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Rejet du budget européen : vers la parlementarisation de l’Union Européenne ?

Publié le 21 mars 2013 par Sylvainrakotoarison

Le Traité de Lisbonne a accru les pouvoirs du Parlement européen : la procédure de codécision est applicable désormais dans 86 matières au lieu de 37 précédemment. Mais parallèlement aux traités qui lui confèrent de plus en plus de pouvoirs, le Parlement européen entend bien accélérer l’évolution.

yartiBudgetUE01Cela s’est passé le même jour que l’élection du nouveau pape François, le mercredi 13 mars 2013 en milieu de journée, et il est possible que les relations actuelles entre l’Union Européenne et Chypre effacent des esprits la conscience d’un événement majeur dans la construction européenne. En effet, le Parlement européen a rejeté massivement, lors de sa session mensuelle à Strasbourg, le projet de budget négocié par les 27 membres pour la période 2014-2020.

Et quand je dis massivement, c’est bien de cela qu’il s’agit : 506 voix pour le rejet, contre 161 et 23 abstentions. Les députés européens ont rejeté le compromis durement négocié le 8 février 2013 (après l’échec du Sommet européen des 22 et 23 novembre 2012) après vingt-six heures de discussions qualifiées de « négociation de marchands de tapis » par le président de la commission des budgets, le Français Alain Lamassoure (UMP) qui dirigera la délégation chargée de renégocier le budget. Ils ont critiqué la réduction de 10% de l’enveloppe budgétaire (960 milliards d’euros pour 2014-2020, soit 0,95% du revenu national brut, au lieu de 1,15% pour la période 2007-2013) ainsi que le manque de transparence et d’envergure.
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Une programmation budgétaire de sept années

Rappelons que ce projet budgétaire n’est pas annuel et correspond à une période de sept ans de 2014 à 2010. C’est peut-être très long mais cela fait déjà trois ans que les responsables européens planchent sur le sujet. Ce serait matériellement impossible de faire des budgets annuels.

Ce budget consigne les contributions de chaque État dans le pot commun européen et la répartition de ces montants à divers projets de redistribution, notamment des fonds de solidarité pour les agriculteurs et pour les régions les plus pauvres du territoire européen. Il n’y a quasiment aucune ressource propre à l’Union Européenne, ce qui signifie que chaque État cherche à réduire au maximum sa contribution par rapport aux redistributions qu’il peut espérer.

Thatchérite aiguë

Ce n’est pas la première fois que le Parlement européen avait rejeté un budget. Celui présidé par l’ancien chef du gouvernement français Pierre Pflimlin l’avait déjà fait le 13 décembre 1984 pour le projet de budget 1985 (comme l’a rappelé Alain Howiller). À l’époque, cela n’avait pas eu énormément d’incidence, si ce n’est une renégociation, mais cela avait déjà marqué le coup face à une Margaret Thatcher intransigeante n’hésitant pas à marteler : « I want my money back ! ».

Margaret Thatcher ? Justement, Alain Lamassoure avait déjà ironisé lors de ce Sommet de Bruxelles, les 7 et 8 février 2013 : « Nous avons vingt-sept Madame Thatcher autour de la table : chacun est obsédé par ce qu’il retire du budget européen, tout en cherchant à minimiser sa contribution ! ».

Pour le Parlement européen d’aujourd’hui, il y a une certaine surprise à voir ainsi le budget largement rejeté alors que le Parlement européen vit généralement de manière consensuelle avec des accords négociés entre les deux principaux groupes, à savoir le PPE (centre droit dans lequel se trouvent l’UMP française et la CDU allemande) et les S&D (sociaux-démocrates parmi lesquels se trouvent le PS français et le SPD allemand).

PPE et S&D dans le même navire (ainsi que ADLE et Verts)

Dans la composition du Parlement européen élu le 7 juin 2009 (et renouvelable en mai 2014), il y a en effet 270 sièges (sur les 754 au total) pour le PPE (parti populaire européen) et 190 pour le S&D (socialistes et démocrates). Ensuite, viennent le groupe centriste (ADLE : démocrates et libéraux) avec 85 sièges (dont les 6 du MoDem), 59 Verts (dont 16 Français), 53 ECR (principalement les conservateurs britanniques) et d’autres groupes plus faiblement représentés et se tenant aux deux extrémités de l’échiquier européen.

