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Ces leçons de Chypre qu'ils ne veulent pas voir.

Publié le 27 mars 2013 par Juan
Il demeure un sérieux désaccord d'interprétation sur ce qui ce trame à Chypre et son prétendu sauvetage.
Les euro-sceptiques, de gauche ou de droite, considèrent le récent plan de sauvetage, adopté dans l'urgence psychodramatique d'une nuit, comme l'ultime coup de boutoir de l'euro-technocratie contre les peuples. On critique ces "politiciens" qui vont faire payer le prix fort au peuple. Sur la photo, cela fait joli, et cela ne change rien.
Les euros-fans applaudissent au contraire l'un des premiers plans qui sanctionne le secteur bancaire, et ponctionne même arbitrairement les dépôts des plus fortunés. Et si l'Europe faisait enfin le ménage ?
Les banquiers s'inquiètent du précédent. Il fallait lire la une des Echos - un quotidien économique peu suspect de gauchisme - pour comprendre l'ambiance.
Qu'en est-il ?
Lisons le relevé de décisions de l'euro-group, ce rassemblement des "17 salopards" comme les appelle François Delapierre du Parti de Gauche, et quelques autres comptes-rendus.
1. L'objectif est de réduire la taille du secteur financier au niveau moyen européen d'ici 2018. D'où la fermeture de la seconde banque du pays, Laiki. Et, précise l'eurogroup, elle doit être "immédiate". Osons une remarque: Frapper le secteur bancaire ne se fait pas sans dégât. En fermant une banque trop spéculative, des chypriotes vont perdre leur emploi. C'est triste, mais n'est-ce pas inévitable quand on veut "nettoyer" la mauvaise finance ? Pour quelques contempteur français de la décision, cette même banque sera en fait démembrée entre activité de dépôts et de spéculation: "This will be done by splitting it into a "good bank" and a "bad bank". La mauvaise partie - spéculative - sera fermée. L'autre, l'activité de dépôt, sera transférée à la première banque du pays, la Banque de Chypre.
Cette dernière sera recapitalisée via la conversion des dépôts non assurés (i.e. au-dessus de 100.000 euros en capital et une "contribution totale des actionnaires". On attend les détails.
2. Les dépôts bancaires des plus fortunés et des expatriés - pouvons nous avouer qu'avoir 100.000 euros sur son compte bancaire individuel est un avantage fortuné ? - seront ponctionnés. Parmi ceux-là, il y a de l'oligarque russe, ou l'exilé britannique. N'est-ce pas réjouissant ?  « Dans le projet de la Commission européenne actuellement en cours de discussion, il n'est pas exclu que les dépôts de plus de 100.000 euros puissent être des instruments susceptibles d'être utilisés pour un sauvetage », a reconnu mardi 26 mars un porte-parole de Michel Barnier, le commissaire européen au Marché intérieur. Répétons: N'est-ce pas réjouissant pour celles et ceux qui réclament des sanctions sur les banques et les fortunes ? Frédéric Lordon aurait préféré que l'on garantisse les dépôts des résidents, sans critère de fortune. Dont acte... Mais comme c'est curieux...
3. Cette décision chypriote a une vertu collatérale: l'eurogroup a validé la garantie bancaire des dépôts bancaires inférieurs à 100.000 euros. "I would like to emphasise that none of these measures will affect deposits below 100 000 euro. There should be no doubts about that. We reaffirmed today the importance of fully guaranteeing these deposits in the EU", a déclaré le Président de l'Eurogroup Jeroen Dijsselbloem. Il paraît qu'à l'UFC-Que Choisir, on a dit que cette garantie était évident. Ah bon... 
4. Les autorités chypriotes ont accepté des mesures "ambitieuses" dans le domaine "des réformes structurelles, de la fiscalité, et des privatisation." Oh mon dieu... C'est là que le bat blesse... Privatisation ? Lesquelles sont encore possibles dans un paradis fiscal que Chypre ? Pire, "le gouvernement chypriote est engagé à prendre des mesures fiscales telles qu'une augmentation de la du prélèvement à la source sur les revenus du capital et l'impît sur les sociétés." Franchement, qui à gauche peut critiquer cet engagement autrement que pour dire qu'il ne sera pas tenu ?
5. Le gouvernement chypriote s'est aussi engagé à commander une évaluation indépendante de sa régulation contre le blanchiment d'argent sale dans ses institutions financières... Evidemment, l'engagement est cocasse, demander à un paradis fiscal de vérifier comment il lutte contre le blanchiment de l'argent sale... Ahem... On tousse....
En contrepartie, d'ici la troisième semaine d'avril, Chypre devrait pouvoir bénéficier de l'assistance financière prévue via le MES.
6. Chypre, n'en déplaise aux détracteurs du sauvetage adopté, est un épiphénomène, un "confetti" tel que le qualifie Frédéric Lordon, l'un de nos économistes atterrés et estimés. Même l'autre estimé Paul Jorion, sur son blog, est contraint à l'envolée lyrique plutôt que l'habituelle efficace critique directe et précise. On masque là-bas l'ampleur du déficit budgétaire réel car l'Europe a du mal à accepter d'avoir démasqué aux yeux de tous l'existence d'un pareil paradis fiscal:
"Comme l’annulation des dépôts en euros ne suffit pas à éponger les pertes des banques chypriotes, la troïka accorde à l’État chypriote un méga-crédit pour porter les pertes bancaires directement dans le budget public. Évidemment, on ne dit pas que le bouclage de ce plan de restructuration des banques chypriotes est financé par un « déficit budgétaire » chypriote de 60 % du PIB : pas 0,6 %, ni 6 % mais bien 60 %. "

7. L'Europe s'y est mal prise. Frédéric Lordon défend l'idée que l'eurogroup s'y est très mal pris dans l'affaire chypriote. C'est sans doute vrai. Le taux d'impôt sur les sociétés n'a été qu'insuffisamment relevé - 12,5%. Comme l'écrit notre confère Romain Blachier, il "manque encore une harmonisation fiscale pour éviter la course mortifière à long terme du dumping sur lesquelles surfent le populisme des Depardieu et des Figaro Magazine."  L'Europe a fait peur à ses banquiers. Le président de l'eurogroup a laissé entendre qu'il faudrait faire payer le sauvetage des banques par leurs actionnaires, leurs créanciers et leurs dépositaires. N'est-ce pas réjouissant ?
Au final, il y avait donc plusieurs leçons de la situation chypriote que certains en France ne voulaient pas voir. Il leur fallait rester dans l'approximation d'une réalité complexe, pas rose, mais pas si grise.
Triste monde.


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