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Sur ma trottinette, barbe au vent

Publié le 22 mars 2013 par Desfraises

Sur ma trottinette, barbe au vent "Quand @desFraisesetc lui montre sa trottinette, le fou regarde ses chaussures… Et veut s’acheter les mêmes." (Tweet de @Troistrois)
Alexandre Vialatte1 décrivait avec un talent immense, une plume subtile, élégante, riche et délicate, parfaite, les grandes et petites choses qu'il observait. Il écrivait dans une de ses chroniques à propos de l'homme promenant son chien à la tombée du jour. L'homme au bout de la laisse de son chien. Le chien promenant son maître. Trois mois durant, en compagnie d'une actrice et d'un acteur, j'ai joué les textes de Vialatte, en 2006, dans un petit théâtre parisien. Éloge du Homard, adapté et mis en scène par une amie. Mon plus beau souvenir de scène, incarnant un clown contemporain, lunaire, cruel, poète.
Je n'ai pas perdu ma part de clown. Le lien avec Vialatte est un peu capillotracté, s'est un peu perdu dans les flasques méandres de ma digression (mais j'aurai peut-être réussi à vous donner envie de lire ou relire Vialatte). L'homme qui promène son chien. Et mon constat (celui de beaucoup de gens) : promener son animal de compagnie crée l'éphémère rencontre dans la rue, en bas de chez soi. Deux maîtres se reniflent le derrière et leurs toutous se parlent. Ou plutôt le contraire. Le toutou a servi d'objet de discussion, d'entremetteur.
Mon toutou à moi, mon jouet, ma trottinette.
Un couple âgé que je dépasse, barbe au vent, m'aborde un peu plus loin alors que nous stationnons au croisement de la rue Caulaincourt et la rue Joseph-de-Maistre, en haut du cimetière de Montmartre. L'homme m'interroge sur le modèle et admire la facilité à déplier, replier l'engin. Le serveur du bar gay profite de me souhaiter le bonsoir, de m'embrasser pour emprunter ma trottinette et faire un tour rue des Archives, dans le Marais. Et @MichelPoulain qui me la pique pour se rendre Chez Vito, vingt mètres plus loin, non sans lancer un "YeeeHaaaaaa2" triomphant.
Quelques heures auparavant, je gravis les marches menant aux bureaux d'une société proposant services et conseil aux hôteliers. L'hôtesse ouvre la porte, me souhaite la bienvenue, roule des yeux écarquillés quand je lui demande "vous avez un garage pour ma trottinette ?". Vite armé d'une coupe de champagne, je range manteau et véhicule dans le vestiaire. Au terme d'une demi-heure de gai papotage avec les hôtes de cet "Apéro yield management et e-distribution" (vente en ligne au meilleur prix au bon moment, pour causer français), j'écoute la présentation, les discours ornés de franglais à chaque coin de phrase. Parmi les invités, des directeurs et/ou propriétaires d'hôtels 4 étoiles, des directeurs financiers, commerciaux, tous en costard-cravate, je fais tâche. Casquette, jeans, baskets rouges et bleues.
Anticonformiste. C'est le terme qu'emploie le prof et acupuncteur émérite qui lit en moi comme en un livre ouvert. Il me soumet d'abord à la question, me parlant et parlant à ses pairs venus en stage. Une douzaine d'élèves et thérapeutes mêlés qui viennent tour à tour contempler ma langue de cobaye, prendre mes pouls, alors que je suis allongé sur la table de massage avec pour seuls accessoires un slip bleu et rouge, un paréo pour me protéger du frais, puis les aiguilles que le prof plante en des points, sur des méridiens bien précis. Troublante expérience que celle de servir de cobaye.
Buvant à pleine gorgée le rayon de soleil de cette fin de mars, je roule à trottinette. Je glisse sur le bitume, slalome barbe au vent entre piétons et caddies. Accédant à ma rue, à l'angle du cimetière du Montparnasse, je croise le neveu de la gardienne, au bras de sa compagne. Il m'interpelle : "Ah, ça, c'est écologique, au moins."
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1 Lire ses Chroniques de La Montagne, deux volumes réunissant 900 bijoux parus chez Bouquins)
2 Youpiiiiii en français, ça fait pas très viril, hein. Donc YeeeHaaaaaa, en anglais.

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