Il y a donc un réel paradoxe à voir un Parlement européen monopolisé par le PPE et les S&D rejeter un projet de budget négocié par 27 gouvernements qui sont, eux aussi, très majoritairement dirigés par ces mêmes partis. Y a-t-il un paradoxe schrödingérien ?

La surprise était pourtant prévisible, si j’ose écrire ainsi, car les présidents des quatre principaux groupes, justement, avaient annoncé quelques heures après l’accord du 8 février 2013 leur opposition à ce plan qui « ne renforcera pas la compétitivité de l’économie européenne ». Ces quatre présidents, le Français (UMP) Joseph Daul pour le PPE, l’Autrichien (SPÖ) Hannes Swoboda pour les S&D, l’ancien Premier Ministre belge Guy Verhofstadt pour l’ADLE et l’Allemand Daniel Cohn-Bendit pour les Verts, avaient considéré dans un communiqué commun que « ce n’était pas dans l’intérêt des citoyens européens » de voter ce budget.

Processus budgétaire normal

Sur le plan pratique, les conditions émises formellement par le Parlement européen seront en fait une base de négociation avec le Conseil européen et ils auront quatre mois pour se mettre d’accord. Les revendications du Parlement européen ne sont en effet pas insurmontables : souplesse entre les chapitres budgétaires, souplesse pour reporter les crédits non utilisés d’une année sur l’autre, révision du plan pluriannuel à mi-parcours, d’ici trois ans, pour prendre en compte la conjoncture et le faire ratifier par les nouveaux députés européens élus en mai 2014, et enfin, une rallonge pour le budget 2013, qui pourrait atteindre 17 milliards d’euros afin éviter un budget en déficit (dans le cadre du plan 2007-2013).

Mais c’est d’un point de vue symbolique et institutionnel que l’événement est historique.

Un ensemble institutionnel peu satisfaisant

Les institutions européennes pêchent depuis plusieurs décennies par leur extrême complexité, leur illisibilité et leur carence démocratique. Elles n’ont été que des verrues rajoutées petit à petit, au fil des traités depuis le Traité de Rome, pour chercher une gouvernance collective sans retirer la souveraineté des nations. Exercice institutionnel périlleux ! Et aussi historiquement inédit.

Depuis une vingtaine d’années, l’armature institutionnelle de l’Union Européenne est à peu près celle-ci : il y a la Commission européenne (composée donc des commissaires européens) qui a le rôle de l’Exécutif et qui a, seule, le droit d’initiative ; et il y a le Conseil européen (les Exécutifs des 27 pays membres) et le Parlement européen qui se répartissent de manière identique le rôle du Législatif, à cela près que le Parlement européen n’a pas l’initiative des textes qu’il doit voter (à l’exception des résolutions, comme celle du 13 mars).

Et ces textes sont dans deux catégories : il y a les "directives" qui doivent ensuite faire un traitement législatif particulier à l’intérieur de chaque pays (adaptation juridique) et les "règlements" qui sont directement applicables. Pour qu’une directive ou un règlement soient adoptés, il faut que le Conseil européen ET le Parlement européen les approuvent.

Le Traité de Lisbonne a parachevé l’édifice en instituant un véritable Président du Conseil européen différent du chef d’État ou de gouvernement précédemment prévu en rotation tous les six mois, choisi par le Conseil européen.

On voit bien que dans ces institutions, deux instances sont démocratiques : le Conseil européen, qui est composé des Exécutifs démocratiquement élus dans chaque pays membre, et le Parlement européen qui est élu spécifiquement pour l’Europe. Mais pour la démocratie européenne, seul le Parlement européen est démocratique, puisque le Conseil européen n’est représenté que par des responsables qui ont été élus essentiellement sur des considérations intérieures à leur pays et en aucun cas sur des enjeux uniquement européens.

Quant à la Commission européenne, instance nommée par le Conseil européen sans vraiment de débat à cause de la répartition complexe, géographique et politique, elle est un objet technocratique informe parmi les moins aboutis.

