Depuis l’été 2008, Guy Moussi arpente les pelouses du City Ground, l’antre de Nottingham Forest (D2). Marathonien de l’entrejeu, le Français a réalisé plusieurs saisons pleines avant de connaître le banc cette année, sous l’ère Sean O’Driscoll (ndlr, 6 titularisations pour 16 apparitions depuis le début de saison). Mais le retour de Billy Davies, ancien entraîneur à succès, a redistribué les cartes et ravivé les Reds. Avec six victoires consécutives et une cinquième place synonyme de playoffs, Forest et Moussi peuvent croire à ce retour en Premier League.
Sur l’instabilité de Nottingham Forest
« On ne voulait pas leur donner de l’argent en plus alors que le club payait des transferts pour remplacer les partants »
Les plus belles découvertes humaines restent notre groupe de mes trois premières saisons. J’étais tout jeune (23 ans) et mes coéquipiers aussi. C’était franchement un groupe de folie. Même aujourd’hui, on se fait des sorties, des week-ends à Londres, etc. Ce sont de vrais amis et on prévoit même de partir en vacances ensemble.
Sportivement, on s’est sauvé, puis on s’est incliné deux fois de suite en playoffs. Quand tu perds en playoffs et que tu vois toute la saison passée… Putain, c’est dur. (Il marque une pause) La saison où on a perdu contre Blackpool (2009/2010), j’étais dévasté franchement.
La saison passée, a été très, très difficile (19e sur 24). Ça faisait deux saisons qu’il y avait beaucoup de joueurs en fin de contrat et c’était encore pareil. Sauf que la mentalité avait changé. Ce n’était plus : « On va travailler tous ensemble pour monter en Premier League. » C’était : « Si je fais une bonne saison individuellement, je trouverais un bon club. » Ils ne voyaient que leur côté personnel. En plus, on était un peu redouté après nos deux belles saisons. Tout le monde pensait que Nottingham allait monter. On a cru qu’on n’avait pas besoin de faire tous les efforts. Puis, il y a eu des tensions à cause de ces fins de contrat, genre : « Si je fais tous mes matchs, je partirais, etc. » On n’était plus sur la même longueur d’onde.
Quand je regarde en arrière, c’est vrai que le club a été instable. Je suis un des derniers anciens aujourd’hui (rires). On a eu beaucoup de transferts et de changements d’entraîneurs. Le regret que j’ai, c’est le potentiel de fou qu’on avait lors de mes premières années. Je parlais à un ami passé par Reading qui était chez moi récemment (Mathieu Manset, aujourd’hui à Carlisle en D3) et il m’expliquait les efforts faits par le club pour conserver et prolonger leurs joueurs afin d’entretenir un esprit de groupe et de sérénité. Quel dommage de ne pas avoir fait ça ici… On ne voulait pas leur donner de l’argent en plus alors que le club payait des transferts pour remplacer les partants. C’est quoi l’intérêt de ne pas donner un peu plus à un ancien pour payer un gros transfert et un gros contrat à un autre ?
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« Quand on m’a dit que c’était lui, je n’y croyais pas. Il était trop simple, sans prétention »
Je l’appréciais beaucoup. Sa mort m’a vraiment, vraiment touché. En plus, c’est arrivé à un moment où il était très contesté. Il en a été très affecté et il a commencé à parler de démission. Sur les trois prochaines années, il pensait donner la main à une personne pour reprendre petit à petit le club. Et juste après, il décède…
Chaque année, il nous invitait avec nos femmes et nos enfants dans sa maison. Il préparait une grande réception et des jeux pour les enfants. C’était un personnage calme, réservé, humain. Ce n’était pas quelqu’un qui était imposant. Physiquement, il l’était, mais il n’allait pas s’imposer par son statut comme on peut le sentir avec certains hommes d’affaires. Pour te dire, la première fois que je l’ai vu, je marchais pour rentrer dans les bureaux du club. J’ai vu quelqu’un de très grand par la taille, habillé « normalement », qui ne demandait rien à personne. Jamais je n’aurais pu penser que c’était le président, jamais ! Quand on m’a dit que c’était lui, je n’y croyais pas. Il était trop simple, sans prétention.
