« C’est pour toi que je pars,... pour toi que j’ai vu chaque jour courbé par le travail pour nourrir deux familles infirmes. Si je me suis prêtée à l’occasion de devenir riche, c’est pour te rendre mille fois le bien que tu nous a fait. (...) ô Paul ! ô Paul ! tu m’es beaucoup plus cher qu’un frère ! Combien m’en a-t-il coûté pour te repousser loin de moi ! Je voulais que tu m’aidasses à me séparer de moi-même, jusqu’à ce que le ciel pût bénir notre union. Maintenant, je reste, je pars, je vis, je meurs : fais de moi ce que tu veux. Fille sans vertu ! j’ai pu résister à tes caresses, et je ne peux soutenir ta douleur ! »
Paul et Virginie
est une de ces légendes intemporelles qui perdurent dans la conscience collective indépendemment du livre et de son auteur lui-même et dont la portée mythique a tout simplement éclipsé la valeur purement littéraire. Mais il est intéressant de se plonger dans le texte écrit, malgré le risque réel d’être déçu, surtout si on a une idée préconçue sur la légende avant même de connaître le livre.Parlons donc du texte lui-même. Celui-ci est l’occasion pour l’auteur d’exalter la nostalgie d’un paradis perdu, qui se présente sous la forme d’une utopie symbolisée toutefois par un lieu bien réel : l’île de France (île Maurice) qui devient le cadre propice et idéal aux amours de Paul et Virginie. Ceux-ci ont échappé aux maux et à la décadence de la civilisation européenne en grandissant aux côtés de leurs mères au milieu de la forêt tropicale et sauvage, lieu d’utopie par excellence qui inspire en eux les sentiments les plus nobles et vertueux.
L’auteur reprend ainsi la théorie de Rousseau selon laquelle l’homme ne trouve le bonheur que dans un état de nature, loin de la corruption des sociétés et de la Politique. En effet, dans une écriture pastorale, tendre et lyrique qui exalte longuement la nature et les paysages, l’auteur valorise le mode de vie simple et l’autosuffisance dont fait preuve la petite famille de Paul et de Virginie qui vit recluse parmi les rochers d’une montagne. Toutefois, le désir d’assurer un avenir pour Paul et Virginie pousse la mère de celle-ci à l’envoyer en France pour parfaire son éducation et hériter de la fortune de sa tante, ce qui entraînera inévitablement un échec de l'utopie et la séparation fatale des amoureux dans une scène assez douloureuse qui nous évoque celle de Tristan et Iseut séparée par les eaux de la mer.
Enorme succès à l’époque, il existe toute une iconographie et de peintures qui enrichissent la légende de Paul et Virginie. N’oublions pas non plus la dimension mythique, voire identitaire que lui a donnée l’île Maurice, là où certains endroits sont devenus le symbole de la triste fin (fictive certes) de ces deux amoureux comme Cap Malheureux ou la Baie du Tombeau.