Un clivage entre national et supranational

Le rejet des députés européens n’est donc pas si étonnant que cela : alors que le Conseil européen ne prend des décisions qu’en seules considérations de préoccupations nationales (les gouvernements s’affrontent, car ils doivent ensuite garder la face devant leur propre opinion publique nationale), les députés européens ont une logique purement européenne.

Le clivage n’est donc ni politique (droite vs gauche) ni nationale (pays anglo-saxons contributeurs net vs pays latins bénéficiaires, la France entre les deux) mais institutionnel, entre ceux qui ont une logique nationale (le Conseil européen, qui peut être considéré comme le Sénat européen représentant les pays) et ceux qui ont une logique européenne (le Parlement européen, élu sur ces seules considérations mais aussi la Commission européenne, qui était du même avis que le Parlement européen sur le plan budgétaire).
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Les partisans de la construction européenne ont donc naturellement applaudi cette petite révolte parlementaire. L’actuel Président du Parlement européen (depuis janvier 2012), l’Allemand Martin Schulz (SPD) a salué « un grand jour pour la démocratie européenne ». Guy Verhofstadt s’est évidemment lui aussi réjoui : « De toutes les grandes batailles que le Parlement a menées, celle-ci est sans doute la plus importante. À la fois pour obtenir un budget plus efficace dans la crise et pour changer en profondeur la nature de l’Union. ». La députée européennes française Catherine Trautmann (PS) n’a pas dit autre chose en parlant d’un « acte fort, surtout vu les pressions qui se sont exercées » (en parlant de l’activisme du cabinet d’Angela Merkel). La députée européenne bulgare Mariya Gabriel (PPE) a aussi expliqué son vote : « Le but n’est pas de montrer les muscles pour montrer les muscles. Après le Conseil, chaque Premier Ministre est rentré chez lui en clamant "J’ai gagné !". On a voulu rappeler que l’ambition européenne avait été oubliée en chemin. ».

Ce rejet a même donné un peu raison au Président François Hollande qui trouvait le plan pluriannuel trop peu ambitieux et qui a dû faire des concessions dans les négociation du mois dernier face à une alliance entre David Cameron (Royaume-Uni) et Angela Merkel (Allemagne) qui voulaient réduire l’enveloppe budgétaire et l’a consacrée surtout aux projets d’avenir.

Comment les institutions européennes peuvent-elles évoluer ?

Tous ceux qui travaillent de près ou de loin pour l’Europe le savent plus que les autres : le fonctionnement actuel des institutions de l’Union Européenne n’est pas satisfaisant car il y a un déficit évident de démocratie mais aussi, une illisibilité de la part des citoyens européens. Qui est capable de connaître ses députés européens ? Et même, en France, qui est capable de connaître les limites des grandes circonscriptions dans lesquelles sont élus ses députés européens ? Alors, ne parlons même pas de leur action pendant leur mandat…

Pour améliorer les institutions, il y a deux voies possibles, qui ne sont d’ailleurs pas incompatibles.

Il y a une voie ambitieuse, celle d’un nouveau traité qui renforcerait le Parlement européen et renforcerait le caractère démocratique, à savoir : fusionner le Président de la Commission européenne avec le Président du Conseil européen et le faire élire au suffrage universel direct. Cela aura l’avantage de mettre l’enjeu des élections au niveau européen, de faire changer de dimension la politique intérieure. La Commission européenne doit déjà être formellement investie par le Parlement européen et on se souvient que la Commission présidée par Jacques Santer avait dû démissionner le 15 mars 1999 après la menace de l’adoption d’une motion de censure par les députés européens en raison d’une affaire mineure mais néanmoins scandaleuse touchant la commissaire française, ancienne Première Ministre, Édith Cresson (Mario Monti avait été membre de cette Commission chargé du marché intérieur).

Mais cette voie a un grand obstacle, celui de devoir refaire un débat supranational sur les institutions européennes, ce qui, par temps de grave crise économique, n’est probablement pas indiqué. Certains préparent déjà un projet de nouveau traité, mais il reste évident qu’il devra, dans tous les cas, être associé aux peuples européens sans lesquels aucun progrès démocratique ne pourrait être envisager. On ne construit pas la démocratie contre le peuple. Ce serait un oxymore.

