Les premi??res fois

En coaching, aussi bien qu'en th??rapie, il y a bien des enjeux qui se nouent (et jouent) lors de la premi??re rencontre, qui donnent une intensit?? sp??ciale ?? ce moment, et qui font qu'on en garde g??n??ralement un souvenir pr??cis, m??me longtemps apr??s. Si j'osais, c'est quelque chose qui a ?? voir avec un rendez-vous amoureux. Ne vous m??prenez pas : je file la m??taphore. Puisqu'au fond il s'agit de savoir si l'on peut s'accorder. Et cela, c'est une alchimie d'une subtilit?? qui ??chappe largement ?? la conscience, si exerc??e soit-elle ?? rep??rer ce qui se joue dans l'espace de la relation.

Les coachs comme les psys sont (en principe) des professionnels de l'accordage. Ils ont l'??il, l'oreille, le c??ur et le corps exerc??s ?? saisir ce qui discorde et ce qui rapproche, les petites vibrations, le sens qui circule sous les mots et le geste. Mais ils sont comme tout le monde : ils se trompent parfois, ou n'y comprennent rien.

Prendre rendez-vous pour travailler dans un registre de l'intime (comme tout travail en face-??-face), c'est prendre le risque de ne pas s'accorder. Risque pour le coach : ne pas ??tre choisi comme coach par ce client-l??. Enjeu ??conomique (mes fins de mois), enjeu narcissique (suis-je nul ?), enjeu professionnel (qu'est-ce que j'ai rat?? ?); coup de canif dans son d??sir d'??tre l'op??rateur d'un changement. Risque pour le client : un coup d'??p??e dans l'eau, r??p??ter quelque chose qui ne marche pas, repartir avec plus de doute sur ce qu'est sa juste place.

Pour le coach qui d??bute, les enjeux de l??gitimit?? sont exacerb??s. On a peur d'oublier quelque chose, on se focalise sur le cadre, on a besoin de certitudes et de s??curit??. Et qu'on l'aime, ce client qui a fait appel ?? nous, et, par sa pr??sence et sa demande, nous l??gitime dans ce m??tier impossible que l'on a voulu exercer!

Que ce premier moment soit source ??ventuelle d'inqui??tude - de part et d'autre, au demeurant ??? n'a rien de surprenant, ou c'est qu'il n'y aurait gu??re de place pour l'inattendu, que les choses seraient jou??es d'avance. Ce serait le contraire d'une relation ouverte au changement.

En ??crivant ce papier, pourtant, je m'aper??ois qu'au fil du temps je m'en suis largement d??lest?? au profit de la pure curiosit??. Laisser advenir. Voir ce qui se passe. Entendre en soi la petite musique du transfert. Parfois cela ne joue pas : pas ou peu d'harmonie, rendez-vous sans lendemain, on n'??tait pas la bonne personne, ou ce n'??tait pas le bon moment, ou bien il n'y avait pas de motivation s??rieuse. Le client attend quelque chose de trop pr??cis, ce qu'on lui offre (un cadre, un dispositif de travail) lui semble trop vague, ou diff??rent de ce qu'il avait imagin??, ou vertigineux. On apprend ?? ne pas avoir de regret. On apprend.

Parfois, c'est le contraire ; on se reconna??t, et l'on devine tr??s vite qu'?? la condition d'y insister un peu, de s'y engager, la relation sera fructueuse, constructive, que l'on pourra s'y appuyer pour d??ployer de nouveaux possibles dans le plaisir de l'??change.

J'ai le souvenir pr??cis d'un premier rendez-vous avec un analyste qui est, depuis, devenu un ma??tre. C'??tait une p??riode difficile, douloureuse. Apr??s une heure de discussion, je suis ressorti de son bureau sur un petit nuage. Il ne s'??tait rien pass?? d'extraordinaire, je m'??tais assis et nous avions parl??. Et pourtant ma perception du monde en avait ??t?? chang??. Au retour, dans les couloirs du m??tro, tout me parut ?? la fois plus grand et plus pr??cis, les visages des voyageurs semblaient vivants, ??clair??s. Myst??re de la relation. J'??tais arriv?? quelque part, et j'y ??tais ?? ma place.