stigmate refaisait surface, lorsqu’il menait (gagnait) aux points, cela réduisait mon être à une sorte de machin ou de pantin qui perdait partiellement ses moyens, qui bégayait, qui ne savait plus dire les choses sans trébucher, sans rougir ou sans se récuser. Se taire et parler à son journal (son journal, véritable ami intime). Certains de mes amis d’alors, qui savaient tout de moi, ils connaissaient mon histoire comme je connaissais la leur, certains de ces amis donc se mettaient à me secouer « reprends-toi vieux ! » Nous étions jeunes. Mais lorsque c’est moi qui la dominais cette dixième cicatrice (laquelle, je le rappelle, n’est pas naturelle hein, 
375- Omar Khayam, les gadji etc chez Line Cé. Rabarama Paola Epifani-Stigmate-2002
mais bien sociale, n’est-ce pas) lorsque c’est moi qui la dominais, alors je me sentais pousser des ailes ! Je chantais à tue-tête, j’adressais la parole à l’étrangère, j’interpelais les conférenciers, et même, j’écrivais des textes complètement fous que je lisais à haute voix pour me faire plaisir. De nouveau, encore et encore j’ai chanté à tue-tête, j’ai adressé la parole à l’étrangère, j’ai interpelé les conférenciers, j’ai écrit des textes complètement fous que j’ai lus à haute voix pour me faire plaisir. Des inconnus attentifs m’ont un jour (taquin, je me suis demandé comment) entendu. Ils ont tapé des mains, applaudi, souri. L’écriture, pensais-je, c’est ma vie. La honte, la timidité, la maladresse, la tare, la mocheté, le complexe ; tous les poisons qu’on m’injecta jadis fichèrent progressivement le camp. L’antidote est pourtant à portée de chacun de nous. On n’en use pas ou bien très peu. Il suffit pourtant de tendre simplement sa main, son être : écouter. Ne pas juger. Comprendre. Conjuguer l’humilité. Se convaincre que la vérité est arc-en-ciel. Quant aux neuf autres cicatrices (j’allais les oublier), bof, elles sont si banales et communes à l’humanité entière que je me contenterai d’en rappeler les caractéristiques : goût, odorat, regard, ouïe, jouissance et nécessité. L’enfer cela peut être les autres, ce n’est pas drôle du tout et j’y crois plus que jamais (l’égalité comme le respect aussi).
A.Hanifi Marseille 2010, Paris 2013.

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