Et puis, il y a une voie plus modeste mais pragmatique, celle de pouvoir prendre de nouvelles habitudes dans les institutions actuelles et de tirer le plus profit de leur élasticité.
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Les actions peuvent être purement institutionnels. Ce fut le cas le 13 mars 2013 avec ce rejet du Parlement européen qui est un geste fort en direction des 27 gouvernements : l’Europe n’est pas qu’une affaire entre ministres nationaux, c’est aussi l’affaire des citoyens européens, représentés directement au Parlement européen.

Cela pourrait être aussi la nomination d’une personnalité forte à la tête de la Commission européenne ou du Conseil européen. Or, les actuels titulaires ne font décidément pas l’affaire, malgré leur valeur personnelle. José Manuel Barrosso a été inexistant depuis la crise de 2008 et les crises de l’euro (à quoi sert-il ?) et il est de toute façon sur le départ avec la fin de son mandat en 2014. Quant à Herman Van Rompuy, sa culture du consensus évite en effet bien des crises politiques mais sa discrétion politique lui donne un aspect ectoplasmique qui rend sa fonction inexistante tant à la face du monde qu’au regard des citoyens. Il est dommage que le Conseil européen n’eût pas choisi en novembre 2009 l’ancien Premier Ministre britannique, Tony Blair, dont la forte personnalité et le pays d’origine auraient été des symboles forts d’une réelle gouvernance européenne.

D’ailleurs, il y aurait peut-être ce projet de nommer Président de la future Commission européenne le leader européen du groupe politique qui aura remporté les élections européennes de mai 2014. Le commissaire européen Michel Barnier semble sérieusement s’y préparer pour le compte du PPE. Y aura-t-il alors un réel débat européen à l’occasion de cette échéance électorale ?

Il y a aussi une manière moins institutionnelle de faire évoluer l’Union Européenne. C’est d’augmenter la part de ses ressources propres. Sans pour autant lever un impôt spécifiquement européen, le budget de l’Union Européenne pourrait s’octroyer plus d’indépendance en ne comptant plus principalement sur les contributions nationales mais surtout sur la future taxe des transactions financières, sur une part de la TVA ou encore sur une éventuelle taxe carbone. Une révolution budgétaire que la députée européenne française Pervenche Bérès (PS) verrait ainsi : « C’est le point qui change la donne. Celui qui peut transformer un budget conçu comme un empilement de cadeaux faits aux États en véritable arme contre la crise. ». Ce serait par ailleurs plus démocratique puisque ce budget pourrait alors être préparé au sein même du Parlement européen.

Demain…

En 2009, Françoise Massart-Piérard formulait, dans un article publié dans une revue spécialisée (1) ce constat que le Parlement européen avait toujours su prendre la place qui devait lui revenir dans le jeu institutionnel : « Tout d’abord, la proposition présentée par Robert Schuman prévoyait l’avènement d’une Fédération européenne dont la fondation ne pouvait être pensée sans l’existence d’un organe délibérant. Très tôt, le Parlement [européen] entend occuper pleinement cette place. À cette fin, il se comporte en permanence en acteur stratégique. » (1).

Cette résolution du 13 mars 2013 rejetant l’accord de Bruxelles du 8 février 2013 n’est donc qu’une simple étape dans le processus d’élaboration du budget européen qui devra de toutes façons être approuvé en juillet 2013 par le Parlement européen. Mais c’est aussi une étape nouvelle dans l’accroissement de l’influence du Parlement européen au sein des institutions européennes. Et c’est donc, par ricochet, l’accroissement du respect aux citoyens européens qui demandent plus de démocratie et plus de transparence dans la gestion des affaires européennes.

D’ailleurs, est-ce vraiment un hasard si le remplaçant, ce mardi 19 mars 2013, du Ministre du Budget démissionnaire en France, Jérôme Cahuzac, n’est autre que le Ministre des Affaires européennes, Bernard Cazeneuve ?

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 mars 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
(1) Françoise Massart-Piérard "Le Parlement européen : l'irrésistible mouvement de conquête des pouvoirs", Revue internationale de politique comparée 4/2009 (Vol. 16), p. 545-557.
L’Union Européenne et la paix.
Un Européen convaincu.
Le Président de l’Europe…
Des élections à la proportionnelle.
Le TSCG.

yartiBudgetUE05 

http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/rejet-du-budget-europeen-vers-la-132786




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