C’était un passionné mais il était discret. Quand tu l’analysais, tu voyais quand même qu’il était à fond derrière nous. Une fois, j’étais dans les tribunes près de lui et j’ai pu voir comment il vivait la chose. C’était complétement différent de la personne assez fermé qu’on voyait après avec nous. En tribunes, il vivait le match comme un fan.
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« Lorsqu’ils sont venus dans le vestiaire après un match, ça avait choqué les Anglais »
Pour être ambitieux, ils sont ambitieux (rires). Nottingham aura besoin de stabilité, mais ils le savent. Ils s’habituent petit à petit à l’Angleterre aussi. Au début, quand ils sont venus dans le vestiaire après un match, ça avait choqué les Anglais. Autant on voit des présidents le faire en France, autant ici ça ne se fait pas. Tu peux nommer quelqu’un président et qui pourra le faire, mais le vrai boss ne vient pas.
Quand ils ont viré Sean O’Driscoll (ndlr, quelques heures après la victoire 4-2 contre Leeds le 26 décembre pour le remplacer par Alex McLeish, qui a depuis cédé son fauteuil à Billy Davies), on n’était pas du tout au courant. Ils lui reprochaient son manque de communication et de dialogue, ce qui était vrai. C’est un excellent coach, très pointu sur les séances d’entraînement et la tactique. Mais ce qui m’empêchait de vraiment apprécier ses qualités, c’était l’homme. Je n’ai pas accroché avec l’homme. C’est le genre d’entraîneur qui va baisser la tête quand il va te croiser dans un couloir. Il ne va pas te dire bonjour ou un petit mot. Je me rappelle à l’entraînement, on faisait un petit jeu où il fallait jouer à une touche de balle. Quelqu’un qui marque en deux touches je crois. Les joueurs ne comprennaient pas : « Mais on ne devait pas marquer en une touche de balle ? » Je passe à côté du coach et je dis : « Coach, il ne faut pas marquer en une touche de balle ? » Il ne répond pas. Je redemande et il ne répond pas. Je hausse la voix et il me dit : « Faites comme vous voulez… » Il a oublié l’aspect humain dans son métier, ce qui est dommage car il peut devenir un super coach.
Sa saison, ses envies
« J’avais un espèce de mal-être »
Avec Sean O’Driscoll, je ne jouais pas, qu’importe mes séances d’entraînements ou mes apparitions. Ça me bouffait. J’étais traité comme un jeune qui sort du centre de formation alors que j’avais fait mes preuves à Nottingham depuis des années (ndlr, Moussi venait de réaliser trois saisons pleines où il était considéré comme l’un des meilleurs milieux du championnat, au point d’avoir eu des convoitises de clubs de Premier League). J’avais également prolongé mon contrat à l’été 2011 alors que je pouvais partir. Donc cette première partie de saison, franchement… J’avais un espèce de mal-être. Pour ne pas le faire ressentir au groupe, je tentais de le cacher. Je suis quelqu’un qui a toujours le sourire, la banane et j’avais perdu cette joie de vivre.
Quand O’Driscoll a été viré, ça ne m’a pas fait un soulagement car je ne suis pas quelqu’un qui souhaite le malheur des autres. Mais Alex McLeish (1) est arrivé et il m’a fait confiance. Ça a tout changé. J’ai retrouvé le plaisir de jouer et de ne plus être condamné. Putain, que ça m’avait manqué (rires) !
J’ai toujours espoir que Nottingham Forest remonte en Premier League. Je le dis à tout le monde, mais le jour où on remontera, donc quand le club sera à sa vraie place, ce sera la folie. Forest, c’est un peu comme une femme endormie. Mais le réveil arrive ! En plus, on a des fans exceptionnels. Je veux aussi dire que ce n’est pas n’importe quel club et c’est ce qui me plait aussi. Par exemple, quand je suis au centre de remise en forme de Camp 8 l’été, j’ai l’occasion de rencontrer d’autres joueurs et d’échanger sur nos clubs. Julien Sablé (Bastia), un mec pour que j’ai beaucoup de respect, était choqué de notre affluence moyenne (22 583 cette saison). Un ami comme Sylvain Marveaux (Newcastle) me disait aussi : « Forest, c’est un club mythique ! Tu as de la chance de jouer là-bas. » Je sais que je suis privilégié. Jouer au City Ground, c’est vraiment quelque chose.
(1) : McLeish a quitté Forest le 5 février par consentement mutuel.
Retrouvez également la première partie de cet entretien.