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Le jeu doit rester un jeu : En arrière toute!

Publié le 26 mars 2013 par Alain Dubois

160px_lq_2013-03-25_logo.pngPâques approchant, Loto-Québec a ressuscité aujourd’hui (25 mars 2013) une veille campagne d’information : Le jeu doit rester un jeu.

Une campagne avec ce slogan a déjà été diffusée entre août et décembre 2000 et relancée en avril 2001 (voir pages 26 et 27 de ce document-synthèse). On se souviendra que, en mai 2001, probablement en réponse au recours collectif des joueurs pathologiques contre Loto-Québec (2000-2009), le gouvernement avait imposé une approche différente avec des campagnes de prévention organisées par le Ministère de la Santé et des Services Sociaux (MSSS) plutôt que Loto-Québec.

Cette nouvelle approche, en mai 2001, introduisait le concept de jeu responsable qui était présenté comme une solution à la crise sociosanitaire des appareils de loterie vidéo (ALV).
Mais, à partir de 2002, Loto-Québec a dédoublé les efforts du MSSS en créant une nouvelle filiale : la Fondation Mise sur toi. Sept ans plus tard, en avril 2009, le gouvernement a accordé le statut d’organisme indépendant à Mise sur toi. Huit mois plus tard, cette indépendance sera un prétexte, durant la négociation du règlement hors cour, pour considérer inutile la création d'un conseil indépendant du jeu.

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Cette indépendance n’aura duré qu’un temps. En juillet 2012, Mise sur toi a osé faire preuve d’indépendance en produisant une campagne intitulée : Tombe pas dans le piège. Nous en avons discuté ici. Dans cette campagne, il était question d’illusion de contrôle et, en particulier, du fait que les appareils de jeu sont programmés pour séduire. On a pointé directement l’appareil. En août 2012, Loto-Québec décide de créer une vice-présidence au jeu responsable et d’y inféoder Mise sur toi.
C’est dans ce contexte de marche en arrière qu’il faut conceptualiser la campagne actuelle d’information. À titre d’exemple, le site web Le jeu doit rester un jeu propose aux gens de poser des questions. Au moment d’écrire ce billet, il n’y a qu’une personne qui a posé une question : À partir de quel moment est-on considéré comme un joueur pathologique? La question a l’air pipée. M’enfin, c’est la réponse qui dévoile un changement de cap considérable.
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Ici, Loto-Québec réduit la dépendance psychologique aux faits (1) de perdre de l’argent qu’on ne pouvait pas perdre ou (2) de rater un événement important parce qu’on est incapable de sortir de la zone. Pourtant, les études scientifiques ont constaté depuis longtemps que les problèmes de jeu commencent à se développer durant la phase gagnante, c’est-à-dire bien avant les indices qui feront que les conséquences du jeu pathologique seront observables au point de poser un diagnostic clinique.

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C’est un changement considérable. En effet, après que le gouvernement ait adopté le concept de jeu responsable en mai 2001, de nouveaux dépliants étaient apparus aux côtés des appareils de loterie vidéo (ALV) : Votre portrait de joueur en 8 questions. Ne le cherchez pas sur Internet, les liens ont récemment été coupés par Loto-Québec, et le tout est redirigé vers le site Le jeu doit rester un jeu. Il en reste cependant auprès des ALV.

Initialement, le dépliant était bleu. Depuis environ 2009, l’organisme Mise sur toi l’a réimprimé en gris et orange. Le texte est néanmoins le même dans les deux versions :

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En sciences de la santé, il est de règle de ne pas associer le début d’une pathologie au moment du diagnostic. Par exemple, il existe un délai entre l’instant où on attrape la rougeole et le moment où les symptômes apparaissent. Dans sa réponse à Robert, Loto-Québec suggère qu’on devient joueur pathologique seulement à l’orée de la troisième phase alors que le joueur en est quasiment rendu à endosser au moins cinq des dix critères du DSM. Pourtant, entretemps, le joueur aura essayé plusieurs fois d’arrêter de jouer sans succès et aura perdu plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Associer le début d’une pathologie au diagnostic est une position qui fait certainement l’affaire des avocats. Mais, dans le cas précis de la dépendance pathologique au jeu, c’est l’objet d’un important débat éthique parmi les spécialistes de la santé publique. La prévention des problèmes de jeu ne consiste pas à limiter les dépenses du joueur dans les limites de ce qu’il peut perdre, à répétition, sans faire faillite (sinon Loto-Québec perd un client). La prévention est d’éviter que le joueur ne développe une illusion de contrôle et/ou qu’il s’emprisonne dans la zone.

Typiquement, le joueur, qui a fait un gain significatif, a espoir de mieux systématiser ses gains en analysant le jeu plus en profondeur. Une réponse plus pragmatique aurait été de signaler qu’on risque dangereusement une dépendance quand on devient tolérant aux pertes parce qu’on croit faire un investissement.

Plus récemment, dans le livre Addiction by design (2012), la chercheure Natasha Dow Schüll a développé un concept de zone qui explique le maintien d’une dépendance malgré la dissipation de l’illusion de contrôle. Dans cette perspective, la dépendance s’incruste d’autant que le jeu persiste en durée et en fréquence, d’où l’importance d’agir dès la première phase de la dépendance plutôt que lors de la dernière.

Déjà en 2007, lorsque Loto-Québec avait présenté son projet des Ludoplex, j’ai mentionné (voir page 3) la pression qu’il existait à limiter les organismes de santé et de services sociaux au rôle d’ambulancier qui intervient seulement après que le joueur ait été trouvé inerte sur le pavé. En essayant d’apparier le début du jeu pathologique au moment du diagnostic, Loto-Québec ravive la charge pour repousser les interventions sociosanitaires le plus tard possible. Le danger est que les services cliniques ou communautaires n’auront le mandat que de modérer la dépense du joueur pathologique à la limite de ce qu’il peut dépenser à répétition sans faire faillite. Quelle différence y a-t-il avec un vampire intelligent qui ne tue pas sa proie pour avoir un peu de sang chaque jour?

Sans équivoque, je crois qu’on peut enterrer l’ère qui a suivi la conférence de presse du 30 mai 2001 et qu’on se replonge dans le contexte qui a conduit à la crise sociosantaire des ALV entre 1994 et 2001. C’est quand même étrange que cela survienne au moment où deux des acteurs de la conférence de presse du 30 mai 2001 soient récemment devenues Première ministre et ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale.


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