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Le problème chypriote signe-t-il la fin de la zone euro ?

Publié le 19 mars 2013 par Raphael57

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De retour de l'IUT de Mantes-la-Jolie où j'ai participé à une très intéressante table ronde organisée par les étudiants sur les paradis fiscaux et la crise, il est nécessaire que j'aborde les problèmes que connaît Chypre. En effet, nous sommes là face à un nouveau séisme au sein de la zone euro. Pourtant, le sauvetage du soldat grec fut en son temps présenté comme la réponse à un cas exceptionnel, à l'instar de l'aide apportée au tigre celtique ou aux banques espagnoles plus récemment. Les difficultés chypriotes vont-elles porter l'estocade à la zone euro ?

Quelques mots sur Chypre

Chypre est une île de 9 250 km² située au sud de l'Anatolie et en face de la Syrie, comme le montre la carte ci-dessous issue de la Commission européenne et sur laquelle j'ai marqué en rouge le pays :

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[ Source : Commission européenne, cliquer sur la carte pour l'agrandir ]

La République de Chypre a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1960, mais des violences intercommunautaires entre Chypriotes turcs et grecs ont divisé, depuis 1974, l'île en deux : le nord, occupé par l'armée turque est autoproclamé République turque de Chypre du Nord, mais seul le sud est officiellement reconnu par la communauté internationale. Chypre a adhéré à l'Union européenne en 2004, ce qui en faisait le plus riche des dix nouveaux adhérents, et rejoint la zone euro en 2008. Ainsi, Chypre est désormais membre de l'Union européenne de facto pour sa partie sud, de jure pour toute l'île. Selon Eurostat, on compte 860 000 habitants en 2011 dans le sud pour 1,1 million d'habitant au total sur l'île.

L'économie de chypre

Les principales activités économiques de l'île sont le tourisme, le secteur de la confection et l'artisanat (broderie, poterie,...), ainsi que la marine marchande qui est la troisième de l'Union européenne et la huitième du monde. Comme c'est le cas pour l'essentiel des pays européens, le commerce extérieur de Chypre se fait pour les 2/3 avec le reste de l'Union européenne. Notons aussi que l'île disposerait de réserves prometteuses en gaz naturel qu'elle va chercher à exploiter et à exporter, d'où l'intérêt grandissant du géant gazier public russe Gazprom.

A cela ajoutons bien entendu les services financiers et juridiques, qui ont permis à Chypre d'attirer les capitaux internationaux et surtout russes, faisant dès lors de Chypre un lieu de blanchiment avéré et un paradis fiscal. 

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[ Source : Le Figaro.fr ]

Le graphique ci-dessous (cliquer dessus pour l'agrandir) présente l'évolution de la croissance, du chômage, du déficit public et de la dette publique de Chypre depuis 2008 :

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[ Source : La montagne.fr ]

Quelle est la nature de la crise à Chypre ?

A force d'avoir parié sur la finance et ses banques - le système bancaire national représente 7 fois le PIB du pays ! - le pays est en panne.

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[ Source : Le Figaro.fr ]

Et ce d'autant plus qu'il est devenu une victime de la crise grecque, puisque la restructuration de la dette publique grecque en mars 2012 lui a coûté 4 milliards d'euros. Au bout du compte, Chypre a besoin de 17 milliards d'euros dont 8 à 10 milliards rien que pour sauver son système bancaire de l'asphyxie, c'est-à-dire 60 % de son PIB pour seulement recapitaliser ses banques !

La crise à Chypre était donc à l'origine essentiellement bancaire, mais a mué en une crise économique comme le montre le doublement du taux de chômage sur un an :

chomage-Chypre.jpg

[ Source : Eurostat ]

Le plan de sauvetage de l'économie chypriote

Après de nombreuses hésitations et une aide de 2,5 milliards d'euros accordée par la Russie en 2011, le gouvernement chypriote a dû se résigner à demander l'aide des bailleurs de fonds internationaux. Or, ces derniers hésitaient beaucoup à venir en aide à un pays perçu comme le havre de paix des blanchisseurs et mafieux russes. 

