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Les réseaux sociaux, machines à créer de la violence : comment curer Facebook ?

Publié le 23 mars 2013 par Gonzo

policiersNet

Inévitablement, après des années d’enthousiasme pour Internet et ses prodiges politiques – au sens le plus étroit de l’adjectif –, l’heure est aujourd’hui aux examens de conscience. Repéré sur Seen This , cet article évoque comment Internet et pouvoir entretiennent des rapports moins roses qu’on aurait aimé le croire. Pour Bruce Schneeir, dont les différents commentaires sont cités, il faut bien reconnaître que la technologie renforce les internautes, mais plus encore à la longue les pouvoirs en place, politiques et économiques. Il constate aussi que l’univers sans frontières du Web voit ressurgir aujourd’hui de nouveaux nationalismes cybernétiques. Et afin d’achever de nous désespérer, il rappelle encore que la surveillance policière sur la Toile dépasse désormais tout ce qu’on avait pu imaginer.

Dans le même état d’esprit, on s’aperçoit aussi de plus en plus, et notamment à la lumière de certains soulèvements arabes, que le gigantesque agora public ouvert 24/24 h et censé renforcer la société civile et la démocratie directe prend des allures de Far West. Bien loin d’apaiser les conflits, les flux numériques, démesurément décuplés par les réseaux sociaux, ne servent guère à créer du lien social mais contribuent au contraire à déchirer à toute vitesse la toile des relations ordinaires, même quand elle a été tissée par d’innombrables années de vivre ensemble.

Dernier exemple en date, le Liban, dont les nouvelles sont chaque jour plus inquiétantes et où la violence politique se nourrit à l’évidence de tout ce qui circule sur Internet. Au point que des cyberactivistes locaux – voir L’Orient-Le Jour ou (en arabe) Al-Akhbar – ont imaginé une page Facebook (logo en haut de ce billet) qui fonctionnerait comme une sorte de poste de police du Net pour alerter contre les dérives confessionnelles les plus dangereuses.

Les promoteurs ne se font guère d’illusion sur leur pouvoir d’empêcher de nuire et leur page n’a guère attiré pour l’instant que 500 membres… De plus, ils savent bien que les sites éventuellement fermés renaissent immédiatement sous une autre adresse. Et de toute manière, demander la fermeture d’un site est rarement une solution car les critères justifiant cette censure sont forcément discutables. On en avait parlé dans un billet écrit dans les premiers mois des soulèvements arabes, lorsque Facebook s’était empressé de supprimer la page, pourtant non violente, appelant à la « Troisième intifada » en Palestine. On l’a vu plus récemment encore lorsque les pages de la chaîne Al-Manar, proche du Hezbollah comme on sait, ont été fermées (article dans le Daily Star), l’été dernier, pour incitation à la violence (quand on voit ce qui s’échange sur d’autres sites, notamment syriens, il y a vraiment de quoi sourire).

A bien y regarder, c’est en fait la totale liberté de la Toile qui pose problème, le seul fait qu’elle soit ouverte aux intiatives individuelles, y compris les mieux intentionnées. On s’en rend vite compte dans le cas de cette toute récente initiative égyptienne (article en arabe), visant à dénoncer sur le Net les trop nombreux auteurs de harcèlements sexuels : peut-on laisser tout un chacun dénoncer publiquement tel ou tel individu, au mépris des règles péniblement mises en place dans les sociétés pour réguler un peu la violence entre les personnes ? Dans un autre contexte, bien plus violent encore, il faut être aussi saoudien que le quotidien Elaph pour, sans la moindre nuance, se réjouir (voir cet article d’octobre 2011, en arabe) de voir fleurir sur les réseaux sociaux syriens des listes de dénonciation de présumés collaborateurs, dont certains seront purement et simplement liquidés sans autre forme de procès…

La Syrie, précisément, est certainement l’exemple le plus récent d’une situation particulièrement dramatique. Avec un ton très détaché, cette étude, publiée l’été dernier par l’académie militaire de West Point aux USA, s’intéresse à la manière dont les deux camps se servent des réseaux sociaux comme d’une arme stratégique. Une arme qui, certes, fait des morts, au sens strict du terme et dans laquelle presque tous les acteurs se sont très vite engagés comme on le constate à la relecture de cet article (en arabe) écrit dès le mois de juin 2011 et qui se terminait par l’évocation de la fort étrange Gay Girl in Damascus, belle invention des spin doctors du Net.

De façon moins spectaculaire, les réseaux auront vu se multiplier les fake : fausses nouvelles et fausses images, mais aussi faux commentaires et même fausses pages attribuées à telle ou telle personnalité, pour défendre les idées d’un camp ou plutôt pour attaquer celles de l’autre. Restées en Syrie ou installées à l’étranger, actives sur la scène publique mais aussi parfaitement silencieuses, toutes les personnalités ou presque de l’écran ou de la chanson se sont fait embrigader, parfois sans avoir rien demandé, non seulement dans le combat politique sur les réseaux sociaux mais aussi dans les affrontements les plus sectaires. Et les intellectuels, célèbres ou rêvant de l’être, ne sont pas en reste (article en arabe)… Certains en tirent déjà les conséquences (Al-Akhbar en anglais) : Social networking sites failed in their pioneering role in the Arab Spring, which quickly turned into a bloodbath, tandis que d’autres (article en arabe dans Al-Safir) notent que les « Syriens se détournent des médias [y compris lesdits médias sociaux]… en attendant leur tour de mourir »…

Certes, comme l’écrit récemment Le Monde dans un texte aussi documenté qu’optimiste, il y a des réseaux de formation aux rebelles, pour former de plus efficaces « journalistes-citoyens », lesquels seraient déjà en train de préparer l’après-Assad !… Un travail de formation qui vise à améliorer ce qu’on appelle en français, à partir du terme anglais curator, la « curation d’Internet », au sens d’une sélection des contenus les plus pertinents, les plus intéressants (comme le curator d’une exposition sélectionne les œuvres proposées au public). Mais si l’origine du mot latin renvoie à l’idée de soin, curer, en français, c’est d’abord nettoyer la fosse aux ordures, nettoyer à fond – récurer – jusqu’à faire disparaître toute saleté.

Et ce n’est pas gagné d’avance !


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