Finalement, pour réduire la participation de la zone euro et du FMI à ce sauvetage (10 milliards d'euros sur les 17 demandés), il fut décidé d'instaurer une taxe exceptionnelle sur tous les dépôts bancaires qui devrait rapporter 5,8 milliards d'euros : 6, 75 % sur les dépôts inférieurs à 100 000 euros et 9,9 % sur ceux supérieurs à ce seuil.

Sauvetage-chypre.jpg

[ Source : directmatin.fr ]

Au-delà des évidentes protestations de la Russie qui y voit un retour des Bolchéviks, ce plan de sauvetage m'interpelle. En effet, à chaque sauvetage d'un pays il est question de surveiller comme le lait sur le feu la réaction des marchés financiers et des agences de notation. Or, dans le cas précis, l'annonce du plan a suffi à créer un tumulte sur les bourses mondiales qui redoutent une contagion à d'autres pays de la zone euro et une défiance vis-à-vis des dépôts bancaires. Les déposants ont eux-aussi cherché à retirer leurs avoirs dans les banques (on évoque 10 % de Chypriotes qui se sont rendus à la banque...), mais décision fut prise de bloquer les comptes jusqu'à jeudi. 

Pour prévenir une éventuelle panique bancaire (dont j'ai évoqué les conséquences dans ce billet), les créanciers ont depuis quelques heures revu leur copie, et l'on s'achemine désormais vers une exemption totale ou partielle des dépôts bancaires inférieurs à 100 000 euros et une progressivité. A suivre donc...

Les conséquences de ce plan de sauvetage

A bien y réfléchir c'est un curieux sens du civisme que développent les bailleurs de fonds à Chypre : les ménages chypriotes honnêtes, c'est-à-dire ceux qui ont maintenu leurs avoirs dans l'île, sont donc taxés comme les oligarques russes ! Ce n'est donc pas tant le principe d'une taxation qu'il faut critiquer, car le gouvernement chypriote est souverain dans la levée des impôts, mais plutôt que cette taxe présente d'emblée un caractère inégalitaire et sera forcément rejetée violemment par le peuple, puisqu'imposée par des bailleurs de fonds étrangers.

Mais encore plus grave est le signal qu'envoie une telle taxe : un investisseur extérieur à la zone euro déduit de la situation actuelle que la zone euro n'est plus unifiée par la monnaie unique, car un euro déposé sur une banque chypriote ne vaut plus la même chose qu'un euro déposé en France ou en Allemagne par exemple. De plus, si une telle situation peut se présenter à Chypre, pourquoi n'y aurait-il pas le même risque en Espagne ou en Grèce ? Dès lors, si l'investisseur suit ce raisonnement il s'abstiendra d'investir dans l'ensemble de la zone euro (effet de contagion), ce qui aura pour effet de relancer la crise de la zone euro dont François Hollande disait un peu vite qu'elle était derrière nous...

Dans ce billet de mon blog, j'avais expliqué pourquoi la finance hypertrophiée conduit au désastre. Pour le dire de manière brève, la course aux échalotes financières (les flux financiers sont près de 60 fois supérieurs aux flux de l'économie réelle !) rend l'ensemble du système financier instable et conduit à des crises graves, qui emportpar le fond le construit sociale et politique des pays. Et la troïka vient de montrer qu'elle ne fait rien pour empêcher ce funeste destin à la zone euro. 

Pour ma part, je l'affirme sans ambages : certains États feront tôt ou tard encore défaut sur leur dette, car lorsqu'il y à insolvabilité on ne voit pas l'intérêt d'un énième plan de sauvetage qui traite un problème de liquidité (voir mon billet Comment soigner une crise de solvabilité d'un État ? pour une analyse plus technique de ces questions de soutenabilité de la dette).

Seul un éventuel et improbable fédéralisme salvateur pourrait permettre à la zone euro de ne pas exploser. A défaut de trouver un tel accord sur un véritable fédéralisme européen, capable de piloter les composantes politiques, économiques et sociales de l'Union européenne, je crains fort que le projet européen n'arrive à son terme.


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